Jeudi, 28 mars 2024
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    Droit de parole et paroles de femmes

    On dit que les femmes sont aujourd’hui libérées, qu’elles ont accès au marché du travail et à l’éducation en toute équité… Vraiment? Ont-elles véritablement le droit de parole? Leur parole est-elle écoutée et réellement reconnue?

    Non. Je ne veux pas paraitre pessimiste, mais soyons réalistes. Les femmes n’ont pas équitablement accès au marché du travail. Des statistiques le prouvent, sans compter les faits probants. Pour exposer mon point, allons-y avec les choux gras et le lucratif contrat de Lionel Messi avec le FC Barcelone d’une valeur de 555 millions d’euros (860 M$ CA) pour quatre saisons de soccer. Pendant ce temps, les joueuses des équipes féminines doivent gérer les «insultes lesbiennes» et pratiquement se prendre un deuxième boulot pour boucler les fins de mois! En 2019, comme le rapporte Le Parisien, les joueuses espagnoles étaient en grève pour obtenir un salaire minimum (16 000 euros annuellement). Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, ces humains pratiquent le même sport.

    Ce microcosme du soccer ne fait qu’illustrer le macrocosme. Là où est l’argent (et les postes de pouvoir), il y a statistiquement moins de femmes. Là où sont les postes décisionnels, avec droit de parole et prise de décision, il y a moins de femmes. Vous me trouvez négative? Certes, bien qu’elle soit appelée à lentement changer, c’est la réalité. Ouvrez votre télévision aux informations. (Perso, j’aime bien RDI et Radio-Canada). Outre le talentueux Patrice Roy, à heure de grande écoute du téléjournal en semaine, les femmes (les talentueuses journalistes-présentatrices Céline Galipeau et Pascale Nadeau) commentent l’actualité (elles en font la narration), mais le scénario demeure écrit par le patriarcat (réalisateurs et rédacteurs en chef demeurent en majorité des hommes). Je ne dis pas que ces gens ne sont pas compétents, au contraire. Je questionne simplement le ratio homme/femme qui est pourtant socialement similaire. Certes, les femmes se retrouvent, au fil des décennies, souvent dans le même rôle (objet, figuratif, paraitre, narrer), alors que les discours sont écrits par des hommes qui prennent également les décisions. Bref, elles servent la narration, plutôt que de la construire.

    En période de pandémie, les anges gardiennes furent remerciés pour leur travail, puisqu’elles constituaient la majorité des travailleuses «au front». Or, dans les points de presse, ceux qui parlent (discours), qui prennent les décisions (application du discours) et qu’on «écoute» (légitimation du discours), ce sont des hommes, les trois mousquetaires (Horacio Arruda, Christian Dubé, François Legault). Jadis, il y avait Marguerite Blais et Danielle McCann, mais il faut avouer que leur apparition à l’écran fut furtive… Marguerite Blais a soudainement disparu des points de presse, alors qu’elle semble une des rares politiciennes à avoir fait des aînés (la population la plus vulnérable à la COVID19) son cheval de bataille… Et pour une raison qui m’échappe, Danielle McCann (ayant longtemps travaillé dans le domaine de la santé) est passée de ministre de la Santé et des Services sociaux à l’Enseignement supérieur, avec beaucoup moins de temps d’antenne… Vous allez me dire que c’est une question politique et que je n’y connais rien. Effectivement, j’en connais peu, comparativement aux médias. Par contre, au XXIe siècle, la politique flirte plus que jamais avec les médias. Une carrière, voire une crédibilité politique se construit (ou chute) avec les médias, parfois en un claquement de doigts. Dans notre culture de l’instantanéité, si on ne vous voit plus (sur divers paliers médiatiques), on vous oublie. Vous disparaissez du discours politique.

    (Espérons que cette phrase sera applicable à Trump qui, à mon sens, a déjà eu beaucoup trop de temps d’antenne). Comme vous êtes tanné d’entendre parler de pandémie, planchons sur un autre exemple irritant: Trump. Pour une figure publique, de surcroît à titre de président américain, il semble avoir fait tous les «faux pas» (politique, éthique, apparence corporelle, etc.) Or, le jugement est beaucoup moins sévère pour les hommes. Par contre, dès que Pauline Marois a un faux pli dans son foulard, on la discrédite. Dès qu’elle exprime une vision politique, on tente de la tuer… Bien sûr, les deux contextes politiques sont complètement différents, mais les critères homme/femme également. Socialement, avouons que nous n’avons aucun problème à remettre en cause, même ridiculiser, la parole d’une femme et son apparence. D’ailleurs, si ce droit de parole n’est guère acquis, lorsqu’il n’est pas bafoué, il est souvent nié… Jusqu’à ce qu’un «sauveur» arrive, car une femme se doit – par tradition – d’être sauvée par (la parole, les gestes) de l’homme…

    Dans La Presse, à travers ses articles Pourquoi tant de haine? (31/01) et Pourquoi tant de haine?(bis) (08/02), Marc Cassivi se porte au secours de Safia Nolin, en nous rappelant que les femmes sont assujetties aux dogmes du patriarcat de par leur apparence, leur statut, leurs dires, leurs gestes, etc. Quelle évidence! C’est toujours bon de le rappeler, car les féministes et les femmes en parlent depuis des décennies, sortent dans les rues et tentent de prendre la plume, la caméra, la peinture, le porte-voix, pour dénoncer les injustices dont elles sont victimes, mais on ne les écoute pas et on leur donne très peu accès aux (grandes) tribunes pour s’exprimer. Ne vous méprenez pas, je n’ai rien contre Marc Cassivi (j’adore ses critiques cinéma, qui constituent sa spécialité, d’ailleurs) et je salue son intérêt pour la cause des femmes et le fait qu’il dénonce les discriminations, la lesbophobie et le sexisme vécus par Safia. Toutefois, j’en ai contre ce système et je questionne la tribune.

    Pendant qu’il valide sa parole dans sa chronique (pour laquelle il est grassement payé), il y a des dizaines de lettres ouvertes rédigées (gratuitement) par des femmes spécialistes de divers domaines féministes, scientifiques, politiques, médiatiques, communautaires, qui s’insurgent des diverses injustices et discriminations vécues au quotidien par les femmes (de Safia, aux anges gardiennes) mais on les écoute peu. Si on leur fait la faveur de publier leurs lettres ouvertes, on ne les paye pas et elles n’ont pas nécessairement l’opportunité du bis. À savoir que bien des femmes (une majorité silencieuse) tiennent le discours de Cassivi depuis des lustres, sans avoir la tribune nécessaire pour être écoutée; le salaire pour réfléchir et écrire leurs expériences. Il serait bien de leur donner davantage le droit de parole, celui d’être écouté, de nommer et dire leurs oppressions. D’utiliser leurs mots, pour écrire leur vécu. Leur statut de femme. Tout en étant payé pour le faire. D’ailleurs, je me considère privilégiée d’avoir cette tribune dans le Fugues, et tente d’y faire honneur.

    À toutes celles et ceux qui sont pour l’égalité homme-femme (car, non, elle n’est pas atteinte), je vous souhaite une belle Journée internationale des droits des femmes!

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