En 2006, Montréal LGBT vit à l’heure des Outgames. Une grande rencontre internationale sportive mais aussi une grande rencontre sur les droits des personnes LGBT. Pendant plus d’une semaine, les yeux sont tournés vers cet événement qui accueille 10 000 athlètes et attire 500 000 spectateurs. Beaucoup se souviennent encore de la cérémonie d’ouverture au Stade Olympique. D’autres retiennent la présence de 1 500 délégués présents pour la conférence qui aboutira à la Déclaration de Montréal sur les droits des LGBT à travers le monde. La Déclaration officialise le 17 mai comme journée internationale contre l’homophobie et sera déposée officiellement aux Nations Unies.
Les Outgames 2006 sont encore évoqués sur la scène internationale comme un moment marquant de l’histoire des communautés LGBT, ce qui ne sera pas le cas de la presse québécoise qui focalisera sur le bilan financier déficitaire pour remettre en question la nécessité d’accueillir des événements de cette envergure. À la tête des Outgames, une femme, Louise Roy, qui contre vents et marées – rupture avec les Gay Games après que Montréal a été choisi comme la ville hôte, critiques de certains – maintient le cap. Comme elle le souligne dans l’entrevue, ce succès est lié en grande partie aux membres de l’équipe qu’elle a réunis autour d’elle et qui seront les artisans de cette rencontre. Aujourd’hui, partageant sa vie entre Amsterdam et la Bourgogne en France, Louise Roy, revient sur ce qu’elle considère comme une réalisation dont elle est la plus fière.
Dix ans plus tard, quel constat fais-tu de ces Outgames ?
Plein de beaux souvenirs. D’abord, je crois que les Outgames ont été un catalyseur pour beaucoup de choses. Pour nos communautés LGBT, pour l’équipe qui a travaillé pour les Outgames et qui est restée très impliquée dans le communautaire, certains sont à Fierté Montréal aujourd’hui. Et peut-être aussi pour Montréal où il n’y a plus eu depuis 2006 d’événement touristique de cette ampleur. Et on ne peut oublier l’impact de la première et plus grande conférence internationale sur les droits LGBT et la Déclaration de Montréal. Il n’y a pas de grandes rencontres internationales LGBT aujourd’hui où l’on ne fait pas référence à Montréal et à la Déclaration. Je m’en suis aperçue lors des autres éditions des Outgames, surtout à ceux d’Anvers où j’ai participé à l’organisation.
Ce n’était pas évident au départ de faire venir autant de conférenciers et bien entendu de pays où il est difficile d’obtenir un visa pour le Canada. Il fallait aussi pouvoir défrayer le coût de certains participants qui n’avaient pas les moyens de se payer un billet d’avion. Mais nous avons réussi. L’idée d’amener la question des droits, et ne pas seulement en faire qu’un événement sportif, s’est imposée rapidement à l’équipe. D’autant que le Québec a toujours été à l’avant-garde. Et il faut encore en parler. J’étais en France au moment des manifestations contre le mariage des homosexuels, et j’ai donc vu que, même dans les pays occidentaux, ces droits étaient fragiles. Si nous ne nous occupons pas de nos droits, ils reculent, nous devons rester sur nos gardes.
Comment t’es-tu retrouvé à la tête de ce projet ?
Outre que je sois ouvertement lesbienne, c’est parce que j’avais une expérience et des réalisations semblables à mon actif comme le Tour de l’île. J’assurais la direction des tournées du Cirque du Soleil. C’est Charles Lapointe de Tourisme Montréal qui m’a fait la proposition, et on a commencé à partir de zéro. Nous avons donc commencé par créer un organisme avec un conseil d’administration, puis on a monté un projet qui se tenait. Je pense qu’un des grands succès a été notre plan médiatique mondial qui vantait Montréal. Ce n’était pas seulement pour la qualité de la vie mais en présentant la ville comme progressiste qui s’occupe des droits des communautés LGBT. Des journalistes du monde entier sont venus couvrir l’événement. Et puis, c’est aussi une grande première, nous avons été capables d’obtenir du financement et pas seulement des différents paliers de gouvernements mais du privé aussi, en déve-loppant des partenariats. Nous avons, en ce sens, vraiment arrimé la communauté des affaires et nos communautés et je crois que nous voyons aujourd’hui que c’est beaucoup plus facile à faire.
