Lors du dernier Festival de Cannes, Catherine Corsini recevait la prestigieuse Queer Palm pour son plus récent film La Fracture. La réalisatrice française devenait ainsi la deuxième femme cinéaste à obtenir ce prix, deux ans après Céline Sciamma, récompensée en 2019 pour Portrait de la jeune fille en feu, encensé par la critique.
Si Catherine Corsini était de passage à Montréal en novembre dernier, lors du festival Cinémania, pour coprésider le jury et effectuer une classe de maître, elle y présentait également en primeur La fracture, qui se retrouvera certainement sous peu à l’affiche sur les écrans québécois. Nous vous proposons ainsi de revisiter les plus beaux films d’amour au féminin réalisés dans les vingt dernières années par Catherine Corsini, sans oublier un avant-goût de La fracture.
La belle saison (2015)
Si l’homosexualité – comme les rapports amoureux et la sexualité – se retrouve dans plusieurs de ses films (Les amoureux), ou que certains l’abordent au second plan (La nouvelle Ève), c’est néanmoins avec son cinquième long métrage que Catherine Corsini entre dans le vif du sujet. En effet, La belle saison, qui plonge au cœur d’une histoire d’amour lesbienne en pleines luttes féministes dans les années 70, sort en France en août 2015, lors de la montée en puissance du mouvement de « La Manif pour tous », s’opposant au mariage des personnes de même sexe. À l’occasion de sa présentation au Festival Image + Nation en 2016, Catherine Corsini révélait au magazine Fugues, lors d’une entrevue, que La belle saison mettait effectivement en scène une « belle époque » : « Ce que vous dites est juste, c’est une belle époque, dans laquelle on a tellement envie de retourner, car aujourd’hui on vit dans une époque difficile, noire et morose. Croire en une utopie, au bonheur, au progrès et à des valeurs de solidarité, d’amour et de liberté, ça fait beaucoup de bien et c’est ça que je voulais absolument transmettre ». Si le film relate avant tout l’histoire d’amour d’une jeune agricultrice, Delphine (Cécile de France), qui s’éprend d’une Parisienne (Izia Higelin) militante pour les droits des femmes, le film, résolument féministe, met également en scène la lutte pour le droit à l’avortement. Alors questionnée sur la représentation du lesbianisme dans le cinéma contemporain, la réalisatrice affirme que : « Je trouve que ça a tendance à bouger, devenir presque une norme. Heureusement, il y a de l’air, même si parfois c’est presque caricatural, on a l’impression qu’il faut mettre une lesbienne dans presque tous les films… Disons que dans tous les cas, ça fait du bien, c’est jamais assez et que même si c’est caricatural, ça mérite d’exister ».
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La répétition (2001)
L’histoire d’amour de la réalisatrice française avec le Québec débute sans doute avec La répétition, puisqu’aux côtés d’Emmanuel Béart, nous retrouvons l’actrice québécoise Pascale Bussières. Le tandem d’actrices se glisse dans la peau de deux amies d’enfance dans la trentaine, qui se recroisent, par hasard, après plus d’une décennie. Jeunes, Nathalie (Emmanuel Béart) et Louise (Pascale Bussières) étaient inséparables et rêvaient toutes deux de devenir actrices. Si Nathalie concrétise son rêve en devenant une comédienne de théâtre renommée, Louise travaille comme prothésiste dentaire et est mariée à Nicolas. Cette dernière, admirative de la carrière de Nathalie, vivra à travers elle par procuration; elle assistera à ses répétitions, habitera chez elle, etc. De fil en aiguille, les deux femmes s’engagent dans une relation lesbienne qui deviendra rapidement un engrenage passionnel, sur fond d’obsession et de jalousie. À n’en point douter, ce drame, qui vous fera retenir votre souffle, vaut son pesant d’or pour le duo d’actrices, charismatique à souhait. C’est d’ailleurs une force du cinéma de Catherine Corsini, qui présente film après film une solide direction d’acteurs mettant de l’avant le talent et la chimie des actrices à l’écran. La répétition avait d’ailleurs introduit la réalisatrice au circuit cannois, puisque le film avait été nommé pour la Palme d’or en 2001.
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La fracture (2021)
Si quelques années plus tard, cette citation de Catherine Corsini est plus vraie que jamais, il n’en demeure pas moins que son dernier film présente un couple de lesbiennes, sans pour autant tomber dans la caricature. Au contraire, le couple est fluide, crédible – et s’inscrit dans une certaine normalité, avec (l’homo)parentalité notamment – tout en étant charismatique à souhait dans leur séparation. Une séparation, une fracture, au sens propre et figuré, qui devient le canevas d’un drame sociopolitique qui s’étend au-delà de la sphère privée. Alors que le couple formé par Raphaëlle (Valeria Bruni Tedeschi) et Julie (Marina Foïs) est au bord de la rupture (des suites d’une « fracture » amoureuse qui suit son cours depuis plusieurs années), Raphaëlle se fracture le bras en chutant dans la rue. Elle se retrouve ainsi aux urgences d’un grand hôpital parisien lors de cette nuit d’hiver 2018 en pleine manifestation des gilets jaunes.
Si elle tente d’y sauver son couple, elle tentera également d’y sauver sa peau, comme plusieurs patients de cet hôpital saturé par une atmosphère et des évènements sociopolitiques qui dépassent les murs de l’urgence. Pour mettre en scène cette fracture, certes physique, mais surtout amoureuse et sociale, Catherine Corsini fera appel à des acteurs non professionnels, ce qui – annexé à une excellente direction d’acteurs – rehausse le réalisme et l’état d’urgence de la trame narrative. Bien sûr, elle conjugue leur performance à celle d’acteurs professionnels, à commencer par Valeria Bruni Tedeschi, qui s’illustre aussi dans le cinéma italien et qui est notamment la sœur de Carla Bruni (et donc la belle-sœur de Nicolas Sarkozy). Cette dernière, qui incarne une dessinatrice à la coupe et aux cheveux teints à l’effigie de Catherine Corsini, trahit légèrement le caractère « un peu autobiographique » du récit, puisque le film est né après le passage de la réalisatrice aux urgences, explique-t-elle à l’Agence France-Presse : « Ce jour-là, c’était le premier jour des gilets jaunes. J’ai ensuite empilé beaucoup de choses, j’ai imaginé des blessés… Malgré tout, c’était important pour moi de coller au réel ». La direction photo possède d’ailleurs une certaine facture documentaire. Alors que le film est tourné en pleine pandémie de COVID-19, l’atmosphère socioéconomique a certainement contribué à créer ce sentiment d’urgence, grandement palpable au sein d’un film où la relation lesbienne existe enfin pour elle-même et par elle-même au sein de la trame narrative, sans pour
autant occuper le premier plan.
INFOS | Pour relire l’entrevue accordée au Fugues en 2016 par Catherine Corsini