D’entrée de jeu, le narrateur du nouveau roman de Thomas C. Spear met la table en promettant à un père, maintenant décédé, de le ressusciter une dernière fois afin d’être mieux à même de l’exorciser à jamais. Bien que le périple ainsi promis ne soit pas rose, il n’en demeure pas moins fascinant. Écrit à la première personne, le récit se construit à travers le regard d’un fils qui se sent et se sait abandonné par cette figure paternelle absente.
Nulle surprise qu’il lui retire son nom, son individualité, pour ne le désigner que sous le titre de « papa » le ramenant ainsi à une fonction génétique et sociale presque anecdotique. D’origine canadienne-française, la petite famille s’installe dans une petite ville du Wisconsin au nom improbable, Bulle, où le narrateur décrit son quotidien, de même qu’une Amérique coincée dans les mutations profondes des années 50 et 60. S’entrelacent ainsi une trame historique et sociale, le discours d’un père borné, à la fois suffisant et intolérant, et le regard du fils sur celui-ci.
Objet de désappointement, le mépris du père envers son fils ne fait que croitre lorsqu’il lui fait l’affront ultime de ne pas correspondre à l’image absolue et inaltérable de ce que doit être un homme : à savoir et avant toute chose, ne surtout pas être homosexuel. Le roman présente donc à la fois l’omniprésence d’un père dominateur, mais également l’affranchissement progressif et libérateur d’un fils. Celui-ci ne s’embarrasse par ailleurs pas de faux-semblants et n’hésite ainsi pas à lui asséner ses quatre vérités :
« Tu es une farce tragique. […] Sur l’échelle Kinsey, tu serais un vrai hétéro, pas seulement par l’inclination naturelle. Tu voulais également être l’homme viril qui ne montre jamais de faiblesse, d’affection, de tendresse. Encore plus grave que ce manque envers ta femme et tes enfants était ce manque de tendresse envers toi-même ».
Au-delà du récit d’une relation père-fils, le récit se veut ainsi également la critique troublante d’un modèle masculin sclérosé.
INFOS | Les mascarades du Wisconsin / Thomas C. Spear. Montréal : Hamac, 2023. 291p.
