Guylaine Tremblay est une comédienne chanceuse. Elle le reconnaît elle-même. Depuis sa sortie du conservatoire, il y a près de 15 ans ans, elle n’a pas cessé de travailler: on l’a vue au théâtre et à la télé, dans 4 et demi et La p’tite vie, où elle incarne Caro. Guylaine Tremblay est représentative de ces jeunes comédiennes ouvertes au monde, ouvertes aux autres. Elle s’est prêtée sans hésitation au jeu du questionnaire de Nos amis les hétéros.
La première fois
C’était assez tard, en fait, quand je suis rentrée au conservatoire. Il y avait un gars dans ma classe qui était gai. Il ne le disait pas mais je m’en doutais. Je ne sais trop comment, mais nous les filles, on sent ça. Peut-être que les gais ne regardent pas les filles de la même façon que les hétérosexuels. Et puis un jour, ce gars me dit : «je viens de tomber en amour et je voudrais acheter une bague à la personne que j’aime». Il n’arrêtait pas de me parler de La Personne qu’il aimait, et je n’en pouvais plus d’entendre parler de La Personne avec qui il était. Et quelque temps plus tard, il m’a demandé d’aller avec lui acheter une bague, et c’est là que je lui ai dit: « Écoute, la personne à qui tu veux faire ce cadeau, elle n’aurait pas de la barbe et ne s’appellerait pas Untel au lieu d’Unetelle?» C’était mon premier vrai contact avec un gai. Nous sommes devenus de très bons amis. Je l’aimais pour ses qualités, il m’énervait pour ses défauts. Mais je ne faisais pas de différence. Avant cette rencontre, je n’avais jamais vraiment pensé aux gais.
Cette attitude ouverte venait de ton éducation ?
Je pense que oui. Mes parents respectaient beaucoup les différences. Ils n’auraient pas accepté ceux qui versaient dans la pédophilie, hétérosexuels ou homosexuels. Mais pour te montrer un exemple de l’ouverture de mon père, je me souviens que j’ai habité à Québec pendant de longues années au-dessus d’un sauna. Il y avait le sauna et les appartements au-dessus avec une entrée commune. Mon père, quand il venait me visiter, trouvait cela bizarre au début. Mais c’est tout. Ma famille est attachée à la valeur humaine des personnes avant tout. Mes parents ne feraient pas non plus l’apologie de l’homosexualité. D’ailleurs, je pense que lorsqu’on fait l’apologie de quelque chose, on ghettoïse et je n’aime pas les ghettos.
Sur ta propre orientation sexuelle, as-tu eu des doutes ?
Non, je suis ben ben aux gars. C’était clair très jeune dans ma tête. Je n’ai jamais eu aucun doute là-dessus. J’ai eu des amies lesbiennes sans pour autant me sentir en danger. Pendant mon adolescence, les gais n’existaient pas pour nous, il n’y avait que des tapettes. Ce n’était même pas méchant, c’était le seul mot que l’on connaissait. À l’école secondaire, je n’avais aucune conscience que quiconque autour de moi pouvait être gai. C’est encore au conservatoire où j’ai rencontré des lesbiennes. Il y en avait une qui m’avait invitée chez elle parce qu’elle voulait coucher avec moi. J’ai été obligée de lui dire que ce n’était pas possible. Je la trouvais très belle, très fine, formidable mais je n’éprouvais aucun désir pour elle. Je considérais que la fille avait le droit de s’essayer de la même façon qu’un gars se serait essayé. À la limite, je trouvais qu’elle avait une très grande confiance en moi pour aller jusque-là, parce qu’elle savait que je ne la repousserais pas méchamment. Je pense qu’elle a eu de la peine, mais ce sont les mêmes risques quand tu cruises, que tu sois un hétérosexuel ou un gai.
Par le milieu du spectacle, tu en côtoies beaucoup ?
Là, tu rentres dans un monde où il y en a beaucoup, beaucoup, plus de garçons que de filles en général. Je dois t’avouer qu’il y a des gais avec qui c’est difficile de faire des scènes d’amour. Ce n’est pas qu’ils nous écœurent — ils sont souvent bien cutes — mais parce qu’il y en a certains dont on a l’impression qu’ils ne savent pas dealer avec le corps d’une femme. On dirait qu’ils ont peur de lui faire mal, je ne sais pas, il y a comme un malaise. J’ai l’impression, qu’eux-mêmes se mettent des barrières et qu’ils pensent qu’on n’aimera pas cela. Mais c’est rare, je te dirais même, qu’au contraire, il y a une certaine liberté à jouer des scènes d’amour avec des gais, parce qu’il n’y a pas de rapports d’ambiguité. Les quelques expériences négatives sont arrivées avec des jeunes comédiens dans le début de la vingtaine qui n’avaient pas beaucoup d’expérience comme acteur, ou encore qui ne s’assumaient pas en tant qu’homosexuels. Mais c’est peut-être sans aucun fondement, ce que je dis, mais c’est ma sensation à moi.
Penses-tu qu’il soit plus difficile de faire sa sortie quand on est acteur ou chanteur ?
