Après avoir exploré plusieurs affaires criminelles québécoises et une autre au Nouveau-Brunswick, le balado Histoire à mourir debout traverse les frontières provinciales pour se pencher, dans une cinquième saison, sur un fait divers glaçant qui a bouleversé Toronto à la fin des années 2010 : les meurtres perpétrés par Bruce McArthur, un tueur en série ayant ciblé principalement des hommes issus des communautés immigrantes et LGBTQ+.
Entre 2010 et 2018, ce paysagiste sexagénaire attirait des hommes dans son appartement pour des relations sexuelles avant de les assassiner, de les démembrer, puis de dissimuler les restes dans des jardinières chez une cliente du quartier huppé de Leaside. Les victimes – toutes homosexuelles – étaient en majorité originaires d’Asie du Sud et âgées d’une cinquantaine d’années.
Bien que l’affaire ait déjà été largement couverte en anglais, notamment dans des reportages de la CBC, un documentaire de la BBC et un ouvrage du journaliste Justin Ling, la série de Radio-Canada OHdio, animée par les journalistes Nathalie Roy et Yves Thériault, est la première à traiter ce drame en français, sous forme de balado documentaire.
Une enquête profondément marquée par l’inaction policière
Le balado s’appuie notamment sur le rapport de la juge Gloria Epstein, publié en 2021, qui met en lumière les nombreuses défaillances de la police de Toronto. Le document dénonce un désintérêt systémique à l’égard des victimes, toutes issues d’une communauté historiquement marginalisée par les institutions : la communauté gaie torontoise.
L’enquête commence par la disparition de Skandaraj Navaratnam, réfugié sri lankais et première victime connue du tueur, en septembre 2010. Chaque épisode s’attarde ensuite sur le parcours des autres hommes disparus, en retraçant leur humanité, leur solitude ou leur entourage, avant de reconstruire patiemment la chronologie jusqu’à l’arrestation de McArthur en 2018.
Une méfiance enracinée envers la police
Le balado ne se limite pas à la reconstitution des faits : il interroge aussi la relation fracturée entre les forces de l’ordre et la communauté LGBTQ+ torontoise. Une défiance ancrée dans des décennies de répression : dès les années 1970, la police menait des descentes régulières dans les bars et saunas du Village gai, bien après la décriminalisation de l’homosexualité en 1969. Ce contexte historique donne tout son poids à la lenteur et à l’inaction des forces policières dans l’affaire McArthur.
Témoignages poignants et immersion urbaine
Plusieurs témoins ponctuent le récit : proches des victimes, policiers, activistes. Parmi eux, Jean-Rock Boutin, fondateur de FrancoQueer, une ancienne enquêtrice de la police régionale de Peel, Jean-Philippe Nadeau, journaliste judiciaire à Toronto, ou encore Karen Fraser, la propriétaire de la résidence où McArthur enterrait les corps. Grâce à ces voix, les auditeurs sont transportés dans les bars du Village gai, les rues animées de Toronto, et jusque dans l’appartement au 19e étage des Leaside Towers, où le tueur agissait en toute discrétion.
Parmi les rebondissements évoqués figure une rumeur erronée venue de la police suisse, évoquant la présence d’un cannibale à Toronto — fausse alerte qui, paradoxalement, a permis de relier les premiers dossiers de disparitions.
Des zones d’ombre et une production à parfaire
Malgré un récit documenté et captivant, certains aspects sont laissés dans l’ombre. Peu d’éléments, par exemple, sont consacrés à la personnalité ou aux motivations du tueur, pourtant souvent au cœur des balados criminels. De même, les zones grises encore actives dans l’enquête — plusieurs dossiers ayant été rouverts après l’arrestation — sont à peine évoquées, bien qu’elles laissent penser à l’existence possible d’autres victimes.
Cela dit, il faut saluer le travail de fond mené par Roy, Thériault et leur équipe, qui livrent une œuvre empathique, respectueuse et nécessaire. Leur volonté de rendre hommage aux victimes et de souligner les failles institutionnelles sans tomber dans le sensationnalisme fait toute la force de cette saison.
INFOS | Les quatre épisodes de 30 minutes de la saison 5 sont disponibles gratuitement sur la plateforme Radio-Canada OHdio.
Une histoire horrible sur la folie d’un homme clairement dérangé.