Dimanche, 27 avril 2025
• • •
    Publicité

    Richard Martineau, l’hétéro pas straight

    Rédacteur en chef et éditorialiste du journal Voir, Richard Martineau passe au scalpel les faits saillants de notre société fin de siècle. Il en dégage les contradictions et trace le contours des enjeux futurs. Témoin attentif des évolutions, l’auteur de la chronique Onde de choc se méfie des ghettos, de tout ce qui enferme, mais tient des propos décapants et encourageants sur la sexualité, la reconnaissance des couples de même sexe, le droit à l’adoption pour les gais et les lesbiennes.

    La première fois

    Je ne m’en souviens pas. Il n’y avait pas d’homosexuels dans ma famille à ce que je sache. Je ne me souviens pas non plus en avoir vu au secondaire. À 16 ans, les gais ne s’affichaient pas à mon époque. Quand j’étais jeune, les homosexuels, c’étaient Michel Girouard, Michel Tremblay, des gens du milieu artistique. Je viens de Verdun, du côté pauvre de Verdun, et mes parents avaient une vision des gais comme étant des gens colorés, comiques, grandes folles, du monde sympathique.

    Pendant la vie étudiante

    J’ai eu un coloc gai pendant trois ans. En plus d’être un coloc, c’était un bon chum. Il y avait
    des gens qui venaient chez nous qui pensaient que moi, j’étais gai et lui était straight, alors que c’était l’inverse. D’ailleurs, d’autres pensaient que j’étais gai parce que je demeurais avec un gai. Je me souviens la première fois qu’il m’a annoncé qu’il était gai. On marchait sur les
    plaines d’Abraham et puis à un moment, il m’a dit : «Tu sais, la blonde dont je te parle tout le
    temps et que tu ne vois jamais, c’est un gars». Je suis alors parti à rire et je lui ai demandé de me raconter. Moi, je cherchais un coloc et lui aussi et ça n’a posé aucun problème. Je ne me suis pas posé de questions comme: «Je vais rester avec un gai, qu’est-ce que le monde va penser?» J’ai été surpris par la réaction de mes parents quand je leur ai parlé de mon coloc. Je pensais qu’ils auraient plus freaké que cela, en se demandant si moi aussi j’étais gai. C’est étonnant parce que je viens d’un milieu peu éduqué où je pensais que les préjugés étaient les plus forts. Mais je ne me suis jamais posé de questions sur ma propre orientation sexuelle. Je suis hétérosexuel, je n’en fais pas une fierté non plus. Je suis hétérosexuel comme j’ai les cheveux bruns.

    Découverte des lieux gais

    Je me souviens d’un bar où j’aimais aller avec mon coloc: c’était le Garage. C’était le fun,
    j’aimais la musique et j’allais souvent danser là. La première fois que tu rentres dans un bar
    gai, c’est un peu particulier. Quand tu traverses la piste de danse, tu te fais regarder. Je ne me suis jamais fait regarder comme ça par des filles, surtout dans un environnement qui était
    ouvertement sexuel. C’était un choc. Je me suis rendu compte que dans le milieu gai, la
    sexualité est plus franche et directe. Je me disais à l’époque que quand tu es hétérosexuel et
    tout seul — et j’étais célibataire — il est beaucoup plus difficile de cruiser et d’avoir une
    relation d’un soir. Les homosexuels sont un peu moins bloqués sexuellement. C’est une autre réalité. Je me souviens d’avoir rencontré au Garage un gars qui était avec moi au secondaire. Lui aussi était hétérosexuel et regrettait presque de l’être parce qu’il se rendait compte que ce serait plus facile d’avoir des relations sexuelles. Cela me fait penser à la Montagne. Les gens critiquent le fait que les homosexuels y baisent avec n’importe qui, mais je me dis que s’il y avait une Montagne ou un Parc Lafontaine où les gars et les filles peuvent se rencontrer, il y aurait du monde en maudit. Ce serait plein tous les soirs, et j’aurais fait mon tour pas mal souvent à l’époque. C’est certain aussi que les gars ont une sexualité avec une drive plus forte.

