Mardi, 3 décembre 2024
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    Ce silence qui en dit long sur notre communauté

    Je me souviens encore de ma première parade de la Fierté Montréal. J’avais 22 ans, fraîchement sorti du placard, encore un peu maladroit dans cette nouvelle identité que j’apprenais à porter. Lors de cette édition en 2013, j’ai eu l’incroyable privilège d’être l’un des invités d’honneur pour mon engagement contre l’intimidation. Ce jour-là, je me trouvais au coeur de la parade, debout sur mon cortège, entouré d’une communauté qui était devenue la mienne.

    Les drapeaux arc-en-ciel flottaient dans le vent, et la musique battait au rythme de nos pas. C’était une explosion de vie, de couleurs, de célébration. Puis, soudain, au milieu de cette euphorie, les tambours se sont tus, les voix se sont éteintes, et le silence est tombé. C’était comme si le temps s’était suspendu, flottant dans l’air chargé d’émotions. Moi qui venais à peine de découvrir la communauté LGBTQ+, j’étais loin de connaître toute l’histoire, tous les sacrifices, toutes les luttes qui avaient rendu ce moment possible.

    Cette minute de silence m’a forcé à affronter une réalité que je connaissais peu, à comprendre que cette joie que nous partagions n’était pas née de rien. Elle avait été forgée par le sang, la sueur et les larmes de ceux qui avaient combattu avant nous.

    Aujourd’hui, à 35 ans, je pleure encore chaque année lors de ce moment de recueillement. Parce que je sais maintenant que sans ces luttes, je ne serais peut-être pas là. Je pense à ces militants qui ont donné leur vie en refusant de se taire face à l’injustice. Je pense à ceux qui ont souffert et sont partis trop tôt à cause du VIH, de la lesbophobie, de l’homophobie, de la biphobie et de la transphobie. Et c’est pourquoi je continuerai à pleurer, à honorer cette minute de silence, parce qu’elle nous rappelle qui nous sommes, d’où nous venons, et pourquoi nous devons continuer à marcher, la tête haute.
    Vous comprendrez donc ma frustration lorsque, lors de la dernière parade, j’ai entendu des gens dire que cette minute ne servait à rien, qu’elle gâchait l’ambiance, qu’il valait mieux se concentrer sur le positif et laisser de côté ces sombres souvenirs. Ces mots m’ont percuté avec une violence indescriptible. Comment peut-on dire cela?

    Est-ce que 60 secondes, dans toute cette effervescence, sont vraiment trop demander pour honorer la mémoire de nos disparus? Ne pas être pleinement au courant des luttes du passé est une chose, mais vouloir volontairement mettre de côté notre mémoire collective en est une autre. Minimiser cette minute de silence, c’est fermer les yeux face aux sacrifices qui ont rendu cette parade possible. C’est comme danser sur les tombes de ceux qui ont payé le prix ultime pour que nous puissions célébrer
    librement. En faisant abstraction de ce moment, nous risquons de transformer notre parade en un simple carnaval de divertissement, déconnecté des luttes qui ont jalonné le chemin vers notre visibilité et nos droits.

    Ces luttes, oubliées ou reléguées à de simples notes de bas de page dans l’histoire par certains, sont pourtant au coeur même de ce que signifie être LGBTQ+ aujourd’hui. Montréal, avec ses rues pavées d’histoire, a été le théâtre de nombreux combats pour nos droits. Des lieux comme le fameux Truxx ont été des bastions de résistance contre la répression policière. À une époque où simplement aimer était un acte de défiance, ces endroits ont accueilli des âmes courageuses qui ont osé vivre leur vérité. Chaque fois que nous marchons sur Sainte-Catherine, nous foulons le sol où tant d’autres ont lutté pour que notre existence ne soit plus criminalisée, mais célébrée.

    Cette minute de silence est aussi un rappel de la fragilité de nos acquis. Nous vivons dans un monde où nos droits, bien que légitimement obtenus, ne sont jamais complètement garantis. Les événements récents dans le monde montrent que les droits peuvent être remis en question, réduits ou même retirés. Le silence de cette minute n’est donc pas qu’un hommage, mais aussi une alerte, un signal pour rester vigilants, pour continuer à lutter, à défendre ce qui a été si durement gagné.

    En fin de compte, le respect de cette minute est une manière de montrer que nous ne tenons pas pour acquis les droits et les libertés que nous avons. C’est une déclaration de gratitude envers ceux qui ont ouvert la voie, souvent dans des conditions extrêmement difficiles. En honorant leur mémoire, nous nous engageons également à continuer leur combat pour un monde plus juste et plus inclusif.

    Alors, je vous pose la question : pouvons-nous vraiment avancer sans nous rappeler d’où nous venons? Avons-nous le droit de célébrer notre liberté sans honorer ceux qui ont lutté pour elle? Il est peut-être temps pour certains de se poser ces questions, de réfléchir à l’importance de cette minute de silence, non pas comme une perte de temps, mais comme un acte de connexion avec notre histoire, avec ceux qui ont tant sacrifié pour que nous puissions aujourd’hui marcher avec fierté.

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