L’organisme est connu à travers le Québec et même au-delà. Il a été de toutes les batailles juridiques et légales au Québec pour une meilleure acceptation des droits des gais, des lesbiennes et, depuis quelques années, des personnes bisexuelles et transgenres. Sa mission première: être une première ligne d’écoute pour les personnes se posant des questions sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, ou sur celles qui vivent des difficultés dans leur vie quotidienne avec leurs différences, que ce soit dans le milieu familial, scolaire, professionnel ou autres.
Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, les appels ne dérougissent pas malgré tous les changements intervenus depuis quatre décennies. Un organisme qui a aussi grandi, qui a une plus grande couverture puisqu’on peut le rejoindre à partir de n’importe où au Québec, enfin qui a su s’adapter à toutes les nouvelles technologies de communication, textos, courriels, etc.
Dès le 14 mars dernier, devant la pandémie qui s’installait au Québec, Interligne a réagi en renforçant ses services, c’est-à-dire en ajoutant des répondant.es bénévoles à ses heures habituelles de service. «Nous savions que nous aurions un accroissement des appels dès le début de la pandémie, et nous ne nous sommes pas trompés, témoigne le directeur général de
l’organisme, Pascal Vaillancourt, parce que nous avons vu une augmentation des appels de 20 à 30%, et sur le nombre total, un tiers concernait la Covid-19.»
Bien évidemment, Interligne a été reconnu comme un service essentiel. Et c’est ce qui a présidé à sa création. Venir en aide, dès les années 80, à celles et ceux qui éprouvaient de la peur, de la souffrance, et des doutes pouvant amener des idéations suicidaires. À qui s’ouvrir quand on vit dans un milieu inhospitalier face aux différences qui touchent à la sexualité et au genre ? Pour Pascal Vaillancourt qui a choisi, il y a cinq ans, de prendre les rênes de Gai Écoute, le saut correspondait à des valeurs qu’il souhaitait défendre. L’homme avait travaillé au fédéral dans un programme des réservistes-cadets, une expérience enrichissante mais apportant aussi quelques frustrations. «C’est peut-être le lot de toutes les grosses structures comme l’administration fédérale, c’est très lent à faire bouger, les moindres changements peuvent prendre beaucoup de temps, ajoute Pascal Vaillancourt, alors j’ai décidé de plonger vers le communautaire, et je me suis rendu compte que cela correspondait à ce que je cherchais même si, on s’entend, ce n’était plus le même salaire.»
Pascal Vaillancourt est aussi à l’origine du changement de nom de l’organisme. Sous sa direction, Gai Écoute allait devenir Interligne. La raison tient à l’image parfois fausse que l’on se faisait de ce service d’écoute. «Pour beaucoup, Gai Écoute était un service qui s’adressait principalement aux hommes gais, continue le directeur, et dans les faits, on se rendait compte qu’il y avait peu de femmes qui appelaient, et encore moins de personnes transgenres. Il fallait donc remédier à cette situation compte tenu du fait qu’il n’y avait pas ou très peu d’alternatives pour les lesbiennes et les personnes transgenres qui offraient des services semblables à ceux de Gai Écoute, et donc de choisir un nom qui soit plus inclusif.»
Une décision qui s’est révélée une bonne solution puisque les appels de femmes et de personnes transgenres sont en continuelle progression. «Il ne fallait pas seulement changer le nom, mais aussi faire savoir à ces personnes qu’elles pouvaient appeler en toute confiance, former aussi les employé.es et les bénévoles à l’écoute, surtout pour tout ce qui touche les personnes trans, précise Pascal Vaillancourt, mais aussi nous adapter avec les plus récentes plateformes de communication, comme le clavardage en privé, les courriels, etc., même si la ligne téléphonique reste encore privilégiée par les appelant.es, environ 80%».
Autres changements notables, depuis 2016, on peut en tout temps, 24h par jour, et 365 jours par an, avoir accès à un.e écoutant.e. Un grand changement d’autant que le soir et la nuit représentent le plus grand volume d’appels. «Actuellement, nous comptons 20 employé.es et environ une soixantaine de bénévoles, certain.es étant en fait en réserve pour combler les postes, pendant des vacances ou autres raisons, des écoutant.es régulièr.es, explique le directeur, ce qui permet d’avoir un service qui fonctionne sans aucune interruption, ce qui est important compte tenu des situations d’urgence que peuvent vivre certaines personnes qui ont besoin de parler à quelqu’un.e.»
