Samedi, 19 avril 2025
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    De la maltraitance à la bientraitance

    L’horrible fin de Joyce Échaquan a de nouveau montré que les situations de maltraitance n’étaient pas exceptionnelles. On pourrait aussi parler de (l’absence de) qualité de vie pour bien des résidents de CHSLD et de maisons de retraite. On pourrait étendre la maltraitance, physique, psychologique, à bien d’autres sphères de la vie publique sans oublier la vie privée, violence faite aux femmes, aux enfants.

    Pas surprenant que nous tentions par tous les moyens de contrer le phénomène en lien avec les préjugés à l’égard de la couleur, du sexe, de l’âge, etc. Tant dans le secteur public qu’au privé, des programmes sont heureusement mis en place pour sensibiliser, éduquer, aux différentes réalités de chacun et chacune pour adopter une attitude plus respectueuse, plus ouverte à la différence, à toutes les différences pour une meilleure inclusion dans une société qui ne cesse de répéter à quel point elle se veut garante de la liberté et de l’égalité. Dans mon parcours professionnel, j’ai travaillé deux ans pour la Fondation Émergence pour le programme Pour que vieillir soit gai.

    Et dans mes toutes petites réalisations pour que les personnes aînées LGBTQ+ soient reconnues et mieux servies dans les milieux les concernant, j’ai été à l’origine de la Charte de la bientraitance envers les personnes aînées LGBTQ+. L’idée était simple, et pas nouvelle non plus. Plutôt que de parler toujours de maltraitance, peut-être fallait-il commencer par le début et rappeler que lorsque l’on travaillait avec le public, la première des qualités à développer, et à garder en tête, était la bientraitance de la personne que l’on allait recevoir, peut-être pour quelques minutes, pour un renseignement par exemple, ou pour quelques mois ou années comme pensionnaire. De plus, la charte revendiquait le choix pour les personnes âgées LGBTQ+ de choisir d’aller vers des services et des institutions qui se prévalaient de cette charte.
     
    J’étais conscient — et je le suis toujours même si je suis toujours d’accord avec le contenu de cette charte — de l’absurdité d’avoir besoin de rappeler des valeurs hautement partagées par nos chartes nationales et que nous nous nous adressions qu’à une catégorie de la population. Une position peut-être absurde diront certains, mais nécessaire à la vue de la situation dans laquelle nous sommes actuellement. Évidemment si chaque groupe minoritaire se dotait d’une charte de la bientraitance, les salles de réception des bureaux, des hôpitaux, des écoles, des entreprises seraient placardées de chartes de bientraitance.
     
    Les petites pancartes rappelant que les insultes ou les comportements agressifs ne seront pas tolérés dans l’enceinte de l’entreprise ou de l’administration ne sont là que pour protéger les employé.e.s. Mais qu’en est-il pour les usagers et usagères ? Les temps d’attente insupportables, les longues minutes perdues au téléphone en espérant que quelqu’un réponde avec cet ironique message qui revient périodiquement : Votre appel est important pour nous. Bien sûr ce n’est pas de la maltraitance certes au sens où on l’entend actuellement, mais ce n’est pas en tout cas de la bientraitance.

    Être réduit à un numéro sur un ticket, ou encore de s’entendre dire que l’on n’a pas le temps, qu’il y a d’autres personnes qui attendent, ou encore qu’un médecin ou un spécialiste ne vous consacre qu’une dizaine de minutes ne relève pas de la violence. Mais toutes ses petites violences symboliques où l’on vous traite sans aucune bienveillance vous réduit à n’être qu’un individu déshumanisé.  Ce concept de bientraitance devrait en fait se retrouver dans toutes les expériences d’interaction avec un fournisseur ou une fournisseuse de service. Le serveur qui traîne les pieds pour vous servir un café, à peine aimable, dérangé si vous demandez un peu plus d’eau chaude dans votre boisson caféinée, n’a aucune idée que son travail implique la bientraitance des client.e.s.
     
    Mais pour que cela fonctionne à son meilleur, il faudrait que celles et ceux qui travaillent auprès du public puissent avoir le temps pour être bientraitant.e.s. Ce qui implique une révision des conditions de travail et aussi des conditions salariales. La pandémie a déchiré le voile autour de ces deux derniers aspects et le manque d’employé.e.s que l’on retrouve actuellement partout est la conséquence d’un système qui a atteint ses limites. On demanderait aujourd’hui d’en faire plus, si l’on pense au système de santé, alors qu’on en faisait déjà trop.


    Et comment demander à des employ.é.s de faire de la bientraitance leur priorité quand elles-mêmes et eux-mêmes ne sentent pas qu’il y a de la bientraitance à leur égard, de la part de leur hiérarchie ou de leurs patrons. En somme, il faut changer la trame narrative de notre histoire collective, redéfinir les bases du contrat social et ne pas se contenter uniquement d’une augmentation de salaire à droite ou à gauche, d’instaurer des programmes d’éducation et de sensibilisation de produire des chartes visant au respect, à la tolérance ou encore au respect quand le système lui-même en est totalement dépourvu, ou lorsqu’il ne réagit qu’acculé au pied du mur. En fait, on ne fait que patcher les voies d’eau dans la coque du navire. 
     
    Je relisais la Charte de la bientraitance pour les personnes aînées de la Fondation Émergence et je me suis pris à rêver. En fait je me rappelais ma vingtaine, où déjà militant, nous souhaitions être des réformateurs sociaux. Pas seulement nous battre pour nos droits et libertés en tant que personnes LGBTQ+ mais pour que nos luttes puissent s’étendre et servir à d’autres catégories de la population laissées pour compte, que nous ferions peut-être une différence dans la trame narrative collective.

    Un rêve, peut-être, mais aussi un espoir.  En prenant exemple sur le travail des  militant.e.s sida qui ont changé les approches dans le milieu médical. Les malades  ne sont plus seulement  des patient.e.s mais des acteurs et des actrices qui participent autant que le personnel soignant à leur mieux-être et  à leur guérison. Voilà mon rêve en couleur, que, à l’instar de la Fondation émergences pour les personnes aînées, la bientraitance de l’Autre soit inscrite dans toutes les chartes internationales des droits de la personne et surtout mise en œuvre par les États signataires.

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