Le 29 mai 2013, Vincent Autin et Bruno Boileau se disaient oui à la mairie de Montpellier devant 500 invités et bien sûr devant de nombreux médias. Un oui historique en quelque sorte puisqu’il consacrait plusieurs années de lutte pour la reconnaissance du mariage entre conjoints de même sexe. Une lutte menée entre autres par la ministre de la Justice de l’époque, Christiane Taubira, face à l’opposition de ce que la France compte de religieux traditionnalistes, de partis de droite, face aux grandes manifestations des opposants, dénonçant une loi qui ouvrait la porte à la destruction de la famille, et donc de la société. Mais il en aurait fallu beaucoup plus pour contraindre le couple à ne pas mener à bien leur projet.
Ce n’est pas la première fois que le couple posera le pied en terre québécoise. Ils avaient choisi la province pour leur voyage de noces à l’automne 2013, et c’est avec un réel plaisir qu’ils seront à Montréal pour la semaine de fierté, une invitation qu’ils qualifient d’exceptionnelle au point de se sentir privilégiés. Rejoint par Skype à Montpellier, les deux conjoints étaient en train de finaliser Fierté Montpellier-Tignes Pride. Engagés tous deux dans la défense des droits LGBT, Vincent est le président de Fierté Montpellier, et Bruno, responsable du congrès européen et international des Fiertés/Prides qui aura lieu cet automne. Leur vie privée est ainsi imbriquée à leur vie militante.
Les deux communiquent depuis quelques années avec Fierté Montréal. « Comme vous le savez, Fierté Montpellier-Tignes Pride et Fierté Montréal sont jumelés. C’est la première fois que deux organismes de fierté LGBT établissent de tels liens. Pour nous, C’est important. Cela nous permet de voir comment dans d’autres pays on travaille, de partager ainsi des idées et des façons de faire, en tenant compte bien évidemment des réalités propres à chacun des pays », d’avancer Vincent. « Par exemple, nous travaillons qu’avec des bénévoles. Le financement est difficile, il n’y a pas de tradition comme dans les pays anglo-saxons du partenariat avec de grandes entreprises, et nous ne recevons pas beaucoup de subventions des collectivités territoriales. En même temps, nous sommes indépendants des pouvoirs politiques, mais cela reste très difficile». Une réalité bien différente de Fierté Montréal, qui reçoit aussi bien le soutien financier des différents paliers de gouvernement que du privé. «Le plus étonnant, continue Vincent, c’est de voir de grandes entreprises françaises, comme une marque de vodka, soutenir des fiertés dans d’autres pays européens et qui, pour des raisons d’image peut-être, ne s’engagent pas à nos côtés ». Mais si le couple déplore ce sous-financement de leurs activités, il n’en demeure pas moins déterminé à continuer. « Nous avons l’engagement et le soutien de nombreux bénévoles qui ne comptent pas leur temps pour que nous puissions faire vivre la maison des LGBT à Montpellier, qui accueillent plus d’une quarantaine d’organismes, ou encore de mettre sur pied la semaine de fierté ». Même si Vincent et Bruno refusent que Montpellier soit aujourd’hui la ville phare en France pour les LGBT, il n’en demeure pas moins que les organismes dans d’autres villes n’arrivent pas à trouver le même élan que cette cité du sud.
Lors de leur mariage, le premier entre hommes en France, les manifestations des opposants regroupés autour du collectif, La manif pour tous, ne cessaient de manifester dans différentes villes de France pour s’opposer au projet de loi, puis une fois celui-ci adopté, pour demander son retrait. Même si le contexte n’était pas des plus sereins, le couple ne regrette pas son expérience, et même constate avec le temps qu’ils ont vécu cela relativement facilement malgré l’indignation qui les habitait. «Face à tous ceux qui s’opposaient au mariage pour les couples de même sexe, il fallait que l’on riposte d’une certaine façon, se souvient Bruno, même si nous devions partager publiquement notre vie privée. Ce n’était pas tant pour faire parler de nous que de montrer un événement plus joyeux, plus festif, comme un mariage pour contrer les messages de haine et d’exclusion des manifestants opposés à cette loi. Cela a été d’autant plus facile que dès la décision prise, nous avons reçu le soutien de nos familles et de nos amis, et donc de vivre cela comme un moment de partage et d’amour avec tous les invités ». La médiatisation aura eu du bon, car dans les milliers de message de soutien que Bruno et Vincent ont reçu, certains provenaient de personnes qui avaient manifesté contre le mariage pour tous et qu’ils le regrettaient après avoir vu les reportages sur ce premier mariage.
Que reste-t-il de cette période pour le couple aujourd’hui? D’abord qu’ils étaient plus forts qu’ils ne l’imaginaient compte tenu du contexte en France autour de cette question, mais aussi un peu d’amertume. « J’avais trente ans à l’époque, et en regardant à la télé les reportages de la manif pour tous, jamais je ne n’avais ressenti autant l’exclusion en tant que gai. Les propos des anti-mariages pour tous étaient d’une rare violence, d’une rare haine», témoigne Bruno. Pour Vincent, une partie de la responsabilité incombe au gouvernement socialiste qui a mené le projet.
«D’une part, à son arrivée au pouvoir, en mai 2012, le président aurait dû aller de l’avant et ne pas attendre un an pour présenter le projet de loi. Il a laissé le temps aux opposants de s’organiser. D’autre part, il a fait preuve de mollesse devant les propos des anti-mariages pour tous. Son gouvernement et lui ont laissé pendant des mois les LGBT, environ 8% de la population française, se faire quotidiennement insulter souvent par des élus, sans que la classe politique ne bronche, d’expliquer Vincent. Et cette mollesse se fait encore sentir aujourd’hui. Lors de la tuerie d’Orlando, il a fallu que l’on intervienne parce que si les élus dénonçaient l’attentat, beaucoup avait du mal à préciser qu’il visait une catégorie de la population bien précise, c’est-à-dire les LGBT. Tant que les élus qui défendent les droits LGBT ne montreront pas plus de courage pour dénoncer la LGBT-phobie, ils ouvriront la porte à tous les dérapages auxquels on a pu assister au cours de ces dernières années ». L’ouverture au mariage de couples de même sexe a laissé des traces puisque l’on constate depuis une augmentation des agressions homophobes et transphobes puisqu’elles se comptent au nombre de 110 par mois en France.
Malgré l’amertume, le couple reste très heureux du chemin parcouru et de la médiatisation. « Pour nous, nous avons bouclé la boucle. Notre mariage remettait l’amour au premier plan, même si nous avons eu le sentiment d’être un peu abandonné par ceux censés nous soutenir. Nous savons que la société française est beaucoup plus progressiste que ce que l’on nous a montré à l’époque avec l’exposition incessante via les médias des opposants au mariage pour tous.? Cela ne reflétait pas l’ouverture et l’acceptation de la majorité des Français sur cette question », de conclure Vincent.