Depuis son arrivée, les appels (toutes plateformes confondues) sont passés de 12 000 en 2011 à 35 000 en 2019, et le portrait de la ligne a changé. Ce sont les femmes qui utilisent le plus les services d’Interligne (48%), les hommes suivent de près (41%), enfin les personnes transgenres et non binaires (11%). Et, toutes catégories confondues, les jeunes représentent 26% des appelant.es. Malgré tous les changements intervenus aux cours des quatre dernières
décennies, les chiffres démontrent que tout n’est pas réglé. Et que, selon les contextes et les circonstances, beaucoup éprouvent de la difficulté et parfois de la souffrance à pouvoir être ce qu’elles et ils sont. Dans les problématiques récurrentes, on retrouve selon le directeur d’Interligne, la question de l’acceptation dans les familles, les différentes formes de discrimination possible en milieu de travail, et enfin les enjeux de santé mentales. «Les enjeux de santé mentale sont encore plus criants avec la pandémie qui sévit actuellement, explique Pascal Vaillancourt, surtout pour les aîné.es LGBTQ qui souffrent plus de solitude et d’isolement actuellement.»
D’où la nécessité pour de nombreux organismes de continuer la formation et la sensibilisation comme le fait Interligne. Auprès des jeunes mais aussi dans toutes les sphères sociales et professionnelles. Grâce au financement obtenu du Fonds Accès Justice, Interligne a ajouté à ses services une clinique juridique téléphonique ouverte tous les mardis de 17h à 21h (1-800-970-2720). Ou encore un Service Jeunesse que l’on peut contacter à [email protected] ou en téléphonant au 514 866-6788, poste134. Enfin, le projet Alix qui permet à chacun de recevoir de l’écoute suite à un acte de violence vécu (alix.interligne.co).
Le site d’Interligne est une très bonne porte d’entrée pour recevoir une première information. Bien évidemment, les bénévoles comme les employé.es reçoivent une formation serrée tout comme au long de leur pratique. Des séances d’information et de mise à niveau sont organisées tout au long de l’année et il y a toujours un.e intervenant.e de supervision pendant tous les quarts de travail. Un gage de sérieux et de sécurité pour toutes celles et ceux qui auraient besoin d’appeler Interligne.
Quarante ans d’aide aux personnes LGBTQ témoignent fort heureusement du soutien que la communauté a pu apporter, mais aussi qu’il faut encore redoubler d’efforts pour que chacun et chacune puisse être soi-même dans des environnements qui soient plus sécuritaires et plus inclusifs. Interligne ne lâche pas et n’est pas près de souffler sa dernière bougie.
INTERLIGNE : POUR LA PETITE HISTOIRE
Pour la petite histoire, Gai Écoute (aujourd’hui Interligne) est né en 1980, en calquant Gay Line, une ligne d’écoute gratuite de langue anglaise s’adressant à des hommes qui éprouvaient des difficultés à vivre leur homosexualité. L’organisme prend réellement son envol en 1984 avec l’arrivée à sa tête de Laurent McCutcheon (1942-2019) qui, pour beaucoup, restera le vrai fondateur de Gai Écoute. Sous sa direction, l’organisme obtient une reconnaissance publique à l’échelle de la province, et sera l’un des premiers organismes LGBT à recevoir des subventions. Pendant les quinze premières années, Gai Écoute n’ouvrait ses lignes que quelques soirs par semaine avant de recevoir, en 1996, une aide financière du ministère de la Santé et des Services sociaux. Cette aide assurera une certaine pérennité à l’organisme en plus de lui permettre d’offrir des services à l’échelle de la province grâce à un numéro 1-800, avec une plage horaire beaucoup plus étendue et la mise en place d’une ligne d’écoute pour les lesbiennes.
Petite révolution en 2017, l’une des institutions les plus notables de nos communautés change de nom pour Interligne. «Ces dernières années, nous avions le sentiment que le nom Gai Écoute était en décalage avec notre réalité», explique Pascal Vaillancourt. La raison, c’est que l’ancien nom était trop souvent perçu comme un organisme pour hommes gais seulement. L’organisme aujourd’hui propose une écoute 24h sur 24h et 365 jours par an, ainsi que des nouvelles plateformes de communication (courriels, clavardages en ligne, etc.) et s’ouvre aussi à des réalités restées dans l’ombre comme celles des personnes transgenres. Les résultats sont là, l’affluence des appels ou des demandent en ligne ne cessent d’augmenter avec aujourd’hui une proportion de femmes égales à celle des hommes, mais aussi un ratio de plus de 10% de personnes transgenre ou non binaires. Les services aussi se sont multipliés pour informer, sensibiliser et protéger avec, par exemple, un service de clinique juridique. Les besoins d’assistance sont toujours là et Interligne se charge d’y répondre.