Je ne sais plus quand j’y suis allé pour la première fois. Ça fait trop longtemps. Je me souviens d’avoir niaisé un bon deux minutes devant l’immeuble. Je faisais semblant de texter. Je regardais partout pour être sûr que personne ne me voie entrer. Puis, j’ai fini par pousser la porte à toute vitesse, comme si j’étais en train de faire de quoi de louche. J’étais hyper nerveux parce que veux, veux pas, quand t’es pas habitué d’aller dans un sauna gay, c’est gênant.
Le gars à l’accueil m’a demandé mes cartes parce que j’avais l’air d’un ti-cul. J’ai payé, il m’a donné une clé, une serviette et m’a laissé passer. J’avais aucune idée de comment me tenir. À mon casier, je me suis déshabillé lentement, en jetant des coups d’œil discrets pour voir comment ça marchait ici. J’ai attaché ma serviette autour de la taille, puis j’ai commencé à marcher.
Les couloirs étaient étroits, sombres et lourds d’humidité. J’avais à peine fait deux pas que je sentais déjà les regards me déshabiller comme si j’étais un morceau de viande. Des mains ont effleuré mon bras, d’autres mon dos. Certaines légères, presque timides, d’autres plus franches. Je n’ai rien accepté, préférant comprendre la dynamique avant de me laisser prendre.
Ce qui m’a frappé d’abord, ce n’est pas tant les corps qui se cherchent ou s’attrapent sans gêne un peu partout. C’est le silence. Personne ne parle, ou presque. Tout se joue dans les yeux, dans les gestes, dans la manière dont le gars s’oriente vers toi ou s’éloigne. C’est clair, direct, parfois brutal, mais c’est plus honnête et humain qu’un profil qui t’ignore derrière un écran.
En entrant dans le hammam, j’ai vu un beau brun barbu, torse mouillé par la vapeur. Il était seul. Je me suis assis à côté. Après quelques secondes d’hésitation, j’ai posé doucement ma main sur sa cuisse. J’étais sûr qu’il allait me la repousser. Mais non. Il l’a laissée là. C’est fou ce que ça peut déclencher, une main qui reste.
On croit souvent que, dans un sauna, tout le monde est à l’aise de toucher et d’être touché. C’est faux. Il faut du courage pour initier le contact. Quand tu poses une main, tu offres quelque chose, mais tu t’exposes aussi. Tu peux être accepté ou rejeté. Parfois, le gars te regarde, reste, te touche. D’autres fois, il se lève, se pousse ou fait comme si t’existais pas. Et même si tu sais que c’est pas personnel, que ça fait partie du jeu, ton égo en prend quand même un coup.
Je connais des gars qui rient des saunas. Pour eux, c’est sale, dépassé, gênant. Certains vont jusqu’à dire que ça les dégoûte. Ça me fait rire, parce que ce sont souvent les mêmes qui passent des heures sur Grindr à envoyer des nudes à des inconnus et à enchaîner les rencontres éphémères sans connaître le prénom de l’autre. Et ça, c’est censé être plus noble ? Faut arrêter de se mentir. On veut tous la même chose : être vu, être touché, être désiré. La seule différence, c’est comment on choisit d’y arriver.
Y’a aussi une espèce de snobisme, comme si les gars « équilibrés » ne vont pas là. Que c’est un truc de désespérés, de vieux en manque ou de célibataires pathétiques. Faut ne jamais avoir mis les pieds là-bas pour croire ça. Dans ces couloirs, j’ai vu des jeunes de 20 ans, des quadras en couple, des mecs magnifiques, d’autres banals, bedonnants, musclés, timides, audacieux.
Et rappelons-le : les saunas, ce n’est pas une invention gay des années 80. Les bains publics existaient déjà chez les Grecs et les Romains. On y venait pour se laver, se détendre, mais aussi pour baiser. On a remplacé les colonnes de marbre par du carrelage, les toges par des serviettes blanches et ajouté des distributeurs de condoms. Mais la base est la même : un espace où le désir circule librement.
Ce qui a changé, ce n’est pas le désir. C’est notre tolérance au contact direct. Aujourd’hui, on reçoit un tap sur Grindr à la place d’un regard. On swipe au lieu d’avancer d’un pas. On bloque au lieu de dire « non merci ». C’est rapide, pratique, ça évite les malaises. Mais dans ce confort, on a perdu ce qui faisait, à mon avis, la magie de la cruise : le trac, l’incertitude, ce petit frisson quand tu t’approches d’un inconnu sans savoir si ça va marcher, même pour un truc éphémère de douze minutes.
Les applis ont aussi transformé le désir en catalogue. On trie par âge, poids, couleur de peau, rôle sexuel. Dans un sauna, c’est l’inverse : on se laisse surprendre. On part d’un regard, pas d’un profil. Parfois, ça clique entre deux gars qui, sur une appli, ne se seraient jamais « matchés », souvent pour les pires raisons. Ici, l’instinct décide avant que la tête ait le temps de juger. Et ça, je trouve que ça fait du bien.
Je ne dis pas que les saunas sont parfaits ni que c’est pour tout le monde. Loin de là. Comme ailleurs, il y a du rejet, du racisme, de l’âgisme, de la fétichisation. Je dis juste que c’est une façon parmi d’autres de se reconnecter à son corps, à la chaleur d’un autre, sans détour. C’est aussi l’un des rares endroits où tu peux exister sans identité sociale, sans prénom et sans « te vendre ». Tu es seulement une personne parmi d’autres.
Maintenant, quand j’y retourne, je ne reste plus devant la porte deux minutes par peur de me faire voir. J’entre direct. Y’a rien de gênant de toucher ou de se faire toucher, même avec un inconnu. On en a tous besoin. Puis, dans un monde qui ne sait plus approcher l’autre autrement qu’à travers un écran, ça fait du bien de se faire regarder dans les yeux et de se sentir désiré.
Merci d’avoir partagé ton expérience au sauna. Cela devrait inciter d’autres mecs gay à y aller sans gêne. Bravo mec pour ton audace et ton courage.