Comment composer avec les amours interchangeables, la pluralité des corps et la multiplication des désirs, alors qu’un espoir romantique plus traditionnel teinte notre regard ? C’est ce qu’on explore en lisant Les garçons interludes, très court livre en fragments écrit par Victor Bégin, qui est également photographe, co-directeur artistique de la Rue de la poésie et cofondateur de la revue Nyx.
On parle de désirs au pluriel, mais j’ai senti un fond de romantisme dans le texte. Est-ce que je me trompe ?
VICTOR BÉGIN : Je pense que tu n’es pas dans le champ du tout. Il y a quelque chose de très romantisé que je souhaitais insuffler au livre. J’ai l’impression que le romantique et l’interchangeabilité sont des concepts qui ne vivent pas très bien ensemble. On a accès si rapidement à beaucoup de personnes et de potentiels que ce à quoi on aspire est un peu englouti par tout ça. C’est peut-être un problème que j’ai voulu souligner en écrivant ce livre.
Sans pour autant tenir des propos noirs ou blancs.
VICTOR BÉGIN : Je ne voulais pas régler des comptes, mais expliquer mon expérience. La pluralité est une réalité. Ce ne serait pas bénéfique pour moi ni pour les autres de la pointer du doigt et de la condamner. Ça ne sert à rien de la juger. Sans prétendre que je veux la pluralité, je veux la montrer et la décortiquer.
Dirais-tu que ta façon de vivre les relations aurait convenu davantage à d’autres époques ?
VICTOR BÉGIN : Je pense que oui. J’ai cette idée un peu romantique de trouver LA personne et que ça ne me sert à rien d’essayer avec 14 000 gars. Cela dit, ça reste une hypothèse. Il y aurait sûrement eu d’autres problèmes propres à leur époque, mais peut-être moins d’ordre romantique.

Pourquoi ton protagoniste est-il un adepte des causes perdues ?
VICTOR BÉGIN : Ce n’est pas tant l’idée qu’il va vers des gars qui ne lui conviennent pas, mais plutôt le principe de faire beaucoup d’essais et d’erreurs. Des gars, il y en a beaucoup dans le monde, alors le processus peut être très long. Surtout pour le protagoniste qui, sans attendre la perfection, a de hautes exigences envers lui-même et envers les autres. En bout de ligne, il rencontre plus de gars qu’il aimerait en voir.
As-tu l’impression d’avoir livré une part de ton intimité dans ce livre ?
VICTOR BÉGIN : Ce livre-là, c’est moi. Je suis confortable de le partager, mais il y a eu un grand travail de sélection des fragments d’histoires qui ont été publiés. Avec mon éditrice, on a beaucoup discuté de ce qui devait se retrouver dans le livre. Et même des noms des garçons évoqués. Pour moi, c’était important d’utiliser les vrais noms, sinon ça ne voulait plus rien dire. Les noms de famille ne sont pas écrits, alors personne n’est totalement identifiable, mais j’avais envie que les gens aillent chercher le livre et, peut-être, s’y retrouvent.
Pourquoi voulais-tu explorer l’impossibilité amoureuse chez les personnes queers ?
VICTOR BÉGIN : On a tous des ambitions différentes avec le couple et le contact de l’autre. Dans mon cas, cette impossibilité se matérialise parce que je veux des choses assez précises d’une relation et qu’elles ne sont pas partagées par nos communautés. Par exemple, le désir de bâtir quelque chose de solide, certaines valeurs conservatrices de l’amour, comme le fait d’être en couple monogame, de fonder une famille ou de se marier. Toutes ces choses sont très établies dans le paysage hétéronormé.
D’ailleurs, plusieurs personnes queers reprochent à d’autres personnes queers d’aspirer à cela.
VICTOR BÉGIN : Oui et ça peut être blessant à certains égards de constater à quel point ça a été difficile d’obtenir certains droits, mais qu’une certaine frange de nos communautés
affirme qu’on ne devrait pas s’hétéronormaliser nous-mêmes, parce qu’on est différents. Pourtant, on a grandi en se faisant dire que tout le monde était pareil. Il y a quelque chose de contradictoire dans nos communautés, [ce] qui rend les relations très compliquées.
Tu évoques également le mélange de méfiance et d’espoir dans nos relations. Explique-nous cette idée.
VICTOR BÉGIN : Pour moi, cette phrase doit être prise dans un contexte sexuel. Quand deux gars s’approchent, il y a toujours une méfiance de savoir qui veut quoi et comment, en plus de l’espoir, car il y a beaucoup de désir. Si deux personnes se sont parlé longtemps sur une application de rencontres, il y a souvent l’espoir entre elles que ça connecte d’une certaine façon. En même temps, rien ne le garantit. On est toujours sur la corde raide.
INFOS | LES GARÇONS INTERLUDES, de Victor Bégin, illustrations de Cole Degenstein, Hamac, 2022