Ce que je garde aussi en mémoire, c’est que dès le début du processus, nous avons gardé la même équipe jusqu’en 2006. On a beaucoup travaillé et, en même temps, on a eu beaucoup de plaisir ensemble.
La fin des Outgames a été marqué par ce que l’on a appelé le scandale financier ?
Hélas, oui. Il a suffi d’un article dans le Journal de Montréal pour que le reste de la presse suive le mouvement. Des chiffres invraisemblables ont été avancés, comme 5 millions de dollars de déficit. Ce qui est absolument faux! Bien sûr, il manquait de l’argent pour boucler l’exercice financier, mais nous étions en train de régler la question quand la nouvelle est sortie. Et comme cela faisait la manchette des journaux, le gouvernement québécois, par la voix de la ministre Nathalie Normandeau, s’est retiré des discussions. Peut-être un des premiers événements à être largués par les pouvoirs publics. Et c’est dommage car des contrats avec des fournisseurs n’ont pu être honorés. Il faut aussi rappeler que les hôteliers n’ont pas respecté le contrat qu’ils avaient avec nous, c’est-à-dire de reverser un pourcentage par nuitée au cours de l’événement. Si c’était à refaire, je contraindrai les hôteliers à respecter leur engagement plus rapidement. Nous avons donc eu un manque à gagner d’environ 600 000 $ qui aurait dû réduire le déficit qui est de 1 million. Il faut rappeler que les Outgames ont coûté 15 millions de dollars, avec des subventions publiques de 4 millions. Compte tenu de toutes les retombées économiques, de la visibilité donnée à la ville de Montréal pendant cette semaine-là, et de son aura actuellement à l’échelle internationale, le déficit est peu, même si tout à fait malheureux j’en conviens, surtout pour de petits fournisseurs. Je pense que les pouvoirs publics auraient pu être un peu plus généreux. Mais nous étions aussi dans une mauvaise période, avec le scandale des commandites au Fédéral, et le déficit de 4 millions de dollars des compétitions de natation de la FINA en 2005.
On nous a reproché aussi notre silence quand le scandale a éclaté. C’est peut-être vrai. Mais moi, j’étais brûlée après dix ans de ma vie passée à organiser les Outgames. Et je trouvais dommage que l’on mette l’emphase sur le déficit oubliant les retombées économiques engendrées pour la ville. Je n’avais plus le goût de me battre. Tout comme je trouvais indécent que les pouvoirs publics nous abandonnent au dernier moment mais je pense qu’il y avait des considérations politiques qui ont joué dans cet abandon.
Cela ne m’empêche pas de penser que nous avons fait un super travail et que je suis heureuse du résultat. En plus, j’y ai rencontré l’amour de ma vie, une néerlandaise avec laquelle je me suis mariée et avec qui je vis depuis.
Que devient Louise Roy aujourd’hui ?
Après les Outgames, j’ai travaillé auprès de femmes pour leur enseigner comment démarrer une entreprise, comme monter un projet d’affaires pendant quelques mois, puis je me suis installée avec celle qui allait devenir ma femme aux Pays Bas. J’ai appris le néerlandais et suis devenue citoyenne néerlandaise. Et comme mon épouse avait une maison en Bourgogne, on vit entre Amsterdam et cette région de France où beaucoup de Néerlandais ont des maisons soit pour leur retraite, soit pour leurs vacances.
Nous nous occupons d’un magazine associatif sur la toile. J’en suis l’éditrice et mon épouse la rédactrice. En fait on sert de relais entre les néerlandophones et les Français de Bourgogne. Je suis aussi sur le conseil d’administration d’un office de tourisme qui regroupe 6 communes de la région. J’adore m’impliquer et cette implication facilite l’intégration et l’on dépasse ainsi les différences culturelles.
Pour moi, c’est important. J’ai toujours été engagée et je le resterai surement toujours. En ce sens, les Outgames de Montréal représentent une des réalisations dont je suis la plus fière, fière aussi d’avoir pu travailler avec une équipe exceptionnelle durant toutes ces années de préparation. Et beaucoup conserve un excellent souvenir ici comme ailleurs de cette semaine-là.