Itinérance, sécurité, consommation de drogues, constructions de logements et pas seulement sociaux, revitalisation de la rue Sainte-Catherine dans sa partie Village, les sujets ne manquent pas lorsqu’on a la chance de parler avec le conseiller municipal de Saint-Jacques et membre du comité exécutif de la Ville responsable de l’urbanisme et de l’itinérance.
Les dossiers sont nombreux et l’on peut sentir une impatience dans la population qui habite dans et autour du Village et qui a le sentiment que rien ne change.
ROBERT BEAUDRY : C’est un peu normal quand on est en situation de crise comme on peut l’être actuellement à Montréal: crise sociale, crise du logement, crise des opioïdes. Personne n’est insensible à la vulnérabilité qui est dans la rue et des fois les résident.e.s comme les commerçants subissent les contrecoups de ces vulnérabilités-là. Quand on parle de transformations profondes d’un secteur, c’est bien certain que ce sont des choses qui vont se faire, cela s’inscrit dans le temps. Je pense que depuis le début du mandat de Valérie Plante, plusieurs initiatives ont été prises, et la Ville doit continuer ses actions et les multiplier. Mais je le dis et le répète, c’est collectivement que l’on doit monter d’un niveau face à la croissance de la vulnérabilité, face à la croissance de la vente et de la consommation de drogues, face à la croissance de l’itinérance. Quand on a mis en place la stratégie collective — et je pense te l’avoir dit dans une entrevue précédente — on ne voulait pas que ce soit un plan uniquement « Ville de Montréal » parce qu’il nous aurait manqué des morceaux, en termes de juridiction, en termes de coûts, mais aussi en termes de prise en charge pour que tout un chacun s’investisse et qu’on obtienne des consensus pour aller ensemble dans le même sens. On a eu des consensus sur les enjeux de sécurité, sur le développement culturel, sur le développement commercial, donc on continue notre soutien pour l’activation de la rue Sainte-Catherine, on veut aller plus loin bien évidemment.
Un exemple de cette activation serait la création de la place du Village…
ROBERT BEAUDRY : La place du Village va devenir un endroit avec une forte programmation. Pas une programmation qui soit gérée par la Ville, mais qui soit déployée par nos partenaires communautaires du milieu. Un lieu pour offrir, par exemple à RÉZO, à Spectre de rue ou à d’autres organismes, la possibilité de proposer des activités ponctuelles ou régulières.
On a lancé lors de l’inauguration de la place du Village la création d’un fonds d’initiative locale de 500 000 $. Et on interpelle les partenaires privés et les entreprises privées qui souhaitent changer les choses dans le Village pour profiter de cette occasion. Il y a un fonds qui est créé, on cherche des partenaires qui pourraient mettre l’épaule à la roue, c’est-à-dire en participant financièrement, pour des appels à projets, à partir de septembre. On a approché des institutions financières qui sont fort intéressées.
Il y aura un comité pour les appels à projets, des projets communautaires, des projets d’entreprise, des projets qui pourraient être liés, par exemple, à l’embauche d’agents d’accueil, d’agents d’entretien, à un café solidaire, [à du soutien pour une] initiative pour avoir un marché sur rue. Les solutions ne peuvent pas venir uniquement de la Ville. Elles doivent venir aussi de la communauté et ce sont souvent là que se trouvent les meilleures idées. Mais en gardant en tête les axes décidés par le Forum du Village, qui sont : identité, développement social, sécurité.
Initiatives publiques, privées ou communautaires, mais ces initiatives ne viennent-elles pas pallier le désengagement des autorités provinciales et fédérales si l’on parle de sécurité ou de drogues ?
ROBERT BEAUDRY : En fait, pendant des années dans le Centre-Sud, le réseau communautaire a pallié le manque de présence du réseau de la santé pour la population en situation
d’itinérance, d’extrême pauvreté et d’exclusion. Il y a aujourd’hui une telle pression que le réseau communautaire n’a plus les moyens d’offrir des services adéquats ou mieux adaptés à la situation d’aujourd’hui. Je ne pense pas qu’avec le fonds d’initiative locale on vient pallier les manques, bien au contraire, je pense que c’est faire levier avec ces initiatives, mais il n’est pas exclu que ces initiatives puissent être financées par les autres ordres de gouvernement.
