Le 14 décembre dernier, au Livart sur la rue Saint-Denis à Montréal, la ministre Martine Biron annonçait le nouveau Plan gouvernemental de lutte contre l’homophobie et la transphobie pour les cinq prochaines années. Martine Biron a accepté une courte entrevue avec Fugues, au cours de laquelle elle revient sur sa grande inquiétude devant la montée des discours et des actes homophobes et transphobes. Elle se dit prête à tout mettre en œuvre pour les contrer.
Elle ne voit aucune contradiction dans la mise sur pied d’un «comité des sages», dont la composition a été annoncée une semaine plus tôt par la ministre de la Famille, Suzanne Roy, pour faire un état des lieux quant à la question des personnes trans et non-binaires pour être sûr que le gouvernement une fois bien informé fera les bons choix en direction des personnes trans et non binaires.
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Face à la montée d’un discours homophobe et transphobe, l’angle d’approche par la sensibilisation, l’éducation est-elle suffisante ou n’y aurait-il pas d’autres stratégies à ajouter ?
Martine Biron : Je ne sais à quoi vous pensez, mais pour moi je trouve que ce sont d’excellentes solutions que la sensibilisation, l’explication et la pédagogie.
On pourrait par exemple penser à de grandes campagnes nationales pour rappeler que l’homophobie et la transphobie sont inadmissibles?
Martine Biron : Nous en faisons déjà je pense.
Mais elles sont organisées par des organismes communautaires. Est-ce qu’une campagne provenant directement du gouvernement ou de votre ministère ne pourrait pas avoir un impact plus fort ?
Martine Biron : Je pense que cela fait partie de notre discours. Le gouvernement est quand même sensible à ce qui se passe actuellement, il y a quand même des changements. La montée du discours LGBTQ est réelle et cela donne une montée de la haine, de l’intimidation et des agressions. Je pense qu’il faut dépasser la réflexion collective et la meilleure façon d’agir, c’est via les groupes LGBTQ. Et nous, comme membres du gouvernement, sommes capables d’en parler ouvertement et de lancer le message du vivre et laisser vivre. Les gens peuvent être ce qu’ils veulent être aujourd’hui en 2023, au Québec, malgré ce qui se passe aux États-Unis.
Mon rôle, comme ministre responsable du Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, c’est de protéger les droits des LGBTQ et je vous garantis que je le ferai.
La création du comité des sages qui se penchera sur la question du genre et de la non-binarité était-elle réellement nécessaire ?
Martine Biron : C’est un comité qui est appelé à l’action, il y a des questions dans notre société où les citoyens veulent toujours que l’on réponde du tac au tac, question-réponse, mais des fois il y a des nuances à apporter, il y a des réflexions à faire parce qu’on n’a pas tout simplement pas la réponse et on veut aller voir ce qui se fait ailleurs et être capable de se comparer pas juste avec nos voisins, mais ailleurs.
Je pense que c’est sain de réfléchir à certains enjeux quand on n’a pas une réponse immédiate à donner. Il y a un paquet de sujets pour lesquels nous n’avons pas de réponse toute faite. Et quand il s’agit de sujets pointus, il faut peut-être prendre son temps, recenser les meilleures pratiques, réfléchir et s’assurer d’avoir la meilleure réponse.
Vous ne vous êtes pas beaucoup exprimée au moment de la création du comité des sages, rappelant que vous vouliez rester impartiale, mais le paradoxe c’est que la ministre de la Famille, Suzanne Roy, a rappelé plusieurs fois que le comité s’assurera de collaborer avec le Conseil québécois LGBTQ qui travaille étroitement avec le Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie… Pourquoi alors êtes-vous restée en retrait ?
Martine Biron : Pour le comité, nous voulions avant tout de la compétence, nous ne voulions pas un comité partisan. Nous voulions un comité qui s’élève et nous voulions que la communauté LGBTQ puisse collaborer, conseiller ce groupe de sages. C’est la formule que nous avons trouvée.
