Femmes au pouvoir : une menace ?

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Julie Vaillancourt
Julie Vaillancourt

Dans nos sociétés occidentales contemporaines, on encourage plus que jamais la femme à prendre sa place et à occuper des postes de pouvoir. Or, dès qu’une femme possède du pouvoir ou prend la parole sur la place publique, les trois quarts du temps, on s’empresse de la faire taire ou de la rabaisser, comme pour la remettre à sa place. Avons-nous un problème avec les femmes au pouvoir, constituent-elles une menace ?


Ma réflexion a débuté avec le long-métrage Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique, sorti en septembre dernier et réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist. Ce documentaire plonge dans le vortex misogyne d’Internet et documente la haine envers les femmes. Déjà, si vous pensez que le cinéma n’est que mensonge ou que les réalisatrices ne sont que des féministes misandres qui fabulent, je ne peux que ramener à l’ordre du jour le cas de ce blogueur antiféministe septuagénaire montréalais qui vouait un culte à Marc Lépine et qui a été trouvé coupable en aout dernier d’avoir fomenté la haine envers les femmes. Les écrits de ce misogyne suggéraient que « la profession de tueur de féministes devait exister », rapporte TVA Nouvelles. Certains textes visaient même personnellement des professeures de l’UQAM, dont l’une en études féministes et en sociologie, jadis responsable de l’organisation des commémorations de Polytechnique.


Le scénario de Je vous salue salope est, malheureusement, similaire et d’actualité. On y suit quatre femmes de sphères socioprofessionnelles diverses à travers deux continents. À commencer par Laura Boldrini, ex-présidente du parlement italien et Kiah Morris, ex-représentante démocrate américaine. Sans oublier Marion Séclin, comédienne et youtubeuse française, ainsi que Laurence Gratton, jeune enseignante québécoise harcelée depuis cinq ans par un ancien collègue de classe. Pour comprendre le phénomène de la misogynie en ligne, les réalisatrices se sont rendues à Silicon Valley pour rencontrer Donna Zuckerberg, spécialiste des cyberviolences faites aux femmes… et sœur du fondateur de Facebook. Je me doute que plusieurs d’entre vous, Mesdames, à commencer par celle qui écrit ces lignes, n’ont pas été épargnées par le harcèlement sur le Web et les réseaux sociaux… C’est si simple pour une personne lâche de faire du mal derrière ses écrans et même de transposer ce mal dans des situations réelles, non seulement parce que les victimes ont très peu de ressources (efficaces pour enrayer ce fléau), mais aussi parce que les sanctions juridiques sont dérisoires (et ça, c’est lorsque l’accusé est trouvé coupable, bien sûr !).

Nous pourrions même avancer que l’apathie et l’inconsistance du système judiciaire sont coupables de plusieurs histoires d’horreur… Au moment d’écrire ces lignes, un huitième féminicide vient de se produire au Québec : un homme a poignardé son épouse à mort devant ses trois enfants. Avant d’être froidement assassinée, cette dernière avait demandé de l’aide et porté plainte à la police, car harcelée par cet ex-conjoint violent. À noter que l’an dernier, il avait été accusé par cette dernière d’avoir proféré des menaces dans un contexte de violence conjugale. Néanmoins, le suspect aura réussi à recouvrer sa liberté fin aout, sous plusieurs conditions, dont celle de ne pas s’approcher de la victime. De toute évidence, notre système a un problème, que les bracelets antirapprochement ne réussiront pas à résoudre à eux seuls…


Si c’est par la politique qu’on change les choses, la campagne électorale québécoise ne fait que démontrer l’urgence d’agir pour contrer la misogynie incessante. Menacée de mort, Marwah Rizqy, candidate libérale dans Saint-Laurent, en sait quelque chose. La police lui demandera même de rester chez elle, de ne pas sortir et d’annuler ses engagements ! Alors, selon les forces de l’ordre, la meilleure façon de protéger une victime est de la cloitrer chez elle ? Puis, après avoir été arrêté, le suspect a été relâché, avec interdiction de l’approcher. Ayant des troubles mentaux, il avait cinq jours pour consulter… C’est le mieux que notre système peut faire pour régler une telle situation ? Pendant ce temps, c’est Marwah Rizqy qui doit vivre dans la peur à huit mois de grossesse, tout en continuant son travail en pleine campagne électorale. La députée libérale sortante exhorte l’Assemblée nationale à mettre en place un « bouton panique » pour assurer la sécurité des élus. On devrait franchement le considérer et étendre ce bouton panique à l’ensemble du pays. L’expérience de Marwah Rizqy n’est malheureusement pas un cas isolé et trouve des échos récents dans l’actualité politique fédérale, avec le harcèlement verbal dont la vice-première ministre Chrystia Freeland a fait l’objet en Alberta, ou encore les nombreuses attaques qui ont teinté le mandat de l’ancienne ministre Catherine McKenna, qui a d’ailleurs quitté la vie politique l’an dernier.


Malheureusement, l’accroche du film Je vous salue salope est tout à propos : « Quand la vraie vie est un film d’horreur »… Dans ce contexte, comment motiver les femmes à s’impliquer en politique, à « se battre pour leurs convictions », si elles doivent avant tout se battre pour leur vie ? Qui plus est, l’enjeu est de taille pour celles issues de minorités sexuelles et ethniques, souvent victimes de double, voire de triple discrimination. Il est fondamental de donner de l’empowerment aux jeunes filles pour qu’elles puissent s’exprimer et d’offrir des occasions aux femmes de briser les plafonds de verre, mais rien ne sert si on vient taire leur parole en les harcelant sur le Web ou en empêchant leurs actions concrètes par des menaces de mort. Et si, à la base, le système était pourri et enterrait hypocritement toutes les occasions pour les femmes de s’épanouir réellement ? Si ce constat est triste et morbide, il n’en demeure pas moins que nous pouvons tous faire quelque chose ! À commencer par cette jeune fille qui se fait humilier en public ou même qui se fait agresser verbalement. Au lieu de rire d’elle, de partager son humiliation sur Facebook ou de consentir en silence à son agression, brisons cette chaine ! Car c’est en rompant à la base la chaine de la violence et en apprenant à démasquer la haine que nous naviguerons vers des eaux plus justes. En attendant que les sentences, les lois, les dires se synchronisent aux babines des politiciens qui font toutes ces belles promesses électorales, brisons les chaines des femmes et mettons fin à la misogynie.


Si vous avez des commentaires, des suggestions, des idées de sujets, n’hésitez pas à m’écrire, ça me fait toujours plaisir de vous lire ! [email protected]

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