Jeudi, 27 novembre 2025
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    Entrevue avec Ken Monteith, le VIH-sida assis le cul entre deux chaises

    Les traitements du VIH et la PrEP existent et fonctionnent, mais plusieurs personnes reçoivent leur diagnostic comme si elles allaient mourir d’un jour à l’autre. Le gouvernement du Québec refuse d’adopter les objectifs d’ONUSIDA. L’ancienne administration de Montréal a rejoint le mouvement Villes sans sida… sans s’investir pleinement. Malgré les avancées enthousiasmantes, le chemin à parcourir demeure indéniable, selon Ken Monteith, directeur général de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida.

    Quelques années après la COVID, comment la santé publique peut-elle renouer avec la communauté LGBTQ+ pour répondre à ses besoins ?
    En collaborant. On a toujours bien collaboré avec la santé publique, mais au début de la COVID, les demandes excessives sur le système de santé nous ont fait perdre certaines collaborations. Par exemple, les infirmières qui — avec les organismes communautaires — allaient faire du dépistage dans les lieux de socialisation et autres. Tout ça a été annulé par manque de ressources.

    Sans oublier les actions mises en place sans consulter la communauté.
    Oui, pensons au couvre-feu, par exemple. En pleine crise de surdoses, on demandait aux personnes qui utilisent des drogues de ne pas consommer seules à la maison, mais le couvre-feu les empêchait de se déplacer au service de consommation supervisée. Ça n’avait pas de sens. Ou encore, on demandait aux gens de ne pas se rencontrer, en sachant que plusieurs le feraient quand même, mais on ne faisait plus de dépistage pendant une longue période.

    Vit-on encore avec les contrecoups de la réduction des tests réalisés en 2020 et 2021 ?
    Le nombre est revenu maintenant. Cela dit, on croit que les intervenants communautaires devraient être habilités à réaliser des tests rapides de VIH, comme c’est le cas dans plusieurs pays et en Ontario. Comme ça, on se rapproche des personnes plus éloignées du système et plus fragiles. Je ne prétends pas que les organismes communautaires peuvent assumer le fardeau du réseau de la santé, mais cette idée aurait pu maintenir les activités de dépistage dans certains lieux.

    Qu’en est-il du mouvement Villes sans sida auquel adhérait Montréal ?
    L’ex-mairesse Valérie Plante avait signé, mais la Ville n’a jamais mis des ressources dans l’initiative. De notre perspective communautaire, on a travaillé pour voir comment la Ville pourrait contribuer à la solution et on a eu des déceptions en cours de route. Certaines mesures de la Ville en lien avec les personnes qui consomment des drogues, les personnes itinérantes et les travailleuses du sexe ont frustré nos efforts de prévention et de sensibilisation.

    Avez-vous des exemples ?
    Quand la Ville démantèle brusquement des campements de personnes sans-abris en gardant éloignés les travailleurs sociaux qui auraient pu s’impliquer, ça n’aide pas. Quand on dit qu’on devrait investir plus dans la communauté et moins dans la police, mais que c’est le budget de la police qui monte, ce n’est pas aidant. On va voir si la nouvelle mairesse, Soraya Martinez-Ferrada, est prête à s’engager.

    Le Québec fait-il assez pour prévenir de nouvelles infections ? 
    Le gouvernement du Québec n’a jamais adopté les objectifs de l’ONUSIDA : d’ici 2030, on veut que 95 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, que 95 % de celles qui sont diagnostiquées reçoivent un traitement antiviral et que 95 % des personnes sous traitement soient indétectables. On appelle ça la cascade de soins pour réussir à éliminer les nouvelles transmissions. Le gouvernement fédéral a endossé ces objectifs, mais il n’est pas responsable du dépistage ni des soins.

