À moins de vivre sur une autre planète ou de vous réveiller d’un coma de 30 ans, vous savez tous que cet été j’ai fêté mes 30 ans de carrière. Pourquoi je ramène ça sur le tapis? Parce qu’y’a pas une maudite journée, depuis le jour où j’ai avoué au monde entier que je n’avais plus 29 ans, que je croise pas quelqu’un dans la rue qui m’aborde avec ce genre de réflexion : « Wow 30 ans de carrière, c’est long, t’es pas tannée de faire la même job depuis tout ce temps là? Aimes-tu encore ça? Es-tu heureuse au moins? ».
Bon, la v’là la question à 1 000$ que France Beaudoin pourrait me poser à En Direct de l’Univers (d’ailleurs, j’attends toujours son invitation). Faque vas-y ma noire, dis-nous le si t’es encore heureuse après 30 ans à faire le même métier. Bon, on va mettre les choses au clair tout de suite, ça fait pas 30 ans que je fais le même métier, ça fait 30 ans que je fais évoluer un personnage. Oui, un personnage. Désolé de vous décevoir, chu pas une vraie femme, même si la moitié de mes employés m’appellent, maman, matante, marraine, mommy, granny et j’en passe. Pis pensez-vous vraiment que je ferais encore le même métier après 30 ans si j’étais tannée? J’couds pas des boutons dans une manufacture pis chu pas femme de ménage dans un peep show! Et en connaissez-vous beaucoup des métiers où tu peux bitcher, boire, pis frencher sur la job?
Bon, c’est sûr que mon métier n’est pas toujours rose, il faut parfois dealer avec des soulons qui essayent de monter sur scène pendant ton spectacle, des comiques qui se trouvent drôles de t’interrompre en plein milieu d’un monologue pour te conter une joke plate, des jeunes qui ont aucun scrupule à texter dans ta face pendant que tu parles ou des enterrements de vie de filles qui pensent que tu vas changer ton show list pour elles parce qu’elles te font l’honneur de sortir dans ton bar pour célébrer les derniers jours de célibat de leur chum de fille. Hey, chu pas Gregory Charles, tu mets pas les tounes que tu veux entendre dans un chapeau pour que j’te les chante. Mais on dira ce qu’on voudra, drag queen, c’est quand même un beau métier. Peut-être pas aussi passionnant que mairesse (bravo Valérie!) mais hey, c’est comme l’Halloween à tous les jours.
Bon, c’est sûr que 30 ans de talons hauts, ça donne mal au dos mais ça te fait des jambes d’enfer et des belles fesses dures à en rendre jalouse une danseuse de flamenco. Alors somme toute, oui, je suis heureuse. Je dirais même plus, très heureuse. Mais bon, ça ne m’empêche pas de me sentir insécurisée comme n’importe quelle vedette qui a peur de moins pogner en vieillissant. Il m’arrive de plus en plus souvent de rentrer chez nous le soir après un spectacle et de partir dans mes pensées et là, je vois défiler sous mes longs faux-cils scintillants le film de ma vie de starlette de cabaret et j’me demande si j’vais toffer encore longtemps?
Pis j’pense à vous autres mes chéris et j’me dis, y vont-tu être encore là pour rire de mes niaiseries quand je fêterai mes 50 ans de carrière? Pis moi, j’vas être rendue où dans 20 ans? À l’animation du talk show le plus populaire du Québec, propriétaire d’une chaîne de restaurants végétaliens ou dans un sous-sol d’église à faire des bingos pour des vieilles tricoteuses de pantoufles en phentex? J’vas tu finir mes jours dans un 1½ au chez nous des artistes, dans un penthouse à l’Île des Sœurs ou ben dans une roulotte en Floride? Non, je ne veux pas être forcée de raconter que «c’est donc dur de vieillir» à Paul Arcand ou de me défendre d’être en charge du plus gros trafic de poudre à maquillage chez Denis Lévesque. Oh, Vierge Marie et tous les saints du ciel rassemblés, laissez-moi encore cacher mes rides et mes vergetures dans les vapeurs d’un sauna à Longueuil!
Mais dans le fond, mes chéris, je ne devrais pas trop m’inquiéter du futur car, si Céline a été capable de rajeunir son image en s’habillant comme une montgolfière ou comme un abri Tempo, moi aussi, chu capable d’avoir l’air jeune et branchée encore longtemps. Merci à toi, grande diva de Charlemagne, déesse de Las Vegas et reine du smoked meat de m’avoir rassurée sur mon avenir de méga star internationale en me prouvant qu’il n’y a pas d’âge pour se renouveler et que ce n’est pas le botox qui nous rend éternelle, mais le talent. Et au risque de paraître têteuse, si je fais encore ce beau métier aujourd’hui, que je compte encore faire pendant un autre 30 ans, minimum, c’est beaucoup grâce à l’amour du public qui me suit, qui m’est fidèle, qui me vénère et qui m’adule depuis le premier jour de ma carrière! Et ça, mes chéris, cet amour pur et sincère, c’est ma locomotive, mon moteur, ma motivation et ma raison de monter sur scène soir après soir depuis 30 ans. Parce que de l’amour, on n’en a jamais trop. Comme le disait si bien La Poune: «J’aime mon public, pis mon public m’aime».