En ces temps de confinement et de salles de spectacles fermées, l’imagination a dû passer à une vitesse supérieure pour les créateurs et profiter de cette longue parenthèse pour approfondir leur recherche. C’est en tout cas le pari fait par deux artistes multidisciplinaires, Fabien Piché et Olivier Arteau qui se sont adjoints un troisième complice, Patrice Charbonneau-Brunelle pour présenter un essai performatif: La pudeur des urinoirs dans la vitrine du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.
Pas besoin d’acheter, il suffira de se promener sur la rue St-Denis et de regarder du trottoir leur recherche en oeuvre, ou encore de les suivre sur le Web.
Le titre intrigue. Ce qui se déroulera sous vous yeux intriguera encore plus. Car dès le 18 mars, Olivier Arteau et Fabien Piché entameront une longue marche sur des tapis roulants avec des talons hauts et conversant entre eux et ce jusqu’à épuisement des deux marcheurs. Une semaine plus tard, les deux se retrouveront dans deux cubicules clos. Ils pourront communiquer entre eux par un trou où leurs mains pourront se rencontrer. Bien sûr de l’extérieur, nous ne percevrons pas les deux reclus, mais là aussi, des caméras permettront de les observer dans leur retraite choisie et le tout bien évidemment retransmis sur le Web. Deux expériences qu’Olivier Arteau qualifie avant tout de physique, de ce que le corps peut nous dire et surtout peut nous faire ressentir.
«Bien sûr, l’idée est venue de notre situation particulière avec la pandémie, et nous avons choisi de travailler sur un projet performatif qui soit moins axé sur l’esthétique et l’intellectuel et plus sur des positions plus radicales et urgentes, comme notre situation actuelle qui nous a demandés de grands changements. Entre autres, l’immobilisme par le confinement imposé par la pandémie», résume ainsi Olivier Arteau, l’un des deux artistes que l’on retrouvera en vitrine. Ce à quoi ajoute son complice, Fabien Piché, que «cela nous donné l’opportunité de tout remettre sur la table, la question de l’art, de la création, de sa diffusion, de la scène, du rôle de l’artiste et de l’interprête, mais aussi des grands problèmes sociaux qui préexistaient avant la pandémie et que celle-ci à mis sous une plus grande lumière, et donc de repartir dans un certain sens à zéro, comme devant une très grande feuille blanche, et de redécouvrir et d’approcher nos nécessités les plus vitales».

En fait, La pudeur des urinoirs se déploie en deux volets. Le premier mettra en scène Olivier Arteau et Fabien Piché qui activeront par la marche deux tapis roulants et qui généreront de l’électricité pour alimenter des grappes d’ampoules enroulés autour du corps des deux marcheurs. Ave comme petites difficultés, le tapis roulant légèrement incliné pour susciter une pente à gravir, et des chaussures différentes, selon les moments, des talons hauts par exemple et le tout sans limite de temps que celle que leur imposera leur corps. «C’est la marche qui a été le tout début du projet, commente Olivier Arteau, dès que nous sortons et nous marchons, nous donnons une image de nous-mêmes aux autres, et la façon dont nous sommes habillés et ou encore le type de chaussures va jouer sur notre façon de bouger, sur la façon dont nous nous sentons dans notre tête et notre corps, et bien évidemment dont les autres vont nous percevoir. Et ce sont dans les choix des centaines de petites violences parfois même sans s’en rendre compte que nous nous imposons».
Mais pouvons-nous faire abstraction du regard des autres et de nos propres constructions normatives de ce que nous voulons montrer aux autres ? Pour eux, la réponse est simple, en marchant le plus longtemps possible et jouant sur les codes établis tout en «s’exhibant» dans une forme de marathon, d’écouter leur corps et les sensations qui naîtront en confrontation avec leur propre perception d’eux-mêmes avant la performance. «Nous espérons qu’avec la durée et l’effort, nos corps se débarrasseront du regard des autres, que nous oublierons en somme que nous sommes quelque part sur scène», précise Fabien Piché.
Après l’effort, le repos puisque le deuxième volet de leur performance contrastera totalement avec le premier. De la vitrine de la rue St-Denis, deux cubules de la taille de trois casiers de vestiaires dans lesquels se retrouveront les deux artistes. Pour communiquer entre eux, un simple trou dans les parois des cubicules où leur main pourront se toucher. Pour le promeneur, impossible de voir ce qui se passe dans ces espaces clos. Mais comme pour le premier volet, des caméras de surveillance permettront à chacun de suivre sur le Web, comment cet enfermement se passe pour chacun d’entre eux. Ils pourront s’asseoir, parfois s’accroupir, mais ne pourront véritablement marcher. Et comme avec les tapis roulants, l’objectif est de rester le plus longtemps et redécouvrir des sensations aussi bien physiques que mentales qui naîtront d’une situation, d’une solitude et d’un environnement restreint auxquels nous ne sommes pas habitués dans nos vies. «Nous vivrons quelque chose de totalement opposé au premier exercice. Nous serons coupés du monde et nous n’aurons aucune rétroaction d’un public, même si par les caméras nous pourrons nous voir sur le Web, explique Olivier Arteau, et le seul contact possible sera la main de l’autre, la sensation de sa peau, pour que l’on puisse laisser émerger une partie de nous en termes de sensations et de réflexions sans être contaminés par le regard de l’autre, et peut-être découvrir une forme de libération dans cet isolement».
Pour se préparer, Olivier Arteau et Fabien Piché ont eu le concours d’une kinésiologue et d’une diététicienne. «Elles nous ont donné des conseils et on les remercie de leur grande générosité mais on ne s’est pas préparé comme des athlètes olympiques ou des marathoniens pour conserver aussi une part d’imprévus dans ce que nous allons vivre», avance Fabien Piché. Enfin, ils ont demandé à Patrice Charbonneau-Brunelle de concevoir et d’habiller les espaces dans lesquels ils évolueront pendant de nombreuses heures. «J’ai eu l’impression de concevoir l’intérieur de petites navettes spatiales et donc de jouer sur les contraintes d’espace, de moyens, en tenant compte des besoins nécessaires d’Olivier et de Fabien, comme par exemple une aire de repos avec un lit, ou encore de prévoir la nourriture nécessaire, donc un minimum de confort pour équilibrer avec l’effort qu’ils fourniront et pour qu’ils puissent continuer le plus longtemps possible à se mettre en danger comme ils les souhaitent».
Entre le privé et le public, l’intime et le collectif, la pudeur ou non de se montrer, la perception de soi et le regard de l’autre, le désir de se montrer ou au contraire de s’isoler voire de se cacher, et des sensations physiques que tous ces gestes auxquels nous pensons être habitués procurent, La pudeur des urinoirs, posera pour les deux performeurs ainsi que pour les spectacteur virtuels des grandes questions existentielles que la pandémie a soulevées et auxquelles nous devrons face avec le temps, avec les grandes mutations et pas seulement technologiques que nous vivons pour savoir si nous nous perdons ou contraire si nous allons nous retrouver individiuellement comme collectivement.
La pudeur des urinoirs
Essai performatif
Une création de Théâtre en coproduction avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
VITRINE SUR LE WEB
1er volet à partir du 18 mars 2021
2e volet à partir du 25 mars 2021