Moi, j’en ai plein les bras avec la montée de la violence, avec la montée de la haine, je veux travailler au jour le jour, dans les écoles, avec la population, dans le réseau de la santé, au niveau de la santé mentale, de la justice. Je fais ce travail-là et je laisse le Comité des sages monter sur la montagne pour la réflexion. Je voulais m’assurer que ce soit un peu loin de moi pour que je puisse m’occuper au jour le jour de ce qui touche la communauté LGBTQ.
Mais vous comprenez que cela pose des questions d’autant que vous êtes la ministre responsable du secrétariat à la condition féminine, et donc à la place et à la parole des femmes, que de voir un comité sur lequel les principales intéressées — les personnes trans — ne soient pas présentes peut être perçu comme un recul ?
Martine Biron : Non, ce n’est pas un recul, c’est une avancée. Si vous prenez l’exemple des femmes, elles représentent 50% de la population et c’est normal qu’elles soient représentées. L’idée c’est de voir comment la population peut amener la réflexion à un niveau plus élevé concernant la question des non-binaires et des personnes trans.
Je pense que l’idée d’un comité de sages, conseillé par le Conseil québécois LGBT, qui est sur le terrain, on s’assure d’avoir la meilleure recension de ce qui peut se faire en direction des personnes trans et non-binaires.
On salue aujourd’hui le nouveau Plan gouvernemental de lutte contre l’homophobie et la transphobie avec l’annonce de 23,7 millions de dollars sur cinq ans. Qu’est-ce qui a motivé ce doublement des subventions, avec ce point important, la pérennisation du financement des projets ?
Martine Biron : Je pense que c’est important que les groupes aient assez de moyens et d’outils pour pouvoir répondre à la montée de la violence, et je pense que nous sommes au rendez-vous. Vous avez raison, la pérennisation des subventions par le Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, c’est une grande victoire. Chaque année, depuis 11 ans, chaque organisme devait aller chercher un petit morceau pour pouvoir survivre. Maintenant, c’est réglé c’est pérenne.
On a rendu pérenne aussi le Bureau de lutte qui est donc là pour rester. 55% du financement global va aux groupes communautaires, je trouve cela extraordinaire et l’on aura toute sorte d’appels à projet qui vont sortir, les groupes vont pouvoir nous dire leur priorité et on choisira en fonction des priorités pour allouer les subventions.
Le Bureau de lutte existe maintenant depuis 11 ans, est-ce qu’il n’est pas temps d’élargir son mandat pour venir en aide à des organismes qui ne font pas de la prévention et de l’éducation mais dont la mission est toute aussi importante ?
Martine Biron : Les appels à projet ne sont pas limités, tout le monde peut appliquer, même si le plus souvent ce sont des organismes communautaires LGBT qui ont tendance à répondre. De plus, nous sommes en contact constant avec les groupes communautaires, c’est important que l’on sache ce qui se passe sur le terrain, que l’on sache ce qu’ils pensent, ce sont nos yeux et nos oreilles.
J’ai des fonctions diverses et j’ai besoin des personnes de la communauté pour m’alimenter. Parfois, il y a un organisme qui a besoin d’argent, alors on essaie de lui trouver une solution pour pallier la situation et il y aura encore des situations semblables où nous devrons intervenir au cours de l’année comme l’année dernière nous l’avons fait avec les drag queens.
J’ai parlé de la situation des drag queens pendant la conférence de presse car je ne sais pas ce qui peut arriver dans les mois à venir.
Je ne l’ai pas évoqué dans la conférence, mais je tiens à le dire maintenant que le nouveau Plan contient un volet qui touche les handicapé.e.s, les personnes vieillissantes, etc., on est sorti un peu de la boîte pour tendre la main à différentes communautés, ou sous-communautés.
Le plan contient des mesures qui touchent toutes les catégories de personnes LGBTQ.