Deux livres qui traitent chacun à leur façon, c’est-à-dire dans une langue qui leur est propre et irréductible, d’une relation sexuelle où dominé et dominant mènent une lutte à finir. Prisonniers dans la cage que peuvent constituer un salon et une chambre à coucher. Le tout sous le signe de la maladie et de la mort.
Le narrateur de La vie privée, deuxième roman du Français Olivier Steiner, est devenu gardien, à la fois homme de ménage et infirmier d’Émile, un vieil homme qui repose sans vie dans une chambre au premier étage.

Il se prénomme Olivier (comme l’auteur) et a passé un pacte avec celui-ci: il en prend soin et en échange, Émile lui permet d’écrire. Tout est silencieux dans la maison. Olivier attend un homme, celui à qui il a donné son accord pour une relation de domination. Il a un plan cul avec cet inconnu qui pourrait être n’importe qui.
Pendant quelques heures, son partenaire prendra littéralement possession d’Olivier dont le seul but est d’amener celui qui le domine à la jouissance en lui permettant de faire ce qu’il veut de son propre corps. Olivier s’abandonne, s’humilie, devient l’esclave de l’autre et celui de ses propres pulsions.
Il est prêt à tout sous les ordres de l’homme: son corps doit souffrir, s’étouffer, se briser. L’homme est un marteau et lui, l’enclume. Olivier n’est pas une victime consentante, mais une offrande généreusement ritualisée. Tout ça alors que le corps d’Émile refroidit peu à peu à l’étage supérieur.
Cette relation ne serait sans doute qu’un cliché si ce n’était de l’écriture minutieuse et soignée d’Olivier Steiner et de la structure savante de son roman qui mêle deux niveaux où s’agitent en simultané l’existence d’Olivier et celui du vieillard. Le corps vivant de l’un et le corps mourant de l’autre; le corps jouissant et le corps immobile; Éros et Thanatos.
Un livre sublime qui n’est pas sans rappeler ceux d’Hervé Guibert, notamment La mort propagande et Les chiens.
Le Québécois Mathieu Leroux, dans son premier roman Dans la cage, à l’écriture pulsée et rageuse, relate également, dans sa partie principale, une relation sadomasochiste. Son livre est un trip à la puissance d’un psychotrope. Son jeune narrateur est à la recherche d’une proie dans les bars, qu’il veut ramener dans sa cage, sa chambre. Son cœur cogne tout le temps, et le nôtre aussi devant son délire de domination qui laisse à peine le temps de reprendre son souffle.
Divisé en dix chapitres surtitrés en alternance «Intérieur» et «Extérieur», l’auteur nous fait entrer dans la vie — qu’on pourrait qualifier de misérable — du narrateur qui compte également un frère ainé revenu sidéen de San Francisco, une mère nommée Hedda Gabler (mais pas aussi courageuse que celle d’Henrik Ibsen) et un beau-père cancéreux.
Il est membre d’une famille où règnent l’amertume et l’ennui. Est-ce pour échapper à ce clan accablé et accablant que le fils cadet cherche une bête pour sublimer au gré d’un enfer sexuel? Une victime, un guerrier qui le poussera aux limites de son moi, de son monde, hors de sa cage?
La drogue devient rapidement inséparable de la baise. Il a ainsi le sentiment d’atteindre une vie plus pure, dégagée de toute contingence sociale, quand il s’agit d’embrasser, de dénuder, de sucer, de pincer, de mordre, de cracher, de piquer avec une aiguille, de frapper le visage, de déchirer la peau avec un tesson de bouteille de bière.
La violence se veut un jeu; la douleur s’assume comme plaisir. Mais, à la fin, le traqueur se fait rattraper par la maladie. Le fauve est dorénavant meurtri : tout s’écroule. Son frère meurt, mais il s’efface pour lui, dit-il.
Ce livre à l’atmosphère furieuse et étouffante raconte la survie d’un enfant des ténèbres — qui n’est pas sans rappeler le Philippe de Faire des enfants du dramaturge Éric Noël — qui veut encore et toujours continuer à rugir, à exploser, à foudroyer hors de sa cage.
La vie privée / Olivier Steiner. Paris, Gallimard/L’arpenteur, 2014, 147 p.
Dans la cage / Mathieu Leroux. Montréal, Héliotrope, coll.: K, 2013, 181 p.