La volonté des autorités ukrainiennes de se rapprocher des pays occidentaux ont alimenté une dynamique en faveur de nouvelles lois et favorisé l’acceptation des personnes LGBT+.
Mykola Milovanov n’a aucun document officiel attestant qu’il est marié à son compagnon Dmytro Gavriliouk, mais ce membre des forces spéciales ukrainiennes l’appelle quand même son époux.
Le mariage entre personnes du même sexe étant interdit par la Constitution ukrainienne, « je ne peux pas dire légalement que je suis avec mon mari, mais nous faisons pression pour que ce soit possible », explique Mykola Milovanov.
L’absence d’officialisation de leur union a une conséquence bien visible en temps de guerre : si Mykola Milovanov est blessé ou tué, Dmytro Gavriliouk n’aura aucune assurance d’être prévenu par l’armée.
La frustration suscitée par cette situation et la volonté des autorités ukrainiennes de se rapprocher des pays occidentaux ont toutefois alimenté une dynamique en faveur de nouvelles lois et favorisé l’acceptation des personnes LGBT+ dans une société ukrainienne d’ordinaire conservatrice, selon des militants et plusieurs sondages.
Mykola, 24 ans, et Dmytro, 31 ans, ont tous deux signé une pétition citoyenne initiée en juin 2022 demandant la légalisation du mariage homosexuel. Le texte a récolté 25 000 signatures, lui permettant d’être présenté au président Volodymyr Zelensky.
Ce dernier a demandé au gouvernement d’étudier les solutions possibles, la Constitution ne pouvant être modifiée en raison de la loi martiale. Mardi, une députée d’opposition a déposé «pour accélérer le processus» un projet de loi pour la reconnaissance d’un partenariat civil entre personnes du même sexe, au nom des LGBT+ engagés dans l’armée.
Sujet «brûlant»
De récentes enquêtes montrent que ces initiatives ne viennent pas de nulle part. Selon l’institut Rating Group, le pourcentage d’Ukrainiens ayant une attitude positive ou neutre envers les LGBT+ est passé de 53 à 64 % entre août 2021 et février 2022.
Un sondage réalisé en janvier par le National Democratic Institute (NDI), basé aux États-Unis, a lui constaté que 58 % des Ukrainiens sont favorables à ce que les personnes LGBT+ aient les mêmes droits que les autres et 56 % sont favorables à un partenariat civil.
Pour Sviatoslav Cheremet, un activiste LGBT+ ukrainien, la question n’est pas de savoir si les unions entre personnes de même sexe seront légalisées, mais quand ?
Il rappelle qu’une évolution de la loi était déjà sur la table avant la guerre et que la question est devenue un sujet politique «brûlant».
De plus en plus d’Ukrainiens étant favorables aux partenariats civils entre personnes de même sexe, «les autorités ont désormais les coudées franches», explique ce militant de longue date qui vit avec son partenaire depuis 17 ans.
Selon lui, cette évolution est le résultat de décennies d’efforts face à l’opposition farouche d’une partie de la société ancrée, comme en Russie voisine, dans la culture chrétienne et les mœurs dites traditionnelles.
Reste que la partie n’est pas gagnée : seuls 44 % des Ukrainiens soutiennent le mariage homosexuel et 30 % le droit des personnes du même sexe à adopter, selon le sondage du NDI.
L’invasion russe a toutefois fait passer ces divisions au second plan et les activistes soulignent que les efforts de l’Ukraine pour rejoindre l’UE est un autre moteur en faveur d’une nouvelle législation.
«Faux narratif»
La résistance à l’influence russe a ainsi conduit les Ukrainiens à rejeter des «valeurs traditionnelles» défendues par Moscou.
«Les gens ne veulent aucun lien avec la Russie, même dans leurs idées», explique Edward Reese, chargé de communication pour l’organisation KyivPride, qui estime que «la guerre a vraiment changé les Ukrainiens».
Toutefois, le chemin à parcourir est encore long et les combattants LGBT+ le ressentent. C’est le cas d’Oleksandre Jougane et de son partenaire qui ont rejoint les forces de défense territoriale au lendemain de l’invasion russe.
«La plupart des gens viennent de se réveiller et de voir qu’il y a des personnes LGBT+ autour d’eux», dit cet homme de 38 ans par téléphone depuis la ligne de front dans la région orientale de Donetsk.
Oleksandre Jougane explique qu’ils sont confrontés à la discrimination de certains militaires qui «pensent que les gens comme nous ne devraient pas exister».
«Beaucoup de gens ont cru à un faux narratif, selon lequel une personne LGBT+ ne peut pas être patriote», explique-t-il. «En étant ici et en nous battant pour notre pays, nous leur prouvons qu’ils ont tort».
Une différence subsiste : si l’un d’eux est tué, l’obtention d’une permission pour l’enterrer dépendra de la bonne volonté de leur commandant. «Nous sommes de plus en plus visibles», constate Oleksandre. Mais «la loi ne nous voit pas».