Pierre Foglia n’accorde plus d’entrevues. Il a bien voulu faire exception pour Fugues tout en se demandant ce qu’il pourrait bien raconter sur les gais. Son nom est associé à La Presse. Pierre Floglia y collabore depuis 1972 et y signe des chroniques. Les gais, il les a approchés pour une série d’articles sur le Village en 1985.
Mais bien avant ce reportage, il se permettait des commentaires sur les homosexuels. Ainsi, ce court texte du 17 novembre 83 dans lequel il déplore que deux revues gaies de l’époque, «Sortie» et «Rencontres gaies», parlent trop de cul. Il conclut ainsi : «Je comprends bien, camarades gais, que c’est sur vos fesses que passe le plus gros de la répression qui vous est faite, mais faut-il pour autant que vous vous les pognassiez à pleines pages ? … Je n’ai jamais su qu’à montrer son cul on se libérait. Vous pensez bien que ça se saurait… Vous pensez bien que si c’était le cas, je serais le premier à mettre le mien à la fenêtre, tous les matins.» De montrer son cul ne fait peut-être pas du bien, mais ça ne fait pas de mal non plus, aurait-on eu envie de lui répondre. Bref, Pierre Foglia n’enrobe pas ses propos dans du papier cadeau. Comme une de ses consoeurs que nous avons eu récemment en entrevue, il est écœuré du politiquement correct mais jamais il ne s’érige en censeur ou en moraliste. C’est direct, brut, sans polissage.
La première fois
Je crois que dans ma petite enfance, c’était complètement inexistant. Je suis né en Italie, j’ai été élevé en France et je suis arrivé au Québec à 21 ans. Je viens d’un milieu très pauvre et je ne me souviens pas de questionnement sur l’homosexualité dans ma famille. Il y avait peut-être des homosexuels dans ma famille, mais je ne les voyais pas. Je suis allé dans un internat pour mes études et je ne me souviens pas d’avoir rencontré de gais. C’est la première fois que l’on me pose la question, et je trouve cela assez suspect que ce soit aussi absent de mon enfance. Je crois que j’ai découvert l’homosexualité à travers la littérature. J’ai appris que Gide était gai, puis que de nombreux artistes l’étaient. Pendant longtemps, j’ai cru qu’il fallait être écrivain pour être gai. Mais dans mon entourage, il n’y en avait pas et s’il y en avait, j’étais trop nono pour les voir. Je venais d’une sous-culture tellement prolétarienne que je crois que pour mon père et pour ma mère, la bataille pour la bouffe était leur principale préoccupation.
Premières rencontres
Ça date de mon arrivée à Montréal. Ici, je me suis tout de suite connecté au milieu très populaire, en fait au même milieu d’où je venais et j’ai tout de suite vu cette présence gaie. Quand je suis rentré à La Presse, on a fait un «trip» avec quelques gars très proches et quelques-uns d’entre nous se sont posés la question si c’étaient des rapports homosexuels. En fait on s’est tous posé la question, mais ça s’est arrêté là. Et puis mon meilleur ami à l’époque, Pierre Vallières, était gai, mais je l’ai su très tard, beaucoup plus tard. Lui même ne s’affirmait pas comme tel à l’époque et c’est significatif. Pierre choisissait à cette époque parmi les militants et je ne pense pas le trahir en disant cela. J’ai appris par des militants que Pierre leur avait fait des avances. À moi, il ne m’en a jamais fait. Pourquoi, je ne sais pas, j’aimerais lui poser la question. J’avais peut-être une sale gueule (rires), ou parce que j’étais trop loin, que j’étais dans les limbes et que cela aurait été trop long à m’expliquer.
Ton reportage de 1985 marque une rupture avec ta représentation du monde gai?
