Le Paris passé et présent forme en grande partie le paysage de ces deux romans, Deux amantes au Caméléon de l’Américaine Francine Prose et Histoire de l’amour et de la haine du Français Charles Dantzig. Très différents l’un l’autre, mais la capitale française y est présentée sous différents visages, à la fois avenants et désagréables.
Francine Prose ressuscite le Paris de l’entre-deux-guerres, le tout-Paris, devrait-on dire, celui du milieu artistique et des émigrés riches. C’est une ville libre, folle, où tout semble permis, de la drogue à la sexualité sous toutes ses formes. En son centre, Violette Morris, lesbienne, qui a réellement existé et qui apparaîtra ici sous le nom de Louisiane Villars, dite Lou.
Prose ne pouvait qu’être fascinée par cette ancienne gloire du sport, invitée d’honneur aux Jeux olympiques de Berlin de 1936. Elle deviendra alors espionne pour le compte de l’Allemagne et collaboratrice du gouvernement de Vichy. La romancière nous la présente grâce au procédé de l’alternance des points de vue des personnes qui l’ont connue.
En tout premier lieu, la patronne de la boîte de spectacles, le Caméléon, fréquentée par des homosexuels tant masculins que féminins, et où Lou se produit en danseuse. Il y a le photographe hongrois Gabor, inspiré de Brassaï qui a pris la vraie photo intitulée « Deux amantes au Caméléon » sur laquelle apparaît Violette Morris. Puis l’écrivain américain Lionel Maine, Suzanne, sa petite amie et celle de Gabor, la baronne Lily de Rossignol et bien d’autres, qui participent, sous forme de lettres ou d’extraits de journal et de roman, à ce portrait de Lou qui, elle, ne s’exprimera jamais dans le récit.
Paris est une fête perpétuelle jusqu’au milieu des années 30, car il y aura la montée du nationalisme, de l’antisémitisme, de la menaçante Allemagne. La Ville Lumière devient sombre, et Lou découvre trahisons et amertume et se réfugier en Allemagne. En fait, le mal s’est éveillé en elle et ne la lâchera pas (la deuxième moitié du livre est passionnante dans la description de ce mal rampant).
Par la multiplicité des personnages, la durée temporelle, le mélange de faits vrais et inventés, de personnages de fiction et réels, Deux amantes au Caméléon est un roman complexe et déroutant, où le Paris des folies de toutes sortes peut plonger quiconque en enfer.
Cette ville qu’on aime, caractérisée par un esprit de liberté et où les tabous et les censures n’existent pour ainsi dire plus, cette ville est devenue laide, haineuse, homophobe lors des immenses manifestations contre la loi du «Mariage pour tous» en 2013. Nous qui pensions ici, au Québec, que cette loi passerait comme une lettre à la poste, nous sommes restés atterrés par cette France droitière et, dans son fond, vichyste qui a déferlé sur Paris.
Charles Dantzig a pris prétexte de cette opposition violente au mariage homosexuel pour dresser une sorte d’ode aux gays d’hier et d’aujourd’hui. Cette Histoire… est une longue et hybride réflexion sur l’amour homosexuel, le sexe et ses pratiques, la beauté et la jeunesse, et ce, à travers sept personnages.
On y trouve un écrivain, Pierre, en panne d’inspiration; sa lectrice, Ginevra; Ferdinand, étudiant, et son père député homophobe; un couple de gais branchés formés d’Armand et d’Aaron; et une très belle jeune femme, Anne. Ils habitent tous Paris, qui est pour beaucoup d’homosexuels un paradis – mais, cette fois, ils sont menacés d’aller en enfer avec le mariage pour tous. Paris ne serait donc plus Paris !
Charles Dantzig, qui aime les dictionnaires, multiplie les anecdotes, les réflexions, les citations, les aphorismes, les traits positifs (pour les homos) et négatifs (pour les hétéros) dans une érudition à couper le souffle.
On trouve de tout dans ce faux roman sur la liberté sexuelle et ce qu’en font les Parisiens. En vérité, l’écrivain se révèle moraliste; il est parfois brillant, parfois sentencieux, quelquefois épatant, mais d’autres fois exécrable. Son Histoire de l’amour et de la haine est comme une auberge espagnole, il peut parler de tout : de la pornographie, du sourire, du sperme, de l’usage du fauteuil, du lit, du téléphone, de la tristesse, de la place de la Concorde, et tutti quanti.
C’est un traité du bon goût et de la beauté et une thèse échevelée sur les amours homosexuelles de tous les pays et de tous les temps. Par ses délires et ses obsessions, ce roman est global, encyclopédique, cyclopéen.
Deux amantes au Caméléon / Francine Prose, traduit de l’anglais (États-Unis) par Dominique Letellier. Paris: Gallimard, 2015. 472p. (coll. : Du monde entier)
Histoire de l’amour et de la haine / Charles Dantzig. Paris: Grasset, 2015. 476p.