On a une belle relation avec le ministre responsable des Services sociaux du Québec, Lionel Carmant, sur le dossier de l’itinérance. Sur la sécurité, bien sûr que nous sommes préoccupés, le fait de savoir que les équipes mixtes, policiers couplés à des intervenants sociaux, devraient être coupées comme cela a été annoncé, pour moi c’est préoccupant. Et ce n’est pas juste avec Lionel Carmant, qui doit s’investir, mais [avec] tout le gouvernement si on veut éviter que la rue soit l’hôpital ou le logement, comme le dit la mairesse de Montréal. Cela doit devenir l’une des priorités du gouvernement, comme c’est la priorité de la Ville : [la] création de nouveaux logements, la prise en charge dans des ressources 24/7 d’une population vulnérable. Si des personnes consomment des drogues dans l’espace public, c’est qu’elles n’ont aucun lieu pour consommer en toute sécurité. Et cette situation crée de l’insécurité pour les résident.e.s et les commerçant.e.s. Le réseau de la santé doit financer le réseau communautaire comme on finance nos hôpitaux, parce que sinon c’est la rue qui devient l’hôpital. Cela prend des ressources réparties sur le territoire pour les centres d’accueil, c’est-à-dire des endroits où on va accepter la personne comme elle vient, intoxiquée ou non, avec son chien, son ou sa conjoint.e, ses enfants parfois. Au bas mot, on a à Montréal 1 600 places en refuge l’été et 1 800 en hiver.
C’est très peu. Et il faut aussi construire pour stopper l’hémorragie des gens qui se retrouvent à la rue. Le logement est une finalité, pas les refuges. On doit travailler avec le gouvernement. On a eu une première bonne nouvelle sur les évictions de personnes âgées, mais il faut les multiplier. De notre côté, on a stoppé les transformations de maisons de chambres. On les a achetées pour les transférer [en] OBNL pour une meilleure gestion. Les maisons de chambres sont souvent le dernier rempart avant l’itinérance et aussi des lieux de consommation, mais sans aucune supervision. Leur fermeture implique qu’il y aura de plus en plus de consommateurs dans l’espace public.
En attendant des lieux d’accueil ou des logements pour ces personnes en détresse, on voit de plus en plus d’actes violents commis le plus souvent par des personnes intoxiquées.
ROBERT BEAUDRY : Les personnes consomment des substances de plus en plus impactantes au niveau cognitif, qui font en sorte qu’elles ont des épisodes de désorganisation totale pouvant amener de la violence et amenant ce sentiment d’insécurité dans la population. Nous travaillons avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et il y aura plus de policiers à pied et à vélo dans le secteur du Village, mais aussi en vue de contrer la criminalité, c’est-à-dire les vendeurs de drogue, autour des stations de métro Beaudry et Papineau. Je fais une différence entre les consommateurs de drogue et la criminalité, c’est-à-dire, les revendeurs. On est en discussion avec le SPVM pour tenter de résoudre ce problème. On a l’aide cette année de la STM et de ses constables spéciaux qui interviendront non seulement dans les stations, mais aussi à la périphérie des stations Beaudry et Papineau. Nous avons une très bonne collaboration avec le directeur du SPVM, Fady Dagher.
Quelle aide apporter aux consommateurs qui se piquent ou inhalent dans la rue, avons-nous assez de personnel qualifié en santé et en travail social pour éviter qu’ils consomment dans la rue ?
ROBERT BEAUDRY : Actuellement, il y a l’organisme Cactus et le bus l’Anonyme et c’est à peu près tout. Il faudrait beaucoup plus de centres d’injection répartis à l’échelle de la Ville, mais cela ne fait pas encore consensus, les résident.e.s n’ont pas envie d’avoir des centres près de chez eux et cela se comprend. Mais on doit trouver des lieux sécurisés pour ces personnes-là, et cela relève du domaine de la santé publique. Des lieux pour accueillir des personnes qui décompensent si on parle de toxicomanie, mais aussi pour celles avec des problématiques de santé physique ou mentale. Je reprends encore les propos de Valérie Plante : la rue n’est ni un hôpital ni un logement.
Parlons justement alors du logement, de constructions aussi bien de refuges, que de logements sociaux ou abordables ?
ROBERT BEAUDRY : Québec a annoncé 400 unités pour une population plus vulnérable. On est en train de travailler avec eux pour l’émergence de projets. Il faut rappeler qu’il y a de beaux projets qui sont nés dans le secteur du centre-ville près du Village. Je pense par exemple sur la rue Atateken avec 54 studios de logements pour hommes vulnérables, en collaboration avec la SHDM et La Maison du Père. On a inauguré récemment le Cristin de l’Accueil Bonneau, qui peut accueillir jusqu’à 258 résident.e.s. Il faut accélérer cette construction-là, c’est pour cela que nous achetons des terrains et des maisons de chambres en faisant jouer le droit de préemption, des logements, en fait, que l’on préserve de la spéculation. Ces maisons de chambres seront gérées par des OBNL et réservées à des populations dans le besoin.