Ce reportage est une date tournante pour moi. Avant ce reportage, j’avais la position du nono moyen sur les gais, je les trouvais sympas, c’est tout. J’étais un bon libéral moyen ordinaire, ce que je suis toujours d’ailleurs, mais j’ai changé par rapport aux gais à cause de ce reportage. Ce reportage exprimait toute ma naïveté. Je n’avais pas de préjugés énormes qui m’empêchaient d’avancer, et je suis allé tout naturellement et naïvement à la découverte d’un monde, comme on va découvrir un pays dont on revient moins con après y être allé. J’ai en fait découvert les gais ordinaires, les couples gais, la tendresse entre les gais. J’avais toujours vu la particularité d’être gai et j’ai découvert l’«ordinarité» d’être gai. Certains m’ont fait des confidences, je suis allé mangé chez d’autres. Je n’ai pas découvert grand chose car le reste, je le savais déjà. Je connaissais les problèmes vis-à-vis de la société et ils me faisaient chier. J’ai toujours été un peu militant, tout en étant politiquement correct dans ma vie. La répression des flics, l’attitude des gens en général. J’ai appris par les confidences toute la partie familiale des gais. L’acceptation difficile de la part des parents, surtout des pères qui vivaient ça très mal. Mais ce n’étaient pas de grandes surprises. Ce que j’ai retenu, c’est que la grande majorité des gais n’étaient pas ceux que je voyais et ne vivaient pas ce que j’imaginais qu’ils vivaient. Ils n’étaient pas démonstratifs, pas toujours dans les bars… Autre chose: j’ai été fasciné et je le suis encore par les travestis et aussi par les boîtes où les jeunes gais vont danser, cruiser. J’ai été impressionné par la musique, par la gaieté – sans jeux de mots -, par l’ambiance. Et j’y pense souvent, comparé aux boîtes straights. J’ai conscience que c’est un autre préjugé, favorable celui-là, mais un préjugé tout de même. On sait que les gais sont à l’avant-garde de la mode, de la musique, et je crois que c’est vrai.
Tes préjugés sont tombés ?
Mais j’ai gardé des préjugés; ce ne sont plus les mêmes clichés. Les gais me tombent sur les rognons sur bien des affaires mais comme des tas de gens me tombent sur les rognons. Les clichés que j’ai gardés concernent le cul. J’ai l’impression – et c’est un préjugé qui est encouragé par les gais eux-mêmes – qu’ils sont plus portés sur le cul que les straights en général. Ils ont accès au cul plus vite. Deux gais qui ne se connaissent pas vont baiser plus vite que deux straights qui viennent de se rencontrer. J’énonce un cliché qui est peut-être «toton» et qui ne correspond pas à la réalité. Mais j’ai ce feeling. Mais que ce soit vrai ou faux, on s’en câlisse au fond de ce que je pense. Une autre chose qui me fait chier, c’est le cruisage intensif. J’ai un peu de misère aussi avec la fixation des gais d’un certain âge pour les p’tits culs. Je ne parle pas de pédophilie, je parle d’hommes de 40 ans qui vont avec des petits jeunes de 17-18 ans. Mais j’ai aussi parfois une pensée un peu trop apitoyée sur les vieux gais qui vivent seuls. J’ai l’impression que c’est plus fréquent que chez les straights à cause de cette fascination pour les corps jeunes.
Dans tes chroniques, tu parles de ta blonde, donc tu annonces explicitement ton hétérosexualité. Que penses-tu des personnalités gaies qui préfèrent garder le silence sur leur orientation sexuelle.
