À l’automne dernier, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) choisissait Gabrielle Bouchard comme présidente. Ce qui apparaissait comme une preuve de maturité du mouvement féministe a suscité beaucoup de réactions dans la presse généraliste. Comment une femme trans pouvait-elle être au fait des problématiques et des défis des femmes en général. Au-delà de la polémique qui s’est estompée, Gabrielle Bouchard s’est attelée à ce qu’elle considère comme les prochains défis pour le mouvement des femmes, pour les femmes en général.
Ton parcours, tes engagements, tes réflexions précédentes te donnaient-ils l’expérience pour occuper un tel poste ?
Bien sûr ! Mon véritable engagement dans le militantisme féminisme commence mon arrivée à l’Université Concordia en 2009. Avant, je travaillais dans le corporatif, j’étais gestionnaire de projets en informatique mais il y avait un aspect dans ma personnalité une très grande sensibilité aux enjeux des femmes. À Concordia, en 2011, trois personnes d’horizons totalement différents et proches de moi m’ont dit que je devrais appliquer pour le poste de coordonnatrice du Centre de lutte contre l’oppression des genres. J’ai eu le poste ce qui m’a permis de grandir dans un féminisme intersectionnel, et de grandir aussi dans la question de l’inclusion spécifiquement de genre, avec une focalisation sur la compréhension des marginalisations et des oppressions.
Ce sont encore des femmes de mon entourage de moi qui m’ont approché pour que je présente ma candidature à la FFQ. J’ai bien réfléchi avant de prendre cette décision. Comme j’étais une militante de première ligne, comme féministe intersectionnelle et comme femme trans, et qu’on venait me chercher, je me suis dit : «pourquoi pas», d’autant que la FFQ était engagée dans une compréhension différente du féminisme qui me rejoignait. Je pouvais peut-être ajouter ma contribution dans ce changement.
Cette nomination a suscité beaucoup de polémiques l’automne dernier, mais elles ne sont pas venues de l’intérieur du mouvement des femmes mais de l’extérieur ?
Il ne faut pas se le cacher, il y a des résistances au sein du mouvement face à ma nomination, comme un vieux fond de transphobie qui resterait. Mais au moins, on peut en parler, et je suis toujours ouverte avec les groupes de femmes ou des femmes à en parler. Une résistance mais avec des espaces pour en parler, et je suis tout à fait à l’aise avec cela. Je savais qu’il y aurait des réactions négatives, mais je ne pensais pas qu’elle se ferait avec autant d’acharnement.
Par exemple, Denise Bombardier a consacré trois chroniques pour remettre en cause ma nomination. Elle s’est fait l’amplificatrice du mouvement transphobe, presque la porte-parole. Et ce qui veut tout dire, ces chroniques ont été reprises sur le site de La Meute à Québec.
En repensant à la polémique autour de ma nomination, je me suis rendue compte que nous étions dans une société où on tolère les personnes trans mais à condition qu’elles ne sortent pas de la boîte dans laquelle elles sont assignées. En somme, qu’elles ne se mêlent pas d’autres choses que des questions trans, car dans ce cas elles dérangent, elles embêtent.
La journée internationale des femmes le 8 mars dans la foulée du mouvement Me Too?
Le 8 mars est une journée importante car la FFQ joue un rôle important dans certaines des célébrations. Nous faisons partie du Collectif 8 mars qui regroupe des syndicats et des organismes de diverses origines, ensemble on prévoit des actions et des campagnes, cette année le slogan est : Le féminisme, tant qu’il le faudra! Ce qui veut dire que l’on est féministe et que l’on travaillera sur ces enjeux-là tant qu’il faudra le faire. Notre rôle est de représenter les avancées collectives et de défendre la pluralité des expériences. Je serai donc fièrement la porte-parole du Collectif du 8 mars.
Cela s’inscrit dans le mouvement Me Too qui a cristallisé un besoin de conversations. Il y a deux ans je crois, il y avait eu le mouvement Agressions non dénoncées, qui avait connu un pic avant de redescendre. Avec Me Too, il y a aux États-Unis Time’s Up. On est vraiment dans une conversation qui est là pour rester, c’est un moment important pour le féminisme, parce que l’on parle d’enjeu qui était trop individualisé, ou que l’on balayait sous le tapis.
Mais avec le mouvement Me Too, derrière les agressions sexuelles et le harcèlement, il est toujours question du pouvoir masculin ?
La question de l’abus nécessite une réflexion en profondeur. Sans dire que tous les hommes sont des agresseurs, il faut réfléchir aux raisons pourquoi plusieurs femmes en ont l’impression. Quand un homme fait un compliment à une femme, on peut lui demander s’il le ferait… à un homme par exemple. Combien d’hommes ne supporteraient pas qu’un gai leur fasse un compliment qui sous-entend le désir sexuel. Bien des hommes hétéros ne supportent pas d’être objectivés, considérés comme de simples objets sexuels, mais il leur vient rarement à l’idée qu’ils font subir la même chose à des femmes qu’ils côtoient. Pourquoi? doit-on se demander… Et, du côté des communautés LGBTQ2+, le sexisme, le racisme, la transphobie et la lesbophobie subsistent encore.
Nous devons réfléchir à la question de l’abus : les femmes, pour une égalité entre elles, mais aussi les hommes prendre part à cette réflexion. Les discussions seront difficiles (sans doute), mais j’ose espérer qu’elles seront profitables pour l’ensemble de la société. Mon rôle principal, à la FFQ, sera avant tout de replacer au centre de notre combat, les femmes marginalisées qui n’ont pas bénéficié de toutes les avancées du féminisme, qui ont été exclues, pour qu’on puisse enfin les entendre.