    À l’aube de 2026, quels sont les chantiers en santé publique qui touchent le VIH et les ITSS ?
    Nous avons les médicaments et les outils de prévention, mais on doit s’assurer d’un accès pour tout le monde à l’expertise, aux soins, aux médicaments et à la PrEP. On est dans une bonne posture ici, mais pas ailleurs. On peut certainement s’inquiéter des effets des coupures américaines sur les pays en développement. Si on se penche sur les droits de la personne, on n’a pas tellement amélioré notre situation. On observe un abandon des gouvernements. Ce n’est pas une priorité pour eux. Elle est où la campagne gouvernementale pour expliquer I=I ? Elle est où est l’action pour défendre les droits des personnes vivant avec le VIH ? Elles doivent encore souffrir et essayer de faire valoir leurs droits. Il n’y a pas de campagne de sensibilisation pour éliminer la discrimination.

    Quels éléments nuisent à une plus grande utilisation de la PrEP au Québec ?
    La PrEP n’a pas rejoint toutes les populations concernées. Il y a une très bonne adhésion des hommes gais et bisexuels, mais la PrEP semble moins disponible dans les autres communautés de la société. On doit se questionner si les médecins en régions ont moins d’expérience ou s’ils sont moins confortables à la prescrire. Certains ne sont pas assez spécialisés en VIH et en ITSS. D’autres sont méfiants ou entretiennent des jugements de valeur : ils se demandent s’ils cautionnent un manque de moral en prescrivant ça.

    La stratégie « Indétectable = Intransmissible » (I=I) est-elle bien comprise ?
    Par le milieu médical, oui. Par la population en général, je ne pense pas. Chaque semaine, on voit des gens qui reçoivent un diagnostic de VIH comme si on était dans les années 1980. C’est la panique générale. Ils ne comprennent pas où on est rendus avec les traitements ou ils n’ont pas confiance. Pourtant, plusieurs études et des milliers de relations séro-différentes appuient le fait qu’on ne transmet pas le VIH avec une charge virale indétectable. On a fait notre part pour éduquer les personnes vivant avec le VIH qui fréquentent les organismes. On a répété une campagne publicitaire pour le grand public, mais ça coûte très cher. On n’a pas les moyens de la répéter beaucoup.

    De nos jours, quels sont les obstacles les plus importants à la prévention du VIH ?
    Outre le manque de financement pour les campagnes de sensibilisation, on observe un virage vers l’intolérance envers nos efforts. Par exemple, si on parle des gens qui utilisent des drogues, le projet de loi 103 veut établir une distanciation entre les services de consommation supervisée, les écoles et garderies. Ça nuit à l’établissement de services qui sont nécessaires et qui sauvent des vies, en plus de faire la prévention de transmission du VIH.

    Voyez-vous des inégalités d’accès aux soins et à la prévention entre Montréal et les régions ?
    Certainement. Les spécialistes sont largement à Montréal. Plusieurs personnes qui vivent avec le VIH en régions préfèrent être suivies à Montréal. Soit parce qu’il n’y a pas de médecins avec suffisamment de connaissances sur la question dans leur coin. Soit parce qu’elles craignent que la confidentialité de leurs soins soit brisée dans une petite ville. 

    Peut-on aussi parler du montant payé par les gens pour la prévention ou les traitements ?
    Au Québec, on a l’assurance médicaments et les obligations pour les assureurs au privé, mais il y a toujours une contribution personnelle obligatoire qui peut être chère pour les personnes à bas revenus. Pour quelqu’un qui travaille à temps plein au salaire minimum, dépenser 95 $ par mois pour payer des médicaments du VIH ou la PrEP, ça devient beaucoup. C’est trop cher. La COCQ-sida revendique la gratuité des traitements et de la PrEP. 

    Vous avez également un service pour les personnes sans statut qui ne sont pas couvertes par la RAMQ.
    Comme les étudiants étrangers, les travailleurs temporaires ou les demandeurs d’asile. On leur offre un suivi avec la collaboration de beaucoup de médecins qui se portent volontaires et d’autres partenaires. Sans notre implication, plusieurs personnes qui sont devenues indétectables n’auraient pas reçu de traitement. Durant la COVID et la variole du singe, on a vu que tout le monde sur le territoire devrait avoir accès aux dépistages, aux vaccins ou aux traitements. C’est comme ça qu’on protège la population.

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