J’ai déjà eu cette discussion avec Michel Tremblay. Je lui disais : «Y m’font chier tes chums qui ne le disent pas». Michel m’avait répondu que c’était leur droit de se taire. On ne pouvait pas savoir quel impact cela pouvait avoir sur leur carrière. Et c’est vrai. Si j’étais à la place d’un comédien gai qui risquerait de ne plus tourner pour des raisons plates et débiles s’il le disait, je me tairais. En fait, je reproche moins aux artistes de ne pas le dire qu’aux politiciens. J’ai déjà regretté que Claude Charron ne le dise pas quand il était député et un député des plus en vue. Il avait sûrement une ligne de parti à tenir. Il a peut-être voulu le dire et il s’est fait dire par René Lévesque de la fermer. Je ne sais pas, mais je le regrette. Mais il faut ajouter que ce n’est pas forcément facile de vivre son homosexualité, alors de là à le claironner! C’est un héroïsme de le dire sur la place publique et on n’est pas obligé d’être héroïque tous les jours. C’est parfois problématique de le dire à sa mère, alors le dire à la province entière… Mais peut-être est-ce plus facile de le dire à la province (rires) ? En tout cas, ce n’est pas à moi de dire aux gens de se déshabiller sur la place publique. D’un autre côté, il y en a qui le font et qui me tapent sur les rognons. Ce n’est pas parce qu’ils sont gais mais parce qu’ils sont militants. Le militantisme me fait chier. On n’est plus à l’époque où il faut défiler dans les rues avec des pancartes. Je trouve cela un peu ridicule. Mais les manifestations gaies que je vois à la télé où les gars s’embrassent, se tiennent par la main, quand on y mêle un brin d’humour, je trouve cela le fun.
Que reproches-tu au militantisme gai ?
Je trouve que le militantisme gai s’excite trop facilement le poil des jambes avec la répression visible et grossière et pas assez avec la répression sournoise, les mises de côté, les isolements qu’on retrouve dans les institutions. Les militants devraient plutôt dénoncer cela. Je suis sûr qu’à l’université, on a peut-être moins d’avancement quand ont est gai que si on est straight. Je sais que dans un journal, on aura moins tendance à faire couvrir les sujets politiques ou économiques par un gars ouvertement gai. Mais le discours des responsables est tellement articulé, tellement politiquement correct, qu’ils ne diront jamais qu’ils préfèrent choisir un straight plutôt qu’un gai notoirement connu. Ils se défendent très bien.
Mais les gais sont quand même mieux acceptés ?
Assez curieusement, la différence n’est pas chez les gens de plus humble condition mais chez les bourgeois qui ont fait un pas en avant. Je n’ai pas d’explication à la chose, mais les gens les plus simples, s’ils ont le refus très prompt, ont aussi l’acceptation très prompte sans que le discours joue un rôle important. Ce n’est pas les manifestations de gais qui les font changer. Il suffit qu’ils aient un cousin gai qui ne fait pas chier, il suffit que le voisin qu’ils aiment bien soit gai, pour que tout d’un coup, sans discours, sans rationalisation, ils acceptent les choses plus facilement Ñ on le voit dans l’univers de Tremblay Ñ que des gens plus scolarisés, plus cultivés qui ont besoin du discours intellectuel pour accepter. Et moi, je viens d’un milieu très populaire et j’ai au fond de moi cette innocence qui fait que l’homosexualité n’est jamais passée par le discours. Dans mon reportage, j’ai appris des choses parce que j’étais nono. Je n’ai aucune espèce de réserve, et quand il m’arrive d’en avoir, je l’exprime tout de suite.
Dernière question, qui pose souvent des problèmes: aurais-tu facilement accepté
l’homosexualité chez un de tes enfants ?
Je pense que j’aurais eu de la peine au début. Quand mon fils a été adolescent, je me suis posé la question. Curieusement, je ne me le suis pas demandé pour ma fille. Mais lui, je voulais savoir s’il était gai. Je ne crois pas que cela aurait changé quoique ce soit à l’affection que je lui porte et j’aurais continué à le traiter comme je le traite maintenant, c’est à dire comme un chien! (rires). Mais une chose qui me fait freaker, ce sont les gars qui ne savent pas qu’ils sont gais. J’ai freaké par rapport à mon fils en me disant que s’il l’était, autant qu’il le sache rapidement, qu’il soit clair et qu’on vive avec cela. Ça n’aurait pas été un drame. Mais je voudrais ajouter pour terminer qu’il faudrait que les gais soient aussi un peu plus naturels avec cela. S’ils veulent que le monde ordinaire accepte la particularité d’être différent, il faut que les gais le disent aussi, le plus naturellement possible.