On limite bien souvent le concept de « camp » à une œuvre dans laquelle se retrouvent des éléments outranciers ou extravagants. Il est cependant bien plus étendu puisqu’il s’applique également à une œuvre, en apparence conventionnelle et grand public, où une lecture à double sens permet une appropriation par des groupes marginalisés.
C’est ce qui s’est produit au cinéma, après l’instauration du code Hays, en 1930, et c’est à une réjouissante redécouverte de la petite histoire entourant la nature du « camp » et de l’appropriation gaie, à travers certains films marquants, que le très prolifique James Somerton nous convie.
Segmenté en deux vidéos d’une durée de plus de deux heures, le vidéaste débute son parcours en soulignant qu’une représentation gaie, parfois à peine codée, émergeait déjà dès les premières années du cinéma. L’instauration du code d’autocensure, que les studios de cinéma se sont imposé, a bien évidemment signé l’arrêt de mort de cette mouvance progressiste.
Pour échapper au vide de représentation subséquent, certains cinéastes ont sciemment injecté des doubles sens dans certaines œuvres, que seul un public averti était en mesure de décoder. Il arrivait cependant également qu’une tout autre lecture se mette en place autour d’une œuvre cinématographique, sans que cela corresponde à l’intention initiale de ses créateurs.
La première vidéo, intitulée How the Gays Stole Cinema, analyse le phénomène à travers quatre films fondamentaux : All About Eve (Ève), Whatever Happened To Baby Jane ? (Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?), Who’s Afraid of Virginia Woolf ? (Qui a peur de Virginia Woolf ?) et le sulfureux Mommie Dearest (Maman très chère).
Sans entrer dans les détails, le vidéaste met l’accent sur la présence constante de femmes fortes, auquel les hommes gais pouvaient s’identifier, et sur l’omniprésence du thème des masques portés par les personnages, créant ainsi une dichotomie profonde entre représentation publique et réalité identitaire. Un thème auquel de nombreux hommes gais de l’époque pouvaient certainement s’identifier.
Dans son second volet How Camp Cinema Went Mainstream, il porte son regard sur l’introduction du concept « camp » dans la sphère grand public à travers les films Clue, Death Becomes Her (La mort vous va si bien), Elvira : Mistress of the Dark(Elvira, maîtresse des ténèbres) et la série des Batman (1989-1997).
En effet, à partir des années 80, un changement de cap s’instaure et on assiste à une injection intentionnelle de sous-textes « camps » à l’intérieur de certains films, soit à travers des éléments de mise en scène outranciers, soit par un jeu de doubles identités que doivent y assumer certaines femmes. À titre d’exemple, la Catwoman de Batman’s Return illustre particulièrement bien ce dernier élément avec une Selina Kyle prisonnière d’un univers masculinocentriste.
Le vidéaste souligne qu’une raison expliquant pourquoi la Poison Ivy d’Uma Thurman, du film Batman and Robin, n’a pas accédé au statut de personnage culte tient sans doute au fait qu’elle y jouait un rôle de second violon en regard des autres vilains, plutôt qu’un rôle central comme celui de Catwoman.
Il insiste également sur un phénomène fort intéressant voulant que, bien que l’on associe généralement l’esthétique « camp » aux personnages de femmes fortes, le concept s’applique également à certains films où l’on pousse à 220 degrés la représentation masculine. C’est par exemple le cas du film 300, de Zach Snyder, qui dépeint une vision survoltée de la masculinité à grand renfort d’abdos surdimensionnés.
Bref, un voyage fascinant autour d’une lecture profondément jouissive de certains films.
The Beauty of Camp est disponible sur la chaine YouTube de James Somerton.