Il s’est agenouillé devant moi, son regard rivé au mien avec une intensité qui frôlait l’indécence. Ses mains glissaient sur mes hanches, marquant leur présence sur chaque centimètre de ma peau. Son souffle, lent et brûlant, s’attardait sur mon bas-ventre. Il prenait tout son temps, et j’en redemandais. J’ai fermé les yeux et savouré l’instant. Puis, sans un mot, il s’est retourné face contre le mur, s’offrant tout entier.
J’étais persuadé que, cette fois enfin, c’était moi qui mènerais la danse. Parce qu’on m’a toujours dit que celui qui pénètre est celui qui dirige. Ça semblait logique. Pourtant, plus mes mains parcouraient son corps, plus je sentais que c’était lui qui imposait le rythme. Je ne faisais que suivre ses soupirs, répondre à ses frissons. Le premier homme que j’ai désiré m’avait déjà enseigné cette leçon, sans même le savoir. J’avais dix-huit ans, lui trente-deux. Grand, musclé, une voix grave faite pour commander. Il bougeait avec l’aisance de ceux qui n’ont jamais eu à douter. Je croyais qu’il contrôlait tout, que je n’étais qu’un corps entre ses mains. Puis il y a eu cette pause – brève, presque imperceptible, mais trop précise pour être un hasard. Il s’est figé une seconde, ses yeux ont cherché les miens. Pas par hésitation, mais pour attendre mon feu vert. Là, tout a basculé : sans mon accord, il n’aurait rien eu. Mais à l’époque, je ne comprenais pas encore toute la finesse de ce jeu. Ce n’est qu’après d’autres nuits, d’autres corps, que j’ai saisi que cette pause en disait plus sur le désir que n’importe quel coup de bassin.
Ce moment m’est resté. Il a mis le doigt sur quelque chose qu’on questionne rarement. Qui mène vraiment ? Celui qui prend le contrôle ou celui qui l’accorde ? Celui qui guide ou celui qui choisit de s’abandonner ? On a grandi avec cette idée que celui qui donne est celui qui dirige, et que l’autre suit. Des rôles figés dans l’imaginaire collectif, nourris par le porno, les applis et ces conversations d’ego qui, trop souvent, réduisent le sexe à un rapport de force. Comme si la pénétration devait forcément placer l’un au-dessus, l’autre en dessous – dans tous les sens du terme.
Dans le feu de l’action, rien n’est aussi simple. Les rôles vacillent, se redéfinissent au gré des soupirs. Certains tops hésitent, cherchent la validation d’un passif plus affirmé. Et il y a des bottoms qui, loin de se soumettre, prennent les rênes, imposent le rythme et orchestrent l’acte avec une aisance déconcertante. Tout ce qu’on pensait savoir disparaît dans la chaleur des draps.
Qu’on préfère donner, recevoir ou alterner, ce n’est pas ça, l’enjeu. C’est qu’on attribue encore trop souvent à ces rôles une hiérarchie absurde, comme si, au lit, il fallait forcément un dominant et un dominé. J’ai entendu des gars jurer qu’ils « ne se feraient jamais prendre », comme si l’idée même de recevoir les mettait en position d’infériorité. Ironiquement, certains de ces tops autoproclamés avaient déjà senti mon corps les traverser, frémissant sous un plaisir qu’ils préféraient taire une fois habillés. Le paradoxe était savoureux.
À l’inverse, combien se sont excusés d’être ‘plutôt passifs’, comme s’ils confessaient une faiblesse. Pourtant, ces gars-là contrôlaient tout au lit. Le rythme, l’intensité, les positions. Tout. La preuve que recevoir, ça n’a rien à voir avec l’idée d’infériorité qu’on nous vend partout. C’est une prise de pouvoir comme une autre – peut-être même la plus subtile et la plus jouissive. Être top, ce n’est pas juste faire du va-et-vient dans l’autre en espérant qu’il suive. C’est écouter son partenaire, sentir quand ralentir ou accélérer, savoir décoder un soupir qui veut dire « attends un peu » ou « vas-y plus fort ». Un top qui n’écoute pas n’a rien d’un dominant. C’est juste un gars qui se masturbe avec un corps sous lui.
Un bottom qui fait juste l’étoile, ce n’est pas de la soumission, c’est de la résignation. Être passif, ça ne veut pas dire être immobile et attendre que ça passe. C’est dicter le rythme, donner ou retirer des permissions sans nécessairement avoir besoin de parler.
Je repense parfois à ce premier homme, celui de mes dix-huit ans. Avec le recul, je comprends mieux ce qui m’a marqué ce soir-là. Ce n’était pas son contrôle apparent qui m’avait conquis, mais précisément le fait qu’il sache quand arrêter, quand écouter, quand attendre. En réalité, il ne m’a rien imposé : il m’a juste donné exactement ce que j’étais prêt à recevoir.
Et si on arrêtait de vouloir prouver quelque chose chaque fois qu’on baise ? Le sexe n’a rien à prouver. Il ne s’enferme pas dans des cases, il ne se plie pas aux attentes. Le vrai sexe, c’est brut, c’est instinctif, c’est un instant où tout s’efface, où il n’y a plus que l’autre. Sa chaleur sur ta peau, son souffle sur ta nuque, cette tension qui monte et qui t’emporte. C’est ça, l’abandon. C’est ça, le vrai pouvoir.
Depuis quelques mois déjà ce chroniqueur fait des articles rafraichissant et au goût du jour. Bravo Nicolas !!!J’ai été très surpris de voir son article de ce mois-ci aussi loin dans le magazine.