Mardi, 21 janvier 2025
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    Pour les 40 ans de Fugues : La Gazelle du Fugues, Claudine Metcalfe

    Claudine Metcalfe est la première femme à graviter dans l’univers de Fugues. Si elle prête sa plume au magazine pendant près de 20 ans, elle sera aussi la rédactrice en chef du magazine féminin Gazelle que l’équipe de Fugues publiera de 1993 à 1998. Entrevue.

    Les premiers pas
    Les premières collaborations de Claudine au magazine Fugues remontent à 1987 et s’inscrivent dans son processus de coming out, précise la principale intéressée : « Alors que j’étais à l’association communautaire homosexuelle de l’Université de Montréal, j’ai rencontré André C. Passiour, en 1984, qui était aussi étudiant et j’ai pris connaissance du magazine, pour la première fois. Ensuite, j’ai commencé à travailler au bar lesbien Lilith sur la rue Saint-Denis. Je suis arrivée au Fugues en 1986, d’abord à la vente de publicités, avant de commencer à écrire pour le magazine l’année suivante. »

    Dès ses premières armes au magazine, Claudine pose la question qui tue : où sont les lesbiennes ? Le rédacteur en chef de l’époque, Jean-Denis Lapointe, trouve effectivement la question pertinente. Claudine rencontre l’équipe et se sent tout de suite chez elle au sein de cette famille choisie. On voit en Claudine la possibilité d’élargir le lectorat (et les perspectives publicitaires).

    Néanmoins, la tâche n’est pas simple : « On me disait souvent : je ne veux pas annoncer là-dedans, car c’est un magazine de cul de gars », appuie Claudine tout en spécifiant que les couvertures et publicités du magazine à l’époque étaient effectivement plus explicites et suggestives. « La première pub que j’ai vendue c’était pour un casse-croûte dans le Village et la demi-page était à côté d’une autre pub assez explicite, et disons que mes clientes n’étaient pas satisfaites… »

    Après avoir participé à vendre de la publicité du magazine, Claudine s’affairera au contenu, avec la rédaction d’articles et d’entrevues. À 25 ans, elle découvrait un nouveau monde : « Écoute, je découvrais, je ne savais pas ce qu’était un sauna… C’était enrichissant, mais difficile. Les lesbiennes ne prenaient pas de pub, elles étaient difficiles à rejoindre. Encore aujourd’hui… l’autre jour une amie à moi m’a dit, en regardant le magazine : euh, encore des affaires de gars ! Pourtant ça change… depuis cinq ans il y a des filles au moins une fois ou deux par année en couverture et l’an dernier, Mélodie et Geneviève ont fait la couverture dans le cadre de la Journée de visibilité lesbienne. Et chaque mois il y a des entrevues avec des filles. Il y a eu beaucoup d’évolution. Mais à l’époque, tout était caché, c’était pratiquement impensable d’avoir des entrevues avec des personnalités connues… je me souviens, je couvrais un évènement, à l’École Gilford [qui fut un haut lieu du militantisme lesbien dans les années 1980 et 1990], mais les filles ne voulaient pas se faire prendre en photo…Mais un article sans photo, c’est plate, ça ne donne pas grand visibilité.»

    De Fugues à Gazelle
    Alain Ménard, un collègue qui vendait de la pub chez Fugues, lui dit un jour : « Ah, ma p’tite Gazelle parmi les fauves».  Le surnom affectif qu’il lui donne affectueusement, devient le titre de la chronique «Gaz-elles», que Claudine signera dans Fugues pendant de nombreuses années, portera sur la communauté lesbienne. Dans cette chronique, illustrée de sa propre photo, elle y abordera différents sujets et insufflera une présence régulière féminine dans le magazine, ce qui la fera connaître, dans le milieu des bars et au-delà. « Je crois que mon premier article s’intitulait Où sont les Elles? » Plus ça change, plus c’est pareil… Ma propre chronique porte le titre : Où sont les lesbiennes ».

    En 1993, convaincue que les filles sont prêtes elles aussi à un magazine par et pour les filles, elle propose à Martin d’éditer une revue lesbienne. Une version féminine de Fugues en somme. «Et je me disais que le besoin était là… et qu’ensemble les filles nous allions réussir à faire quelque chose». Tout en continuant à écrire régulièrement dans Fugues, Claudine devient donc la rédactrice chef de Gazelle, dès 1993,

    Plusieurs collaboratrices se joindront à Gazelle au fil des ans, comme rédactrices, photographes, illustratrices, représentantes aux ventes, livreuses. Imprimée à 10 000 exemplaires, Gazelle se positionnait comme LA revue ciblant les femmes. L’aventure malheureusement ne durera qu’un peu plus de 6 ans. À un moment donné, les coût de production ont augmenté et les ventes publicitaires n’arrivaient plus à couvrir les frais d’impression.

