Deux ans après son annulation et dans des circonstances délicates, le défilé de la Fierté de cette année a pu être tenu du début à la fin, ce qui mérite d’être souligné, estime Philippe Schnobb.
Ce dimanche, j’ai participé au défilé de la Fierté comme je le fais depuis quelques décennies.
En 2022, j’avais accepté la responsabilité de diriger l’analyse des circonstances ayant mené à l’annulation du défilé cette même année. Conclusion : l’annulation était due à une suite d’évènements logistiques fâcheux qui auraient pu être évités.
Cette année, un amalgame de circonstances diverses se présentait dans le collimateur de Fierté Montréal, certaines hautement politiques et faisant appel à une bonne dose de diplomatie. La nouvelle gouvernance de Fierté Montréal a été en mesure d’en réduire les impacts.
Depuis quelques mois, tous les défilés de la Fierté à travers le monde doivent composer avec une situation géopolitique délicate résultant du conflit israélo-palestinien dans la bande de Gaza.
Plusieurs défilés ont été interrompus et annulés à la suite de la présence de groupes qui ont manifesté leur colère face à ce conflit.
Des opinions divergentes pouvant coexister
L’équipe de Fierté Montréal a pris acte de cette situation. Depuis des mois, la direction générale et le conseil d’administration ont pris les moyens pour permettre la tenue du défilé de 2024 dans son intégralité. Notamment, l’équipe a entrepris un dialogue avec les différents groupes concernés pour assurer une médiation ; c’était la voie qu’il fallait prendre pour assurer la sécurité et la coexistence des différents intérêts.
Certes, il y a eu des interruptions et quelques retards dimanche après-midi. Ailleurs, cela a mené à l’annulation totale du défilé. Mais à Montréal, grâce au travail en amont de Fierté Montréal, les opinions divergentes ont pu s’exprimer, des sympathisants palestiniens et des membres de la communauté juive ont pu parcourir le même trajet, et les 17 000 participants ont pu défiler tout le long du parcours malgré les retards.
Le défilé de Montréal est un des rares à s’être déroulé en totalité, tout comme celui de San Francisco. C’est tout à l’honneur de l’équipe de Fierté Montréal et de notre ville. A-t-on été inspiré par la devise de Montréal « Concordia Salus » ou par la Grande Paix entre Français et Nations autochtones signée ici en 1701 ? On le souhaiterait, si cela devait inspirer les belligérants au large de la Méditerranée.
Ce que je retiens de cette journée, c’est que le défilé de 2024 a eu lieu. Ce qui est d’une extrême importance alors que les acquis des dernières décennies sont remis en question un peu partout à travers le monde.
Samedi, dans ces pages, on rapportait le cas de deux hommes pris dans un guet-apens à Sherbrooke et tabassés parce qu’ils sont gais. Pas à Moscou ou en Ouganda : à Sherbrooke… en 2024 ! Le défilé de la Fierté a encore malheureusement sa pertinence, comme la Journée internationale de lutte contre l’homophobie le 17 mai qui a vu le jour à Montréal.
Tant qu’on se fera tabasser parce qu’on est lesbienne ou gai ou trans, qu’on mettra au banc des accusés ceux et celles qui expriment leur questionnement sur leur identité, il faudra défiler, avec tous les groupes sensibles à la cause : ceux de notre communauté, avec les sympathisants, avec les organismes publics et les partenaires du secteur privé, même si cela irrite certaines franges de la communauté.
Nos acquis sont trop fragiles pour que l’on perde de vue l’importance d’être solidaires et non des adversaires lorsque l’on entremêle les causes qui nous sont chères.
Merci à Fierté Montréal d’avoir gardé le cap pour que le défilé 2024 puisse avoir lieu malgré les vents contraires.
PHILIPPE SCHNOBB
Membre de la communauté LGBTIA+ et administrateur d’OBNL, l’auteur a été mandaté en 2022 pour analyser les circonstances de l’annulation du défilé de la Fierté.