Quand la jeune Victoria est entrée en cinquième secondaire, à Amos, en Abitibi, avec un nouveau prénom et de nouveaux pronoms, elle n’avait pas encore vu une autre personne trans en chair et en os et la transidentité était encore peu connue dans sa communauté. «On commençait à en entendre parler un peu plus », se souvient-elle. « Les gens avaient une certaine curiosité, qui était parfois un peu maladroite, mais en même temps portée sur l’ouverture. Les gens voulaient comprendre. » Est-ce qu’une ado trans québécoise d’aujourd’hui connaîtrait une transition sociale plus simple que celle de Victoria ? La «réponse à cette question est compliquée ».
Victoria Legault, 23 ans, a été bénévole et membre du CA de l’ATQ pendant plusieurs années avant d’accéder à la direction générale. La jeune femme dynamique a travaillé d’arrache-pied pour solidifier la base financière de l’organisme, augmenter sa visibilité et ajouter un programme d’aide à la recherche d’emploi à l’offre de services de l’ATQ.
Politisation de l’existence des personnes trans
En parallèle, elle a assisté à la politisation croissante de l’existence même des personnes trans par certains politiciens. L’ouverture relative qu’elle a connue plus jeune a été graduellement remplacée par l’appréhension, parfois la confrontation. À l’ATQ, ça s’est traduit par une augmentation de la demande pour les services de soutien psychosocial, au point où les intervenant.e.s se sentent « dépassé.e.s et enterré.e.s » — particulièrement depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump au sud de la frontière.
Les personnes qui appellent l’ATQ sont de plus en plus anxieuses et se sentent isolées. Certain.e.s appellent même des États-Unis et la petite équipe de l’ATQ doit leur dire qu’ils n’ont pas les outils pour encadrer les aspirant.e.s demandeurs d’asile.
« On dirait que le narratif — ou l’approche de la société — a changé parce qu’on a tellement diabolisé les personnes trans », observe Victoria. « Ce qui est triste là-dedans, c’est que ça décourage certaines personnes à s’afficher de façon authentique. Il y a des personnes avant moi qui ont milité tellement fort pour qu’on sorte du placard, puis qu’on puisse sortir de la marge et intégrer pleinement la société. Puis là, il y a des gens qui veulent qu’on retourne dans le placard et dans la marge. »
Une intolérance croissante chez les jeunes
Elle mentionne l’étude du GRIS-Québec, dévoilée en janvier, qui fait état d’une intolérance croissante des élèves envers leurs camarades de classe LGBTQ+. La montée des discours haineux et masculinistes en ligne, l’accessibilité de ces discours et une certaine polarisation des débats sociaux sont mises en cause. « Il y a beaucoup de jeunes, notamment de jeunes garçons, qui malheureusement se reconnaissent là-dedans, qui ont l’impression que parce qu’on donne des droits (ou des protections) ou une pointe de la tarte à des personnes marginalisées, ils en perdent », se désole Victoria Legault.
Elle espère qu’un jour, bientôt, les personnes trans pourront vivre tranquillement, sans que leurs identités soient constamment remises en question dans la sphère politique et médiatique. « En ce moment, ça devient parfois dangereux d’être une personne visiblement queer. Tu t’exposes à de la discrimination à l’embauche ou au logement », dit-elle.
« Pourquoi les politiciens s’attardent-ils autant à parler des enjeux trans quand les gens ont de la misère à se loger, à se nourrir ? Je comprends que les gens parfois sont tannés d’en entendre parler. On est devenu comme un bouc émissaire pour tous les maux de la société, parce que finalement, les partis politiques ne sont pas capables [de considérer] les vrais problèmes, puis de les régler. »
Adolescente, Victoria Legault a mis le cap sur une carrière d’avocate; à l’heure actuelle, elle suit des cours de leadership et gestion en ligne à la Harvard Business School, tout en travaillant à temps plein pour l’ATQ.
Malgré le climat politique actuel, elle est plein d’espoir pour la suite des choses. «L’histoire nous montre ce dont on est capable, en fait. Quand on s’organise, puis qu’on travaille de façon intelligente, on est capable de défaire ces mouvements-là, tu sais? Donc, je me nourris de ça.»
INFOS | VICTORIA est la directrice générale de Aide aux Trans du Québec (ATQ)
https://aideauxtrans.com
PRÉCISION: Une version précédente de ce texte aurait pu porter à confusion quant aux futures intentions professionnelles de Victoria Legault. Elle affirme qu’elle n’a aucune intention de quitter l’ATQ.