Depuis 2017, le mouvement #Me Too a pris d’assaut la conscience populaire et a entrainé l’amorce (il est encore trop tôt pour en mesurer les véritables effets) d’un jugement critique sur les pratiques de pouvoir et de harcèlement sexuel du milieu du cinéma à l’égard des femmes.
Le mouvement n’est cependant pas le fruit d’une génération spontané, mais bien la résultante d’une enquête complexe et semée d’embuches, lauréate d’un prix Pulitzer, menée par le journaliste Ronan Farrow autour du producteur Harvey Weinstein, qui nous est révélé dans l’ouvrage Catch and kill (Les faire taire, en français).
Le sujet ne pouvait qu’interpeler l’auteur puisqu’il était encore hanté par son incapacité à soutenir correctement sa sœur Dylan au regard des agressions sexuelles qu’aurait commis son père, Woody Allen, alors qu’elle n’avait que 7 ans. On peut également penser que le fait d’être gai ait pu l’amener à porter un regard plus acéré sur des pratiques discriminatoires et dégradantes.
La lecture d’un ouvrage portant sur le déroulement d’une enquête journalistique, majoritairement constituée d’assemblages de témoignages, pourrait sembler lassante, mais il n’en est rien puisqu’elle se révèle au contraire pleine de rebondissements. En effet, Ronan Farrow dresse en parallèle du déroulement de son enquête, les diverses manœuvres, incluant de l’espionnage (par l’intermédiaire de Black Cube, une agence israélienne) et du chantage, mise en place par Weinstein ainsi que le réseau NBC, pour étouffer l’affaire.
La symbolique du récit est d’ailleurs adéquatement explicitée dans son sous-titre: Lies, spies, and a conspiracy to protect predators (Mensonges, espions et conspirations: comment les prédateurs sont protégés). Contrairement à ce que l’on serait tout d’abord porté à croire, le « catch » du titre anglais ne réfère pas au concept d’appréhender un criminel, mais bien plutôt à celui d’attraper une information et à la tuer dans l’œuf afin qu’elle ne devienne jamais publique, évitant ainsi qu’elle nuise à la réputation de l’un des puissants de ce monde.
Bref, un voyage fascinant dans les bas-fonds de l’âme humaine et au cœur de systèmes mis en place pour protéger des criminels et banaliser leurs actions. Disponible en anglais ainsi que dans une très bonne traduction française.
Sur une note plus anecdotique, Mia Farrow a souvent évoqué qu’il était fort possible que le père biologique de Ronan soit Frank Sinatra, avec qui elle fut mariée et qu’elle continua de fréquenter par la suite, et non pas Woody Allen. Disons que le pas n’est effectivement pas très difficile à franchir après un simple coup d’œil à une photo du journaliste.
Catch and kill / Ronan Farrow.New York: Little, Brown and Company, 2019. 448p.
Les faire taire / Ronan Farrow. Paris: Calmann Lévy, 2019. 444p.