Il y a aussi le développement immobilier autour de la tour Radio-Canada, on a réservé des terrains pour des logements sociaux. Ce sont des montages financiers complexes. Et il faut rappeler encore une fois que la Ville ne finance qu’une seule partie des projets puisque 90 % du financement vient du gouvernement du Québec. Si on pense aussi au Fonds d’acquisition québécois (FAQ), c’est le gouvernement du Québec qui le gère à 100 %. On met en place un comité sur les populations très vulnérables qui n’ont pas accès au logement ni aux services avec le réseau de la santé, le réseau communautaire, des experts dans le but de regarder à l’international des modèles de construction plus rapide dont on pourrait s’inspirer pour la construction de logements.
Il y a aussi de grands chantiers en vue dans les mois qui viennent et qui vont retarder la revitalisation de la rue Sainte-Catherine.
ROBERT BEAUDRY : Par quoi on commence (Rires.) ?
Le toit de la station de métro Berri et le parc Émilie-Gamelin.
ROBERT BEAUDRY : On commence donc par les chantiers d’aménagement urbain, dont le chantier de la STM effectivement, il va se déplacer vers le parc Émilie-Gamelin. Ce n’est pas l’entièreté du parc Émilie-Gamelin qui sera mis à mal, uniquement sa partie nord, un triangle au coin [des rues] de Maisonneuve et Berri. Bien sûr, la grande partie des arbres matures seront affectés. On en profitera pour réaménager le parc pour le rendre encore plus accessible, plus ouvert, comme on a fait avec la place du Village, et [pour] qu’il puisse [y] avoir aussi de l’animation. Ces travaux ont commencé au mois de juin.
Les travaux sur la rue Sainte-Catherine dans le Village.
ROBERT BEAUDRY : Si tout va bien, il[s] devrai[en]t commencer en juin 2025 et on en profite pour réfléchir à [quel type de] rue on veut, avec des groupes de résident.e.s pour requalifier la rue. Une rue piétonnière à l’année longue ou piétonnière plus longtemps durant l’année, etc. ? On termine la collecte des données et on pense dévoiler dans les prochains mois ce à quoi ressemblera la rue Sainte-Catherine après les travaux, mais aussi les différents tronçons de fermeture de la rue, entre quelle rue et quelle rue. Ce sont des travaux majeurs et onéreux d’infrastructure souterraine, mais ils sont nécessaires. On va bonifier considérablement la surface, car nous visons la qualité dans la mise en valeur du Village.
Tout comme on est en train de réfléchir à quelque chose d’envergure pour rendre hommage aux communautés 2SLGBTQ+, qui se situera sur la place du Village. L’amélioration de la rue Sainte-Catherine ne peut se faire qu’en partenariat avec les premiers et premières concerné.e.s, c’est pour cela que l’on se réjouit de la création de l’Association citoyenne du Village de Montréal. Valérie Plante, depuis son premier mandat, a souhaité un plus grand engagement des citoyen.ne.s de la Ville de Montréal, et [elle veut] donc […] favoriser les consultations avec la création de forums, ou encore récemment en dégageant de l’argent pour un fonds d’initiatives locales, [afin] que tout le monde soit partie prenante et pas seulement les autorités, pour améliorer la qualité de vie dans Montréal.
Malgré les travaux à venir, les irritants actuels, vous restez optimistes et êtes convaincu que le quartier n’est pas en train dépérir ?
ROBERT BEAUDRY : Bien sûr que non. Je parlais avec la SDC du Village, et des commerces sont intéressés à venir s’installer dans le Village, et une dizaine ont vu le jour cette année et d’autres prévoient de s’y installer. Car il y aura de plus en plus de résident.e.s dans le quartier quand on pense aux constructions de l’Esplanade Cartier, de la tour au-dessus du magasin Maxi qui va s’ouvrir au coin Sainte-Catherine et Papineau. Concernant ce qu’on appelle le carré de l’ancien Da Giovanni, le promoteur a aujourd’hui tous les papiers signés pour commencer les travaux.
Vous nous demandez donc d’être un peu plus patient.e.s et d’être plus engagé.e.s aussi ?
ROBERT BEAUDRY : Pas seulement, mais je souhaiterais que l’on remarque plus les changements, même s’ils ne sont pas aussi spectaculaires qu’on le souhaiterait, [qu’ils] s’inscrivent dans la durée pour éviter de revivre des crises, et qu’ils démontrent que la mairesse, la Ville en général, est consciente et ne cesse de multiplier les initiatives pour améliorer la situation.
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