Gabriel Nadeau, qui a vécu trois séances pour se libérer de son homosexualité, a livré un témoignage touchant et rempli d’espoir, lors du dévoilement du mémoire de l’Alliance Arc-en-ciel de Québec sur les pratiques de réorientation sexuelle au Québec (voir article dans le Fugues de juin 2018).
Durant la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, le 17 mai, ce résident de Saint-Lambert a raconté comment s’était déroulée, en juillet 2006 à Montréal, sa première «séance de délivrance» alors qu’il n’était âgé que de 12 ans. «J’avais été convaincu par [le mouvement pentecôtiste] et par ma mère qu’il était pertinent de demander une intervention du leader religieux afin qu’il chasse de moi le démon de l’homosexualité.»
Dans la «salle de délivrance», quatre ministres religieux l’ont contentionné pour le maintenir en place lorsque le «démon» essayerait de sortir de lui. Après avoir bu de l’huile d’olive, le leader religieux lui a «hurlé» dans les oreilles durant plus de 30 minutes. «Je pleurais de détresse pendant ce traitement abusif et j’attendais hâtivement en espérant de tout mon cœur de devenir normal, comme mes [deux] frères et tous les autres hommes du monde.»
Étant donné que son homosexualité se manifestait toujours, il s’est imposé durant son adolescence et au début de sa vie d’adulte deux autres séances de délivrance, des séances de prières, plusieurs périodes de jeûne, et l’abstinence sexuelle. Il a aussi songé à adhérer à un groupe de conversion composé «d’ex-homosexuels guéris». Durant cet épisode triste de sa vie, il a vécu beaucoup de détresse psychologique, notamment de l’anxiété et des pensées suicidaires. «Il y avait un dénominateur commun à toutes ces tentatives de délivrance de mon homosexualité: un rejet sévère de moi-même, un rejet du vrai Gabriel tel qu’il est. Mais qui était ce vrai Gabriel? C’était quelqu’un qui avait un désir profond de connecter avec un gars […], de tomber en amour avec lui et de vivre une belle histoire d’amour comme dans les vieux films.»
Un homme maintenant épanoui
Gabriel Nadeau, qui a étudié dans une école religieuse de Québec durant son adolescence, s’en est sorti grâce à ses cours de philosophie au cégep et au soutien de ses collègues de travail hétérosexuels qui l’ont encouragé à vivre son homosexualité. À 19 ans, il a finalement fait son coming out. Âgé aujourd’hui de 24 ans, il prépare une maîtrise en gestion des ressources humaines à HEC Montréal, ne pratique plus aucune religion et souhaite trouver son prince charmant. «Je me sens si libre. Depuis quatre ans, je suis fier et heureux d’être gai.»
Des actions gouvernementales à venir
La ministre québécoise de la Justice et responsable de la lutte contre l’homophobie, Stéphanie Vallée, n’a pas attendu la publication du mémoire de l’Alliance Arc-en-ciel de Québec pour commencer à agir et ainsi «éviter d’autres cas comme Gabriel Nadeau».
À sa demande, le Bureau de lutte contre l’homophobie a lui aussi documenté ce phénomène en collaboration avec les ordres professionnels concernés. «Je reconnais que du travail doit se faire. La question des thérapies de conversion, pour moi, c’est un enjeu préoccupant. Il fallait le documenter, parce qu’outre le document de l’Alliance Arc-en-ciel, il n’y a à peu près rien d’écrit sur cette question au Québec», a-t-elle mentionné lors du dévoilement.
Un plan d’action sera éventuellement publié. «Évidemment, le constat, c’est qu’on doit faire plus et qu’on doit nécessairement informer et éduquer davantage la population, et travailler auprès des ordres professionnels. Les gens doivent être informés de la possibilité de dénoncer des pratiques professionnelles contraires aux codes d’éthique et de déontologie des psychologues, des sexologues et des travailleurs sociaux. La psychothérapie visant la conversion n’est pas un acte reconnu par les ordres professionnels», a-t-elle souligné. En entrevue à Fugues, elle a précisé qu’aucune plainte n’avait été déposée à ce sujet aux syndics des ordres professionnels concernés.
Elle a déploré que certains sites Web offrent aux personnes homosexuelles le choix de changer d’orientation sexuelle. «La façon dont on décrit l’homosexualité sur ces pages est troublante. Mais, cela s’exprime de façon tout à fait neutre, sans aucune référence à la religion.»
Elle a indiqué que les directions de protection de la jeu-nesse seront sensibilisées au phénomène des thérapies de conversion. «Dans les cours d’éducation sexuelle, on mentionnera que la sexualité s’exprime sous différentes formes et que les propos homophobes et transphobes causent des torts.»
Une «pratique arriérée»
Les trois autres partis politiques représentés à l’Assemblée nationale étaient présents à la conférence de presse. La candidate dans Taschereau pour Québec solidaire, Catherine Dorion, a déclaré que son parti appuyait toutes les recommandations de l’Alliance Arc-en-ciel. Elle a suggéré aux personnes qui refusent l’homosexualité de consulter un thérapeute au lieu de «déposer leur tonne de souffrance au fonds des homosexuels».
La représentante de la Coalition Avenir Québec, la députée Geneviève Guilbault, a qualifié la thérapie de conversion de «pratique arriérée». «Cette pratique va à l’encontre de l’évolution de la société, de la transformation des mentalités, de l’ouverture légitime naturelle à la diversité humaine. Les gens qui ont de la difficulté à vivre avec leur homosexualité sont ni plus ni moins invités à suivre des thérapies pour guérir d’une maladie qui n’existe pourtant pas. Et ça, c’est ici même au Québec, en 2018. L’Alliance a donc parfaitement raison de rappeler l’importance de dire que la source de la souffrance ne vient pas de l’homosexualité elle-même, mais bien de sa non-acceptation. Le problème ne réside pas chez les homosexuels, mais bien dans l’homophobie.»
Enfin, Agnès Maltais, députée péquiste de Taschereau, a été surprise d’apprendre l’existence de telle thérapie au Québec. «Pour moi, c’était un phénomène essentiellement américain ou canadien-anglais. Je ne pensais pas, cher jeune Gabriel Nadeau, que des jeunes comme toi avaient vécu ça et je suis personnellement horrifiée», a-t-elle révélé. Elle est d’avis que certaines des recommandations peuvent être réalisées facilement et à peu de frais, par exemple la mise en place de groupes de soutien aux victimes des thérapies de conversion et l’interpellation des directions de la protection de la jeunesse. «Il faut maintenant approfondir cette situation. Je ne peux pas accepter qu’au Québec, il y ait des encouragements à des thérapies de guérison, et surtout une acceptation de leur existence sur notre territoire.»