Samedi, 2 novembre 2024
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    Les tortues à la découverte de nouvelles dimensions de la vie

    Le cinéaste belge David Lambert — dont on avait beaucoup aimé Je suis à toi et Hors les murs — esquisse avec Les Tortues un récit entre drame du désamour et comédie du re-amour. Le film sort en salles ce vendredi 24 mai.

    Petit bijou de subtilité, son film montre une grande tendresse pour des personnages qu’on voit rarement à l’écran. Rencontre avec le réalisateur.

    Ton film vient juste de remporter le prix du meilleur film dans un festival à Turin…
    DAVID LAMBERT : Quand le film a été projeté, j’ai vraiment senti que la salle avait adhérée au film. On sentait une grande émotion. Beaucoup de rires au début et une émotion palpable à la fin. Et je me suis dit: il se passe un truc. Ils étaient vraiment très réceptifs. Et puis, j’ai eu le prix. Ça m’a fait du bien, parce que ce n’est pas toujours facile.

    Les prix, ça aide aussi après ça pour le financement, pour les distributeurs et la mise en marché…
    DAVID LAMBERT : Exact.

    Olivier Gourmet et Dave Johns dans «Les Tortues» de David Lambert.
    Photo: Films Opale  Olivier Gourmet et Dave Johns dans «Les Tortues» de David Lambert.

    L’idée du film, elle vient d’où ?
    DAVID LAMBERT : Pour te dire la vérité, l’idée du film, elle vient d’une conversation que j’ai eue au Québec avec Thomas Bidegain, qui est un grand scénariste français. On était à l’Atelier Grand Nord — initié par la SODEC —, qui rassemble des professionnels du milieu du cinéma de la communauté francophone pour des séances de travail et d’échanges autour de l’écriture du scénario. Dans un hôtel dont j’ai oublié le nom à 60 km de Montréal, Thomas et moi avons discuté de mon prochain film. Et puis, à un moment, on est arrivé sur cette idée un peu un peu folle… que ce serait tellement bien de faire un remake gai du film Le Chat, un film sur un vieux couple, interprété par Simone Signoret et Jean Gabin. S’ils se sont aimés jadis, aujourd’hui ils ne se supportent plus. C’était la première idée.
    Et après, c’est devenu… une sorte de film de science-fiction sur mon propre couple (rires). Non (rires), mais c’est ça, je te jure. J’ai vraiment analysé mon couple — ou ce qu’il pourrait être ou devenir — à travers l’écriture du scénario.

    Est-ce que vous êtes allé — toi et ton mari —, jusqu’à vous divorcer?
    DAVID LAMBERT : Non. Il est dans la pièce d’à côté et tout va bien (rires). Par contre, ce qui m’intéressait, c’était l’idée de parler d’un vieux couple de gais — soit de vivre, de mourir ensemble et l’idée de durer chez des personnages queers. Moi, quand j’avais 20 ans, je ne me projetais pas dans le temps. Je suis d’une génération où on ne se disait pas qu’on allait avoir des boulots normaux en étant ouvertement gais, on ne disait pas qu’on pouvait avoir un amour véritable qui peut durer, on se disait qu’on n’avait pas le droit de se marier par définition. Ce sont des droits que nous avons acquis peu à peu. Mais, c’est fou comme on ne raconte pas ça. Il y a évidemment beaucoup de films qui racontent des amours de jeunesse, le coming out, des jeunes gens très beaux de 20 ans et qui sont à moitié dénudés. C’est souvent la même iconographie qu’on répète. Mais peu souvent voit-on à l’écran la réalité dans un couple gai sur la durée, la vie à un tournant… C’est un peu ça le défi que je me suis lancé au départ : de tourner un film un couple gai vieillissant, en crise.

    Les tortues | Cinéma — Quai10
    Photo: Films Opale  «Les Tortues» de David Lambert.

    C’est un duo touchant et drôle que nous proposent les acteurs de ton film : Olivier Gourmet et Dave Johns. (Le premier incarne le très bougon, mais malgré tout sensible et attachant Henri, tandis que Dave rentre parfaitement dans la peau de Thom, ex-star de la scène drag locale et maintenant brocanteur, toujours amoureux de celui qui partage sa vie).