    «Les filles n’avaient pas d’argent pour payer la publicité. Certaines mettaient de la publicité surtout pour encourager la communauté, mais ne voulaient pas recevoir le magazine chez elles ou à leur commerce, de peur de se faire ostraciser. C’était un peu compliqué… Et à l’époque, c’était assez difficile d’avoir des lesbiennes pour témoigner à visage ouvert en entrevue. Rares étaient celles qui osaient s’afficher en couverture. C’était dur. J’étais découragée, quand il a fallu prendre la décision de cesser. Ce fut dur aussi pour mon équipe de bénévoles, qui croyait tellement en Gazelle ».

    Le contenu féminin, de quelques pages, a alors été intégré au magazine Fugues où Claudine a continué d’écrire. «Il était important pour moi d’assurer une présence féminine dans le magazine. À un moment, comme elle était une des rares lesbiennes dans l’espace public, Claudine aura l’impression , sans l’avoir recherché, d’être la porte-parole de la cause lesbienne dans les médias. « On me demandait souvent d’aller témoigner à des émissions, j’étais une des seules lesbiennes visibles. »

    D’hier à aujourd’hui
    Ainsi, pendant près de 20 ans, celle qui a étudié en histoire de l’art, travaillera donc au Fugues, au Centre communautaire, au Comité Dire enfin la Violence, fera du militantisme lesbien et mixte et tentera un saut en politique, en plus de prêter sa plume à d’autres publications comme Le Lundi et Échos Vedettes. Elle garde de son aventure chez Fugues, plein de bons souvenirs, dont celle d’une entrevue pour Fugues, avec la politicienne Sheila Copps, qui l’a agréablement marqué par son ouverture d’esprit, alors que tant de personnalités refusaient régulièrement d’accorder une entrevue au magazine  «de peur qu’on pense que»…  Aujourd’hui, elle ferait sans doute la couverture du
    magazine.»

    Après un passage en politique active, aux côtés de la ministre Line Beauchamp, Claudine est aujourd’hui conseillère en francisation pour l’Office québécois de la langue française. Lorsqu’on lui demande comment elle envisage l’avenir de l’utilisation de la langue française, au même titre que celui des médias écrits, elle scande un « Oh, mon Dieu » sur un ton un peu pessimiste, qui veut tout dire…

    Elle avoue s’ennuyer de l’action liée au métier de journaliste-pigiste, mais certainement pas de la précarité financière. « À tous les 15 jours, j’ai une paye déposée, ça fait du bien ! », explique celle qui a néanmoins consacré la majeure partie de sa vie aux médias écrits et au militantisme engagé, et ne le regrette pas.

    « C’étaient de très belles années, mais avec la précarité, et c’est mon regret : de ne pas avoir pu en vivre vraiment », explique Claudine. Elle se souvient des moments où elle devait voyager de Montréal à Québec sur le pouce, pour assister aux Commissions parlementaires, ou encore lorsqu’elle devait photographier un évènement, en développant parfois la pellicule à ses frais. « On ne se posait pas de question, on était dans l’action, on survivait », se souvient-elle.

    Claudine voit son passage au Fugues comme un moment effervescent de l’Histoire et de son histoire. Grâce à son travail au magazine, Claudine a été un témoin privilégié de l’évolution de nos droits et de la transformation de nos communautés. De l’émergence du SIDA à la légalisation du mariage gai, notre histoire est riche et notre évolution constante. «N’est-ce pas le plus beau métier que celui de donner la parole aux agents de l’histoire pour écrire notre histoire ?»

    Pour les 40 prochaines années, Claudine souhaite à Fugues de « continuer à être à l’écoute. On peut constater, avec la place accordée aux jeunes, à la diversité et aux femmes plus présentes maintenant, que le magazine a évolué. Les couvertures aujourd’hui sont complètement différentes. Il y a 40 ans, le créneau était très spécialisé — gars tous nus ou presque, souvent liés aux bars. Par la suite, on a fait place de plus en plus au communautaire, au militantisme et à la mixité. Rester à l’écoute des changements et des besoins des jeunes et des moins jeunes, assurera je l’espère l’évolution du magazine avec le temps. Fugues a vraiment innové et s’est réellement transformé au fil des ans. C’est fantastique ! »

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