Dimanche, 16 mars 2025
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    20 ans de mariage pour toutes et tous

    Le 10 juin 2003, les premiers couples LGBTQ+ convolaient en justes noces. Mathieu Chantelois et Marcelo Gomez-Wiuckstern ont été les premiers francophones en Amérique du Nord à dire « oui, je le veux ! ». Mathieu nous propose ses souvenirs du grand jour. Témoignage.

    Il y a 20 ans, la justice m’a donné le droit d’épouser celui que j’aime. La Cour d’appel de l’Ontario a dit « oui » au mariage homosexuel. Ce jugement m’aura permis de changer mon état civil. Il m’a aussi mis dans tous mes états. Comme la plupart des homosexuels, j’ai grandi dans une famille hétéro. Je m’imaginais alors créer un jour ma propre famille fondée sur l’amour, une des valeurs que mes parents m’ont si bien inculquée. J’ai dû mettre une croix sur cette aspiration lorsque j’ai réalisé mon homosexualité à l’adolescence.

    J’ai brutalement constaté que je n’aurais pas un tel avenir. Je ne pourrais jamais me marier, avoir une famille, recréer la structure familiale dans laquelle j’avais été élevé et aimé. Au début du millénium, les unions entre deux personnes de même sexe progressaient dans le vide juridique et la confusion totale. J’habitais alors à Toronto et l’idée d’avoir un jour accès au mariage m’était impensable. Contre toute attente, le 10 juin 2003, on m’a donné les outils pour prendre mon avenir entre quatre mains. Tout d’un coup, je suis devenu « bon à marier ». L’Ontario venait ainsi de damer le pion à toutes les autres provinces canadiennes. Qui l’aurait cru ?

    Duo et duel
    Conscients que le plus haut tribunal du pays pouvait invalider le jugement, mon conjoint et moi avons été l’un des premiers couples à défiler à l’hôtel de ville de Toronto. Sans tambour ni trompette, nous avons fait les cent pas dans un petit couloir pas très chaleureux, voire glacial, en attendant l’ouverture du bureau des mariages civils. La cérémonie a duré quelques minutes. En bon gentleman, j’ai laissé mon fiancé signer le registre en premier. Il est ainsi devenu mon époux sur notre certificat de mariage. L’employée municipale s’est confondue en excuses en inscrivant mon nom sur la ligne restante, celle réservée à… l’épouse. C’était presque drôle. Et vraiment sans importance. À notre sortie, le cortège nuptial était toutefois moins joyeux. Des manifestants, dont plusieurs Américains arrivés en autobus nolisés, avaient des slogans à nous cracher au visage. Bibles et drapeaux en main, ces parangons de la morale associaient mon union à la honte et au péché. Sur un ton incantatoire, ils proclamaient que la reconnaissance de ma relation amoureuse enlevait tout son sens à la sacro-sainte institution du mariage, qui ne peut exister qu’entre un homme et une femme. Des enfants les accompagnaient et hurlaient avec eux. Tout cela n’avait rien à voir avec les traditionnels applaudissements et confettis félicitant les nouveaux mariés. J’ai quitté les lieux sous une pluie d’insultes, ébranlé mais solide. Malheureux, mais extrêmement heureux. Je n’en avais rien à cirer de tous ces rednecks. Je n’avais qu’une chose en tête : l’homme de ma vie que je venais d’épouser.
     
    Occupation double : pour ou contre ?
    En 2003, un sondage de la firme Ekos affirmait que 47 % des Canadiens étaient « défavorables » au mariage entre conjoints de même sexe. En tenant compte du pourcentage élevé d’indécis, on constate que les répondants opposés au mariage gai formaient la majorité. En 2021, selon Ipsos, seulement 7 % des gens étaient « totalement opposés » à cette même idée. Que s’est-il passé ? Mine de rien, la société a accepté nos unions. Contrairement à ce qu’avaient prédit nos plus virulents détracteurs, le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. L’obtention de ce droit n’a nui à personne. En ouvrant l’institution du mariage aux conjoints de même sexe, la majorité hétérosexuelle ne s’est déshonorée d’aucune manière. Au contraire, elle a reconnu aux homosexuels ce qu’il y a de commun chez tous les êtres humains : le désir d’aimer et d’être aimé. Il y a 20 ans, la société m’a donné un moyen significatif d’affronter le temps et d’inscrire ma réalité sur papier. Cette reconnaissance a placé le Canada dans le club sélect des pays qui sont à l’avant-garde des droits homosexuels. Nous avons été les troisièmes à franchir cette immense étape vers la justice sociale. Aujourd’hui, 34 pays reconnaissent le mariage pour tous. Plusieurs autres nations pourraient emboiter le pas. Mais le droit, qu’on dit souvent à la traine des nouvelles réalités sociales, est plus rapide que la sensibilisation et l’éducation. Il y a encore beaucoup de travail à faire ici, même s’il ne fait aucun doute que les batailles les plus importantes se déroulent ailleurs dans le monde.

    Les Américains (sans doute les mêmes qui s’étaient invités à mes noces !) ont ressorti leurs pancartes pour les brandir chez eux. Tout y passe : le mariage, évidemment, mais aussi l’utilisation de pronoms, les chirurgies affirmatives de genre et même ces effroyables drag queens. Un méchant comeback dans l’ère puritaine. Et ce n’est pas que chez de nos voisins du Sud : des dizaines pays font aussi marche arrière. J’aime toutefois penser qu’aujourd’hui, l’heure est à la célébration de nos noces de porcelaine. Pas tant les miennes que celles de notre société. Ici, les deux dernières décennies ont été marquées par un véritable désir de comprendre l’autre et de mettre fin à toute forme d’intimidation et de discrimination. Voilà une bien belle preuve d’amour.

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