    Il y a beaucoup d’éléments réalistes dans leur jeu.
    DAVID LAMBERT : Oui, je crois qu’ils auront donné une part d’eux-mêmes pour leur personnage respectif. Ils font un truc très intime chacun. Et ça, c’est toujours précieux parce que ça fait vibrer les scènes, ça porte le film plus loin. Et parfois de manière surprenante, ça se déplace, parfois en comédie, parfois en drame. Parce que moi, j’aime ça être entre les deux entre les deux. Et c’est un équilibre difficile à faire.

    C’est à la fois une comédie et un drame. Il y a quelque chose de doux-amer dans les scènes…
    DAVID LAMBERT : Oui, c’est ça. J’adore ça parce que j’aime bien faire des films qui ressemblent à la vie. Dans la vie, on part dans des rires de fou. Et puis, il y un drame qui arrive. Ou au contraire, tu peux être dans un drame et puis il y a quelque chose d’absurde. En tout cas, moi, ma vie, je l’ai beaucoup vécue comme ça. Je voulais un peu retranscrire ce truc-là. Je trouve ça quand même compliqué, les films sombres tout le temps. Je trouve ça compliqué aussi les comédies où ça n’a plus de sens, où il n’y a plus vraiment de poids émotionnel. Je suis très content quand je sens vraiment les émotions qui changent.

    Et puis, il y a quelque chose, moi, qui me fait beaucoup rire sur le mariage : le divorce.

    Les Tortues - David Lambert : c'est long, c'est lent... - Baz'art : Des  films, des livres...
    Photo: Films Opale  «Les Tortues» de David Lambert.

    Il y a une tradition comique de films «à divorce» et de remariages dans l’histoire du cinéma américain et français…
    DAVID LAMBERT :J’ai complètement assumé ce genre de comédie de remariage. J’assume complètement ces références-là. Mais ce qui est drôle, ici, c’est que c’est Dave Johns et Olivier Gourmet.

    Ils sont tellement différents qu’ils vont bien ensemble.
    DAVID LAMBERT : Ça, c’est à toi de me dire, c’est aux spectateurs de me le dire. Il y a un truc que j’ai constaté — une différence entre le Québec et la Belgique — quand j’ai fait la postproduction du film à Montréal, et que je suis sorti dans le village. À Montréal, tu rencontres pas mal de gais plus âgés qui sont chouettes, qui ont une vie gaie épanouie même en vieillissant. J’ai l’impression que c’est beaucoup moins le cas en Europe.

    Ah oui ?
    DAVID LAMBERT : Évidemment, tu as des gais âgés, comme partout ailleurs, mais j’ai l’impression que la société européenne est, un peu plus, jeuniste; qu’il y a des choses moins assumées sur la génération que j’ai essayé de décrire. C’est, en partie, pour ça que le film s’appelle Les Tortues. C’est un peu une espèce en voie de disparition. Je pense que c’est une génération clé qui a vécu tellement de choses — l’homosexualité illégale, voire psychiatrisée, la crise du sida et le fait de perdre autant de gens. Puis maintenant, ils ont de la difficulté à tenir pour acquises certaines choses, parce que ce qu’ils ont vécu, était tellement différent. De leur côté, les plus jeunes générations n’ont pas les mêmes repères. Je suis aussi professeur de scénario à l’ARSAS à Bruxelles et je vois les jeunes générations queers. Et ces jeunes générations ne sont pas totalement conscientes des batailles qui ont eu lieu, pour obtenir les droits qu’ils tiennent maintenant pour acquis. Simplement pour ça, je pense que c’est important de raconter une histoire comme celle des Tortues.

    C’est important qu’il y ait des films qui racontent leur réalité, parce qu’une fois qu’ils auront disparu, ce sera terminé. Les référents auront changé.

    INFOS | Les tortues de David Lambert., à l’affiche en salles dès le 24 mai.

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