Dans certains cas, de le dire peut mettre la carrière en péril. Il y a deux sortes de show-business, il y en a un qui fait plus appel au commerce que l’autre. Plus le produit est gros, plus il est diffusé, plus il repose sur les épaules d’un comédien. Je ne pense pas que dans le théâtre ou même ici à la télé, cela puisse nuire à la carrière d’un acteur ou d’une actrice. Je regarde Ellen, qui a un sit-com sur son dos, ça peut être risqué. Mais je pense que le problème n’est pas tant pour les acteurs que pour les chanteurs, les vedettes rock par exemple. Le comédien, il joue constamment quelqu’un d’autre alors que le public idolâtre la personne dans le chanteur. Si un chanteur dit qu’il est gai, peut-être que sa compagnie de disques va lui dire : «Ce n’est pas possible, on va perdre telle partie de ton public ».
C’est le cas pour un certain nombre de chanteurs de charme au Québec…
Évidemment, bien sûr. Ils n’ont pas le droit de dire qu’ils sont gais parce qu’ils chantent des
chansons d’amour pour les femmes. Ce n’est pas juste des vieux chanteurs, il y en a de très jeunes. Je trouve cela extrêmement triste car ils ne peuvent pas vivre leur vie comme ils le veulent. Quand une personne publique donne une image X et que dans la vie privée, elle est Y, c’est de la schizophrénie. De toute façon, la plupart des gens qui achètent leurs disques le savent et ça ne les dérange pas.
Si ce n’est pas le public, qui porte la responsabilité du silence de beaucoup de gais quant à leur orientation sexuelle ?
Ce sont les producteurs. Ils ont peur de perdre de l’argent. Les milieux les plus réactionnaires sont les producteurs, les grandes compagnies. Ce sont eux qui mettent des freins beaucoup plus que les gens ordinaires. Pour les gens ordinaires, c’est très simple. Il suffit qu’ils connaissent un gai et tout est démystifié. Ça ne prend pas deux jours. Des siècles et des siècles de jugements sur les gais peuvent être démolis en deux jours, quand ils en rencontrent un et qu’ils prennent un café avec lui. Et c’est fini. Les gens ont du cœur et les compagnies n’en ont pas. Les compagnies pensent rendement, perte, profit. Les gens ordinaires ne raisonnent pas comme cela, et c’est très facile de les faire changer.
Tu fais plus confiance au public,au grand public pour accepter les changements ?
Attention, si les gens voient à la télé un reportage sur l’Halloween dans le Village, ils vont se demander ce qui se passe. La même chose, lors de la parade, les drag-queens, les folles, ça ne passent pas pour eux. Ils peuvent les trouver drôles mais ils n’iraient pas prendre un café en leur compagnie. C’est tellement loin de leur vie à eux. En fait, les gens ont besoin du cas par cas pour mieux évaluer ce qu’est un gai. Je suis peut-être complètement dans les patates en disant cela, mais je fais confiance au coeur. Je n’aime pas les gens qui jugent les gais en masse comme je n’aime pas les gais qui jugent les hétéros en masse. Je ne juge pas les gens sur ce qu’ils font dans leur chambre à coucher.
Penses-tu que la société québécoise est beaucoup plus tolérante ?
Je pense que oui. Comme nous-mêmes (les Québécois), nous sommes une minorité, on comprend encore mieux, on a plus de tolérance envers les minorités. J’ai l’impression que les Américains sont moins tolérants, malgré ce que disent certains. Tu sais, je travaille dans un milieu privilégié, où il y en a tellement qu’on n’en parle même plus. Je ne dis pas que j’invite à souper un ami gai, mais un ami. Ça ne me viendrait même pas à l’esprit.
Existe-il pour toi un lobby gai dans le milieu artistique ?
On ne peut pas reprocher à une certaines catégories de gens d’avoir un intérêt pour un secteur. La seule affaire qui m’a tannée il y a quelques temps déjà, c’est qu’aussitôt qu’il y avait un spectacle qui parlait de gais, certains critiques aimaient. Peu importe la valeur de l’œuvre en question, les critiques étaient très bonnes. Pourtant, si je n’aime pas une pièce de Brad Fraser, cela ne veut pas dire que je n’aime pas les gais. Mais de là à parler de lobby, je le prends difficilement. On ne peut pas reprocher aux gais de tripper pour les arts de la scène. On ne va pas commencer à dire à un jeune gai qui veut devenir comédien : «Dans le monde du spectacle, il y en a beaucoup trop alors tu vas faire un cours de mécanique.» Je pense aussi que les gens qui ont su très tôt qu’ils étaient gais se sont posés beaucoup plus de questions sur eux, sur le sens de leur vie — beaucoup plus que les hétérosexuels — et que cela les a amenés vers des jobs artistiques. Je n’en sais rien. Mais le problème, ce n’est pas le nombre de gais dans le milieu artistique, c’est d’en faire l’apologie ou de dire qu’il y en a trop. Dans les deux cas, ça génère de l’exclusion, ça ghettoïse.
Ta réaction devant ton fils s’il te disait qu’il est gai ?
Je n’ai pas encore d’enfants. Mais probablement que je trouverais cela difficile. J’aurais peur qu’il se fasse écœurer, qu’il ait de la peine. J’aurais peur qu’il en arrache. Ce doit être la même chose quand tu adoptes un enfant noir et qu’il soit confronté au racisme. J’aurais peur qu’il souffre davantage que ce qu’on a déjà à souffrir dans la vie (rires). Mais je connais des parents qui ont des enfants gais et ça se passe admirablement bien. Et puis je crois que les parents préfèrent savoir. J’ai une de mes cousines qui est lesbienne et à partir du moment où elle l’a dit, j’ai senti que ses parents étaient très soulagés.