J’ai toujours eu (très) peur des araignées. Pourtant, je sais que c’est inoffensif ! Sauf, bien sûr, les venimeuses, mais au Québec, c’est rare qu’on en croise… heureusement ! Je ne peux pas expliquer ma peur des araignées, outre le fait que je trouve cela rebutant. Je sais que je ne suis pas seule. C’est ce qu’on pourrait appeler une phobie ordinaire.
À l’approche de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie (et la lesbophobie qui est sempiternellement invisibilisée, parce que soi-disant « inhérente » aux deux autres phobies, bien qu’ayant ses spécificités propres), je me demande si les LGBTQ+phobies sont devenues « ordinaires »? J’entends : « On est en 2023, on n’en a pu rien à foutre des différences quant à l’orientation sexuelle ou la pluralité des genres, ou des non genrés ». Vraiment ? Pourtant, quand on s’intéresse à l’actualité ces jours-ci, le son de cloche semble différent. Il y a eu tout ce débat avec les drags (principalement queens) aux États-Unis, parce que notamment leurs spectacles seraient jugés trop sexualisés (pour les enfants)… Quelle ironie dans le pays de l’hypersexualisation des jeunes femmes, où Britney chantait à la fin des années 90 « Hit Me Baby One More Time » de façon racoleuse et à peine vêtue, tout en se disant au service de Dieu ! Bien sûr, après avoir été plus que trahie par son entourage « pas très catholique », la pop star déchue disait récemment ne plus croire en Dieu.
Peut-on blâmer la native du Mississippi, alors que cet État affiche l’un des taux de mortalité par arme à feu les plus élevés du pays, sans oublier une faible règlementation sur le sujet ? Sans surprise, au cours d’une année moyenne, 793 personnes meurent par arme à feu dans le Mississippi. Qui plus est, le Mississippi n’exige pas de vérification des antécédents criminels pour l’achat d’une arme à feu auprès d’un vendeur sans licence. Par contre, si vous êtes un homme qui désirez faire du lip-sync vêtu d’une robe, de talons hauts et d’une perruque, dans un bar, et ce, dans le but de « divertir » une clientèle (généralement majeure, puisqu’on parle d’un bar) c’est « dangereux » pour la moralité publique. Vraiment ?
Ironiquement en 1999, il n’y avait pas que la chanson de Britney qui cartonnait en exposant les « valeurs » américaines, mais la tristement célèbre fusillade de Columbine, qui se positionne malheureusement comme la chef de file des tueries par balles les plus meurtrières aux États-Unis. « Pourquoi règlementer les armes à feu, alors qu’il y a des “sujets” beaucoup plus pressants à traiter, comme la performance drag ou encore l’avortement ? », diront les conservateurs. Ironiquement, ces
« hommes » au Sénat se sentent beaucoup plus menacés par les représentations des femmes et les corps des femmes que par leurs fusils, qu’ils utilisent soi-disant à bon escient pour « contrôler » les tares (lire les phobies) de l’Amérique moderne.
Quand j’écris l’Amérique, le Canada n’est pas bien loin. Même si on se reconnait très peu dans cette appellation, force est d’admettre qu’on adopte bien des lacunes de nos voisins du Sud. Si vous pensez qu’il n’y a pas d’homophobie au Québec, faites un tour sur la page Facebook de l’humoriste animateur Dany Turcotte pour lire les commentaires pas drôles de « gens ordinaires » sur leur homophobie « dite » ordinaire. À la sortie du documentaire Le dernier placard — Vieillir gai, nombreux sont ceux qui l’ont violemment incité à retourner au placard, parmi des commentaires plus que désolants. L’un (hétéro) ne voyait pas de différence entre vieillir gai ou hétéro. Avant d’écrire, apprends donc à penser et informe-toi ; regarde le sujet de la discussion, soit le documentaire dont il est question ! Un autre ne voyait pas pourquoi on avait une Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie alors que 95 % (selon ses statistiques erronées) des gens étaient hétéros. C’est simple : parce que le reste des 364 jours (et on se « donne » une journée par altruisme), c’est votre journée dans ce monde patriarcal et hétéro. Là, est-ce qu’on doit encore expliquer pourquoi vieillir lesbienne en CHSLD, par exemple, représente un retour au placard, c’est-à-dire nier au quotidien et jour après jour l’essence même de qui tu es et a été au cours de ta vie, par peur de subir de la lesbophobie ? Bref, ce que tout hétéro n’aura jamais à vivre.
C’est justement pourquoi, quand une drag queen comme Barbada, par exemple, vient faire l’heure du conte à l’école de tes enfants et parler des réalités LGBTQ+, ça peut juste être bénéfique ! Est-ce qu’il n’y a que les drags qui font cela ? Non. Bien sûr, les drag queens sont partout à la télé ces jours-ci, de RuPaul à Rita Baga, et souffrent à mon sens de surexposition quand on parle de « réalités LGBTQ+ multiples » et de réalités « drags » multiples ; pensons aux kings, qui tardent à obtenir une visibilité telle que celle des queens (patriarcat oblige !). Cela dit, il y a maintes initiatives de la sorte qui passent sous le radar médiatique. Les paillettes brillent moins, mais les initiatives d’organismes communautaires tels qu’Interligne et la Coalition des familles LGBT+ sont importantes ; au même titre que les publications du Centre de solidarité lesbienne ou encore celles du Réseau des lesbiennes du Québec qui a jadis publié la bande dessinée Lesbo-Queer et qui sortira en mai sur le Web le court-métrage Amour irisé, pour justement démystifier la réalité des jeunes femmes de la diversité sexuelle auprès d’un jeune public. Pourquoi on ne donne pas la tribune à de telles initiatives positives dans les médias au lieu de tergiverser sur des « valeurs » et des représentations informées par des croyances qui ne visent qu’à contrôler les masses pour mieux les soumettre ? Si vous croyez que je vais trop loin, expliquez-moi pourquoi c’est plus réglo dans le sud des États-Unis de porter une arme que des talons hauts? Sans conteste, toute cette histoire est informée par l’homophobie, qu’elle soit latente,
intériorisée, banalisée ou officieusement validée.
L’homophobie, comme la transphobie et la lesbophobie, implique un sentiment de crainte, de rejet, voire de haine envers les personnes concernées. J’ai toujours eu peur des araignées probablement parce qu’elles me répugnent, mais je n’entretiens pas de haine envers ces arachnides au point de les tuer… Quoique… Manifestement, je souffre d’arachnophobie. Lorsque je vois les débats récents entourant les populations LGBTQ+, je me demande si revendiquer nos droits et nos existences dans l’espace public alimente les phobies « dites » ordinaires liées aux diverses orientations sexuelles et identités de genres. Beaucoup se sentent menacées par les populations LGBTQIA2S+. Pourquoi ? La peur de la différence. Un peu comme ma peur des araignées. Jusqu’à ce que j’apprivoise Spider-Woman.