En novembre 2017, à 45 ans, Julie Lemieux devient non seulement la première femme mairesse de Très-Saint-Rédempteur, mais la première mairesse trans élue au Québec et au Canada. D’un parcours atypique, cette pionnière possède une personnalité des plus attachantes. Après plus d’une décennie de journalisme pour Fugues, cette entrevue des plus authentiques fut sans conteste la plus longue, mais aussi la plus drôle! Résumé d’un deux heures de conversation avec une mairesse volubile et colorée qui n’a pas la langue de bois.
De l’ébénisterie à la politique
L’entrevue débute en humour. Sans conteste, Julie Lemieux aurait pu en faire une carrière, si elle n’avait pas été «trop vieille», ajoute-t-elle à la blague. Or, si Julie sait jouer avec les mots, elle est loin d’avoir la langue de bois! Ce reproche fait à maints acteurs politiques n’est guère applicable à l’ébéniste de formation, au parcours (et à la personnalité) atypique. Son désir de changer les choses façonnera son parcours vers la politique: «Altruiste, j’ai toujours été une personne qui aime aider les autres… Jeune, j’étais souvent la seule à demander à ma tante si elle avait besoin d’aide pour laver la vaisselle… Je travaille de mes mains depuis toujours. Il y a près de 10 ans, lorsque je suis arrivée à Très-Saint-Rédempteur, il y a eu un débat sur une de mes passions: le patrimoine construit.»
Cette campagne pour réhabiliter une église catholique destinée à la démolition en un centre culturel et communautaire, marquera les débuts de Julie en politique municipale: «Beaucoup étaient pour la revitalisation du patrimoine, malgré la résistance de plusieurs», explique Julie, non sans souligner l’ironie des valeurs judéo-chrétiennes associée au fait de démolir une église dans une localité nommée Très-Saint-Rédempteur: «J’ai des valeurs catholiques et la sauvegarde était importante pour moi d’un point de vue historique et culturel. C’est ironique que moi, trans, arrive en politique avec ce désir de sauver un patrimoine bâti religieux et, du même coup, ne pas être reconnue par l’Église catholique. De tous les villages et villes du Canada, je suis la première mairesse trans élue, dans un endroit nommé Très-Saint-Rédempteur! On en aurait écrit un scénario de film et on aurait dit: tu pousses pas mal le bouchon ou t’en as fumé du bon!»
Parlant cinéma, Julie m’explique sa participation à un documentaire sur Canal Vie en 2009. À la question, où te vois-tu dans quelques années, Julie répondra : «Mairesse de Très-Saint-Rédempteur?!» Cette prophétie sera coupée au montage.
Prendre sa place, écrire l’Histoire
Pourtant invraisemblable, l’histoire est bien réelle. Julie passe d’abord à l’Histoire alors qu’elle est élue au conseil municipal de Très-Saint-Rédempteur en 2013. Puis, lors des élections municipales de 2017, elle écrit une page d’histoire, devenant la première mairesse trans élue au Canada.
Dans ce village d’un peu plus de 900 âmes, situé dans le comté de Vaudreuil-Soulanges, en Montérégie, elle rallie 48% des voix: «C’est sûr que ça m’a beaucoup étonné, mais j’ai fait une bonne campagne. Le but n’était pas de parler de moi, mais de ce que je ferais pour la communauté.» Ce qui n’a pas empêché ses opposants de tenter de dénigrer sa candidature en lien avec sa transsexualité, «mais étant donné qu’on avait déjà tenté de le faire en 2013, ça m’a juste fait de la publicité pour ceux qui s’en souvenaient plus! C’était assez connu que j’étais trans et comme je m’occupais des loisirs, j’étais en contact avec les gens. Ils connaissaient avant tout ma personne».
D’ailleurs, c’est davantage son authenticité qui fait jaser: «Les gens me disent: Julie quand tu nous parles, on sait que tu ne fake pas, tu penses vraiment ce que tu dis, c’est naturel!», ce qui plait aux citoyens, mais qui n’est guère sans heurts au sein du milieu politique. Cela dit, «je suis une force tranquille, j’observe beaucoup avant d’agir. Par l’écoute et mes actions, j’essaie d’éduquer les gens sur une réalité qu’ils connaissent moins, car ça ne fait pas partie de leur vie. Je dis souvent « n’essayez pas de comprendre d’où vient la transsexualité, nous-mêmes on le sait pas!», ajoute Julie à la blague avant d’enchainer fièrement: «Puisqu’il n’y avait pas d’organisme LGBTQ+ dans Vaudreuil-Soulanges, j’ai récemment appuyé une initiative, en collaboration avec l’expertise du West Island LGBTQ2+ Centre, en faisant une demande au Conseil de le la MRC pour démarrer le groupe.»
Pionnière et modèle
Drummondvilloise d’origine, Julie me raconte son parcours sur les bancs de l’école La Poudrière. Teinté d’un désintérêt face à l’offre académique sans défi, menant à un décrochage, mais aussi à l’histoire de Francine Ruest Jutras, qui après avoir été conseillère municipale de 1983 à 1987, deviendra mairesse de Drummondville jusqu’en 2013. Cette femme politique sera un modèle pour Julie. Avant de marquer l’Histoire, Julie retournera sur les bancs d’école à l’âge de 28 ans, afin de terminer son DES, puis faire son entrée au Cégep.
«En fait, je me dévaluais beaucoup. Quand tu ne te considères pas vraiment comme une personne, un être humain à aimer, en partant, tu ne peux pas te dire que tu es brillante! Quand tu n’es pas dans le bon corps et que tu penses que tu es de la marde, tu n’arrives pas à te rendre compte de ta valeur. Donc, tu axes l’importance sur l’autre. C’est de cette façon que je me suis développée… Du pourquoi je suis en politique.»
Si Julie se dévoue corps et âme à la politique, cette célibataire endurcie, par choix (depuis près de 24 ans) est aujourd’hui un modèle pour plusieurs par ses actions, ses gestes, ses paroles. De son parcours pionnier, elle est devenue une personnalité publique.
Les médias d’ici et d’ailleurs se sont intéressés à elle: «À ma grande surprise, quelqu’un avait créé une page Wikipédia, on voulait prendre des selfies avec moi! Châtelaine Canada m’avait mis dans sa liste des 33 personnalités féminines ayant marqué l’année 2017. Je regarde la liste… Taba*&?%! Valérie Plante, Rachel McAdams… Hey, j’étais avant Margaret Atwood et Shania Twain! J’avais ce sentiment d’imposteur… Je vaux cette couverture médiatique? C’est très confrontant. L’acte pionnier est plus grand que nous et c’est dans les répercussions qu’on le réalise. Je ne me lève pas le matin pis le monde m’applaudit… Je ne suis pas Louis XIV… heureusement. Ma vie est comme avant… »