Il y a de ces rencontres, qui sont magiques dans le métier. Vous savez celles qui semblent être prédéterminées? Qui vous font dire que certaines personnes sont destinées à croiser votre route… Il y a de cela une dizaine d’années, ma mère célébrait le premier mariage gai au Palais de Justice de Montréal. Dix ans plus tard, je me retrouve assise aux côtés des mariés pour remémorer cet événement qui changera leur vie.
Hasard? Coïncidence? À n’en point douter, certaines personnes sont destinées à partager votre chemin de vie. Et à la lumière de ma rencontre avec Michael Hendricks et René Leboeuf, je persiste et signe. Leur complicité dans leurs luttes juridiques et l’amour qu’ils se portent mutuellement depuis plus de 40 ans ne fait qu’accentuer cette idée : certaines personnes sont destinées à croiser votre route. Et pour Michael et René, depuis leur première rencontre dans les années 70, leur route est désormais commune. Alors qu’ils s’apprêtent à célébrer leur dixième anniversaire de mariage, j’ai rencontré les mariés afin qu’ils témoignent de leur genèse, celle de leur amour et de leurs luttes.
Retour en arrière : 2004, le jour J.
Nous sommes le 1er avril 2004 au Palais de Justice de Montréal. Journalistes et photographes sont sur place et l’événement est hautement médiatisé. Et pour cause, après plus de 6 ans de luttes et poursuites juridiques Michael Hendricks et René Leboeuf obtiennent enfin le droit de se marier civilement. C’est un moment historique pour les droits des LGBT au Québec, doublé d’une victoire de l’amour que se porte deux hommes : «C’était tellement un moment émouvant et longtemps attendu pour nous», explique d’emblée Michael en me montrant les nombreux clichés noir et blanc grand format de la cérémonie : «Nous avons les photos de mariage les plus bizarres, car nos deux amis photographes professionnels ont choisi le noir et blanc…Nous sommes le seul couple depuis 1955 à avoir des photos de mariage noir et blanc», conclut Michael à la blague, alors que René me pointe ma mère sur un des clichés. Les photographies ont beau être en noir et blanc, l’événement est haut en couleur.
Et, 10 ans plus tard, le souvenir de cette journée mémorable est toujours aussi vif, malgré les luttes qui l’ont précédé : «Nous étions contents après toutes les complications avec le système de justice de pouvoir enfin s’unir. Notre première avocate maître Anne Robertson nous avait dit « préparez-vous, ça va vous prendre 10 ans minimum avant que toutes les démarches soient faites. »Après 6 ans, nous avons été surpris que ça aille aussi « vite » pour ainsi dire », appuie René en parlant de cet accomplissement qui « prenait le visage d’un futur lointain, presque inaccessible ».
1998 : Le début d’un long parcours juridique
Pour comprendre le degré d’accomplissement, encore faut-il mettre en lumière le long parcours juridique entrepris par les deux hommes. Les démarches débutent en 1998, alors qu’en 2001 Hendricks et Leboeuf poursuivent le gouvernement du Québec sur la base de la Charte des droits et libertés, dans le but de se marier civilement. Après de nombreux jugements, de la Cour Supérieure à la Cour d’appel du Québec, ils obtiendront un jugement favorable en 2004.
«C’est extrêmement cher! On a beaucoup investi à la base et avec le financement du programme de contestation judiciaire, ça a coûté 340 000 dollars. On a vécu difficilement pendant 6 ans, de nombreux avocats, de longues délibérations… Tout ça pour huit minutes de mariage! », blague Michael, alors que René enchaine plus sérieusement : «À chaque victoire qu’on avait on avançait peu à peu et ça nous encourageait de plus en plus, jusqu’au jour où nous avons eu cette joie profonde de nous marier».
De par le caractère pionnier du jugement Hendricks & Leboeuf vs. Québec, le couple fut hautement médiatisé dans sa démarche, ce qui ne fut pas toujours évident, explique René : «À la fin nous étions habitués de répondre constamment aux questions des journalistes. Il y avait aussi des gens qui nous arrêtaient sur la rue, c’était sympathique, car ils étaient en faveur de notre démarche. À la fin nous étions contents, mais c’était une période stressante, qui nous a demandé beaucoup de temps et d’argent ».
Une victoire de la législature et de l’amour
Michael et René voient leur accomplissement comme une victoire de la législature et de l’amour, malgré des relations tendues avec les avocats, le public et même à l’intérieure de la communauté LGBT: «Nous étions constamment critiqués», souligne Michael. «Au début, nous avions zéro appui. Quand on a commencé à gagner, en obte-nant notre première audience, les gens ont commencé à y croire. Quand tu es trop en avance sur les choses ça prend du temps avant d’intégrer la mentalité des gens… L’idée du mariage de même sexe était encore floue dans la tête des gens, et plusieurs, à commencer par nous au début, n’étaient pas au courant des lois… Plusieurs confondaient mariage religieux, mariage civil et union civile», explique René.
D’ailleurs, Michael me présente des photos de journaux où le couple avait fait la une avec des informations erronées (dans Le Devoir avec la mention union civile), ou encore en couverture du Ici, avec un pastiche de la peinture American Gothic de Grant Wood qui ridiculise quelque peu les démarches du couple en les cantonnant dans les conventions du mariage traditionnel : « J’ai l’impression que le caractère avant-gardiste de notre démarche les dépassait. Il y avait beaucoup d’incompréhension », explique René.
Si Hendricks et Leboeuf ont voulu unir leurs liens par amour, ce n’est pas pour se confondre dans le moule traditionnel du mariage hétérosexuel, mais d’abord pour bénéficier des droits légaux qui s’en suivent… des droits dont aujourd’hui toute la communauté LGBT, hommes, femmes, avec ou sans enfants peuvent bénéficier…
Lutter d’hier à aujourd’hui
Le caractère pionnier de la lutte des deux hommes pour la cause homosexuelle prend sa genèse plusieurs années auparavant, alors que Michael et René militaient avec ACT UP dès les années 90: « C’était des gens avec de la vision et de la détermination. C’était de gros faiseurs et de petits parleurs! Ensemble on est plus fort que seul. On a vu beaucoup de situations difficiles, que ce soit lors de la lutte du SIDA, ou dans la communauté gaie et lesbienne et notre inspiration première c’est la défense des droits », précise Hendricks, qui sera, avec René, tour à tour impliqué dans de nombreuses initiatives de lutte pour la libération homosexuelle, notamment comme cofondateur de Lesbiennes et Gais contre la Violence (LGV, 1990), le parc de l’Espoir (1991), la Table de concertation gaie et lesbienne (1992), Dire enfin la violence (94-98), coordonnateur général de la table de concertation (95-97), en plus de travailler chez Stella ainsi que dans divers milieux pour les personnes vivant avec le VIH.