Survivre à une implosion de notre monde et tenter de se sauver et de survivre sur un radeau construit avec des tuyaux d’orgue. S’en tenir à cette amorce serait bien réducteur compte tenu que l’artiste Alejandro Sajgalik ne cessera de surprendre dans sa nouvelle pièce Nova Express, pour nous amener plus loin qu’une simple illustration d’un monde (notre monde ?) en déliquescence.
Alejandro Sajgalik, artiste, car tous ses chapeaux – chorégraphe, musicien, scénographe et plus – se superposent, s’imbriquent, se répondent pour former un tout qui soit au plus près de ce qui naît dans son imagination et qu’il veut partager. Pour sa première pièce de groupe – il n’a jusqu’à maintenant présenter que des solos – il a préféré que son dernier projet, Nova Express, soit porté par 6 danseurs et danseuses. « Après avoir laissé émaner une gestuelle qui venait de mon propre corps, je voulais voir comment l’imaginaire des danseurs et des danseuses pouvaient aussi émaner de leur gestuelle », confie Alejandro Sajgalik en entrevue. Il n’est pas question cependant d’improvisation, le créateur restant l’architecte en contrôle de sa création.
Pour mieux appréhender l’univers de ce créateur hors norme, il est impossible de ne pas revenir sur son parcours atypique. Ayant étudié et travaillé en architecture, avec une petite formation en musique au cours de l’adolescence, rien ne le prédestinait à se retrouver sur une scène et à s’affirmer comme danseur et chorégraphe. Le choix s’est imposé viscéralement pour lui à 25 ans.
« Je vivais à l’époque à New York et à la suite de différents événements, dont une job dans une agence d’architecture à laquelle j’ai mis fin, j’ai décidé de tout changer, explique Alejandro Sajgalik. Et il y avait toujours eu en moi ce désir de m’exprimer avec le corps, ce que le corps pouvait me dire, alors je me suis lancé même si je n’avais aucune expérience, ni formation en danse ». Avec humour, il précise que Montréal s’est imposée naturellement. « De New York, c’était en ligne droite vers le Nord ».
Un véritable changement de vie que le trentenaire explique par le fait qu’il se fait confiance, « cette confiance à l’enfance, à l’innocence dans laquelle on peut toujours se replonger quoiqu’il arrive, un peu comme dans mon cas, de monter sur scène pour la première fois à 28 ans, de croire que tout est possible », avoue-t-il.
En 2018, le nouveau venu sur la scène de la danse à Montréal participe au programme annuel Danses Buissonnières organisé par Tangente et est choisi pour faire partie de la cohorte des chorégraphes émergents. « Ça a fait boule de neige et depuis j’ai présenté trois solos : N’importe où hors du monde (2018), Cantos para los insaciables (2019) et Materia Prima (2022) », ajoute Alejandro Sajgalik.
D’autant que l’artiste impose son univers singulier, qui ne s’inscrit pas dans la tradition de la danse contemporaine, comme il le résume ainsi : « Pour ma première pièce, je voulais avoir les rênes créatives. Je venais d’un parcours en architecture, je voulais me libérer de contraintes imposées par d’autres. Je voulais faire quelque chose à 100% avec l’exploration de mon univers artistique ». Et c’est ce qu’il poursuit dans son dernier opus, Nova Express.
Difficile aussi de cerner l’univers créatif d’Alejandro Sajgalik en deux lignes. D’une part, parce que ses champs d’intérêt, de réflexion, d’imagination sont multiples. D’autre part, parce que – comme tout créateur – il y a une quête, et donc tout est changement, mutation, exploration. Avec Nova Express, on peut sentir une touche de science-fiction à laquelle s’ajoute celle d’une fin du monde. Mais il est aussi question des ruines, de ce qui reste et de ce qu’on décide d’en faire, à l’image des tuyaux d’orgue récupérés dans une église des Cantons de l’Est, dont l’artiste se sert aussi comme instruments de musique. Enfin, comment survivre, rebâtir et se rebâtir quand le corps doit s’inventer de nouveaux repères en lien avec celui des autres.
Mais Nova Express est aussi une ode à la renaissance. Au cours de l’entrevue, le mot printemps revient plusieurs fois dans les propos du créateur : « Il y a aujourd’hui une vision apocalyptique du monde pour plein de raisons, mais aussi le désir de l’émergence de quelque chose de nouveau, des intuitions printanières. Donc, une forme d’optimisme que j’essaie d’exprimer à travers la danse, qui est pour moi l’un des meilleurs médiums pour peut-être retourner vers l’innocence, vers une symbiose avec l’environnement ».
Une chose est sûre, l’univers d’Alejandro Sajgalik, très personnel, est une invitation à un voyage intérieur. Et ces voyages-là, on les aime.
INFOS | Nova Express. Chorégraphie, composition et scénographie : Alejandro Sajgalik
Tangente. À l’ÉDIFICE WILDER – Espace danse, les 7, 8, 9 et 10 novembre 2024
tangentedanse.ca
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