Samedi, 22 mars 2025
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    Sortir de l’hibernation

    J’aurais aimé m’amuser en abordant des sujets plus légers, ce qui aurait représenté tout un défi pour moi. La légèreté, je l’ai en privé avec mes proches, et elle n’a aucun intérêt à se retrouver dans une chronique et encore moins sur les réseaux sociaux. L’actualité a fini par me convaincre de remettre cet exercice de style à plus tard.

    Le Parti québécois (PQ) s’est abstenu de voter en faveur d’une motion pour dénoncer la montée de l’homophobie présentée par Québec solidaire (QS). Le président américain Donald Trump a abrogé des décrets protégeant la diversité, les droits LGBTQ, l’égalité raciale, et souhaite la suppression des programmes qui en feraient la promotion. Les mouvements d’extrême-droite ont le vent en poupe en Europe et dont les programmes s’apparentent à celui du locataire de la Maison-Blanche. Dans la situation actuelle, la décision du PQ de s’abstenir de voter peut surprendre, et les justifications apportées entre autres par l’attaché de presse du parti ressemblaient à du patinage et étaient profondément obscures. Mais, cette abstention arrive dans un très mauvais momentum compte tenu des discours et des attaques contre les communautés LGBTQ et les violences qu’elle subit.
     
    Du côté des premiers et premières concernées, les réactions n’ont pas été nombreuses, hors des réseaux sociaux. Il a fallu que les médias contactent des représentant.e.s d’organismes pour savoir ce qu’ils ou elles pensaient. Aucun communiqué de presse émanant du Conseil québécois LGBTQ, il est vrai que ce dernier est en panne de direction générale. Aucune réponse collective pour soutenir Alexandre Leduc et Manon Massé, tous les deux à l’origine de cette motion et qui se sont indigné.e.s de l’attitude du PQ.

    Rappelons que c’est grâce au militantisme que nous avons pu obtenir le droit au mariage, une longue marche qui ne s’est pas déroulée sans heurts, mais nous avons su nous tenir debout. Il n’est pas sûr, à l’époque, que l’on ait pu nous en passer une petite vite avec la création d’un «Comité des sages» en automne 23 et dont on attend toujours le rapport.

    Sommes-nous aujourd’hui encore équipés pour protéger nos droits en cas de contre coups ? Ce n’est pas parce que nous entretenons de bonnes relations avec les gouvernements et les partis que nous comptons que des allié.e.s parmi eux.

    En 2013, Fierté Montréal organisait une manifestation devant le consulat de Russie pour protester contre les lois anti-LGBTQ+ de Poutine. L’ensemble des organismes communautaires s’étaient ralliés à cette proposition et nous étions nombreux à nous être déplacés devant cette mission diplomatique. La Russie, c’est loin. Mais quand Trump tente de faire mieux que son homologue autocrate russe, c’est le silence ici. Personne ne manifeste devant le consulat américain pour exprimer une solidarité avec les communautés LGBTQ+ au sud de la frontière. Au mieux, on fera comme lors du dévoilement du rapport du GRIS-Montréal sur le recul des jeunes face à l’acceptation de la diversité sexuelle, on susurrera que c’est « préoccupant », « malaisant », « dérangeant » mais pas au point d’exiger des actions immédiates pour contrer ces changements de perception.

    Est-ce que les stratégies adoptées depuis plusieurs années, d’avoir fait ami-ami avec les décideurs et les décideuses n’a pas fini d’atomiser toute forme de militantisme. Il est vrai que la configuration actuelle du financement des organismes par l’État permet aux organismes de maintenir leur mission, c’est une bonne chose, mais dans quelle mesure cela les contraint-ils à une certaine allégeance aux questions à celles et ceux qui les nourrissent.

    Sur ma table de chevet un livre : «Quand nos désirs font désordre, Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986». L’auteur, Mathias Quéré* a passé plusieurs années à éplucher la presse, les documents, les premiers textes du mouvement homosexuel, a rencontré aussi les acteurs et actrices de cette époque. Petite nostalgie pour moi puisque ces années ont été fondatrices dans ma façon de me percevoir comme gai – à l’époque je revendiquais le terme pédé – et que j’y ai très humblement participé. J’écrivais pour le mensuel «Homophonies», organe de presse du CUARH (Comité d’urgence anti-répression homosexuelle) et des nombreux GLH (Groupe de libération homosexuel) que l’on retrouvait dans beaucoup de villes de France. J’étais un petit cul et j’y ai traîné mes culottes pendant plusieurs années. Culottes que je baissais souvent, pas par peur d’une quelconque répression, mais par plaisir, car le sexe et notre relation à la sexualité était tout aussi important pour nous que de distribuer des tracts, organiser des universités d’été ou encore de manifester contre des violences policières. Tout était à faire, et même si nous voulions une reconnaissance dans l’espace publique, l’abrogation de toutes les lois discriminatoires, il n’était pas question d’être assimilé et de se fondre dans le paysage hétéro-patriarcal et hétéronormatif, pas question de plier les genoux pour une quelconque acceptation nous obligeant à rentrer dans le rang.

    On ne peut aujourd’hui, compte tenu de cette ambiance qui règne en ce moment, s’asseoir sur nos lauriers : nos acquis sont fragiles, susceptibles au détour d’un changement de gouvernement, de la folie d’un dirigeant, de se retrouver aux poubelles. On ne peut se voiler la face, en minimisant ce qui se passe au Québec et ailleurs dans le monde. Un Comité des sages, ce n’est pas grave, un parti qui s’abstient de nous soutenir, ce n’est pas trop grave, le rapport d’étude du GRIS-Montréal, on n’en parle pas assez. Pourtant, comme le démontre la recherche de Mathias Quéré sur le mouvement en France, ce n’est pas en se rassurant à peu de frais, dans un petit confort douillet, que l’on pourra maintenir nos acquis voire en gagner d’autres.

    Il faut savoir se défendre, se protéger, se tenir debout en somme.
    *Voir l’entrevue avec Mathias Quéré

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