    Vision de la communauté gaie

    Ma vision des gais est complètement éclatée. Il n’y a pas que le Village. J’ai lu récemment sur Internet qu’il existait un groupe d’homosexuels contre l’avortement. Il y a une idée fausse
    comme quoi tous les gais sont progressistes. Il y a des gais qui sont à droite, d’autres qui sont religieux, certains s’affichent ouvertement lors de la fierté gaie, d’autres passent plus
    inaperçus. Je trouve que c’est une communauté très éclatée. Il n’y a pas selon moi un
    phénomène de société particulier. J’ai tendance à croire que nous vivons actuellement, pour
    les gais et les lesbiennes, l’équivalent du mouvement des droits civiques des noirs dans les
    années 60 aux États-Unis. Et cela pose des questions fondamentales. Une des questions qui va chercher les hétérosexuels au plus profond d’eux-mêmes et qui risque de bouleverser la société, c’est la reconnaissance des couples homosexuels et la possibilité pour ceux-ci d’avoir des enfants. Cela remet en question le rôle des parents, et les institutions. C’est une discussion qui va avoir lieu dans les prochaines années. La société va bouger moins rapidement sur cette question-là. Même les hétéros progressistes ne sont pas à l’aise avec cette idée-là. Quand j’en parle avec des gens ouverts, ils ont beaucoup de réticences. Pourtant, il y a plein de couples hétérosexuels qui maltraitent leurs enfants et je connais des couples gais qui ont élevé des enfants et qui les ont élevés superbement bien. Selon moi, l’hétérosexualité n’est pas un gage, une garantie que tu vas être un bon parent. Je pense que la reconnaissance du couple gai va bouleverser les notions de couple et de famille telles qu’on les connaît.

    Grandeur et misère du mâle hétérosexuel

    Je trouve que pendant une longue époque, les gars hétérosexuels se sont sentis mal avec leur propre masculinité. Les femmes leur reprochaient d’être trop machos ou de devenir des
    hommes roses alors que les gais, pas tous, n’ont pas eu peur d’avoir un look masculin
    exacerbé, souligné au crayon noir. D’ailleurs, des amies me disaient que quand un gars, avant, avait l’air doux et un peu efféminé, c’était un gai. Maintenant tu reconnais les gais Ñ pas tous Ñ à leur grosse moustache, aux tatouages ou au cuir qu’ils portent . Les … …homosexuels ne semblent pas avoir eu de problèmes avec leur masculinité et ce n’est pas le cas pour les hommes hétéros. Janette Bertrand disait cela : les femmes veulent un homme qui déchire leur robe la nuit …et la recouse au petit matin. Il y avait de la schizophrénie. Les gais se posent moins de questions sur leur masculinité.

    Le dire ou le taire quand on est connu ?

    C’est un sujet extrêmement touchy. C’est toute la question du outing. Je trouve que lorsqu’un
    homme politique vote une loi limitant le droit des gais Ñ et qu’on sait qu’il est gai Ñ, je peux
    comprendre que certains membres de la communauté gaie se sentent lésés, sentent le besoin de le outer. Mais si un comédien ne veut pas le dire, c’est un choix. Il y a des gens qui sont prêts à le dire publiquement et d’autres qui ne sont pas prêts. Cela dit, c’est un cercle vicieux, si moins de gens publics le disent, moins de gens auront le goût de le dire. En même temps, je comprends que c’est bon d’avoir des Role models. Mais pour un comédien, on sait très bien que s’il le disait, il n’aurait plus de job. Ce serait fini. Quand Robin William joue un gai dans un film, on sait qu’il est hétérosexuel, les spectateurs font la différence. Si l’acteur est ouvertement gai et joue un hétéro, je ne sais pas pourquoi, mais les gens ne suivent pas. À ce que je sache, il n’y a aucun comédien ouvertement gai au Québec qui a joué un rôle important d’hétéro dans un téléroman ou un film.

    Une chronique gaie dans Voir à l’instar d’Hour ?

    On m’a déjà posé la question. Il y a un côté ghetto: seuls les gais liront cette chronique, et il
    semble plus intéressant de faire un dossier spécial au moment d’un événement. Mais une
    chronique assurerait aussi une régularité dans la diffusion de l’information sur les gais et
    attirerait peut-être les lecteurs hétérosexuels. De plus, Hour est un journal anglophone, et par tradition, la presse anglophone a toujours été plus militante que la presse francophone.

    L’enfant homosexuel

    Si ma fille était lesbienne, je serais un peu triste. Je ne sauterai sûrement pas de joie parce que je voudrais qu’elle soit heureuse. Je pense que lorsque tu es gai ou lesbienne, tu pars avec une difficulté devant toi. En plus, ma culture, mes références sont hétérosexuelles. Je pense que je devrais m’adapter, mais cela n’enlèverait rien à l’amour que je lui porte. On a beau dire qu’on est ouvert de part et d’autre, mais je vois combien les gais et les lesbiennes s’auto-censurent. Par exemple, j’ai des amis gais qui vivent en couple: ils ne s’embrassent pas aussi facilement que des amis hétéros. C’est comme un réflexe quand ils sont en présence d’amis hétéros. Je n’aimerais pas que ma fille en arrive à s’auto-censurer si elle vivait avec une blonde.

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LEAVE A REPLY

    Please enter your comment!
    Please enter your name here

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité