Samedi, 15 février 2025
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    Solange Musanganya et Carlos Idibouo, des inspirations et des modèles

    Récipiendaires du prix Engagement lors du Gala de la Fondation Émergence le 17 octobre dernier, Solange Musanganya et Carlos ne cessent, depuis 25 ans, d’arpenter différents pays d’Afrique pour porter les voix 2SLGBTQ, tout comme ils ont contribué à l’intégration des personnes LGBTQ venant d’Afrique et des Caraïbes dans nos communautés à Toronto et à Montréal.

    Plusieurs les connaissent à Montréal, car ils ont été d’Arc-en-ciel d’Afrique et de Massimadi, avant que l’organisme concentre ses activités sur le festival de cinéma du même nom aujourd’hui.

    Ce prix Engagement est un hommage à 25 ans d’engagement, de persévérance, d’épreuves, mais aussi de joie, d’humour, à la recherche d’un sourire sur le visage de toustes… Non ? Carlos Idibouo : Je suis d’origine ivoirienne et de nationalité canadienne. J’ai vécu 16 ans entre Montréal et Toronto et aujourd’hui je suis basé à Abidjan, on peut dire à temps plein maintenant, mais je reviens souvent à Montréal. Du point de vue du travail, je touche à un peu de tout, mais la protection des droits des personnes LGBT reste au centre de mon activité et tout ce je que fais gravite dans le même sens, avec des conférences et des formations sur la santé sexuelle, sur les droits des personnes LGBTQ, sur les questions d’équité, de diversité et d’inclusion. J’essaie aussi de développer des partenariats Nord-Sud, même si je n’aime pas beaucoup le mot, et je voyage beaucoup pour faire avancer ces partenariats.
     
    Solange Musanganya : Mon rêve, ce serait de devenir femme au foyer ! (Rires.) Ma façon aujourd’hui d’être engagée est d’écrire des livres, je me définis comme autrice. J’ai écrit huit livres dont deux ont été publiés par une maison d’édition généraliste. Je continue à me définir comme une activiste, une militante, c’est la façon qui est différente. Avec les livres, c’est pour moi aller chercher d’autres personnes qui ne sont pas encore sorties du placard, qui veulent comprendre, qui veulent lire sur le sujet, qui veulent se connaître aussi. Malheureusement, en Afrique, il n’y a pas d’écrits sur l’homosexualité ou très peu. Je pense qu’il est important de lire des histoires qui nous ressemblent, qui se passent chez nous, et d’aider certains et certaines à faire le premier pas vers l’acceptation. Je pense aussi toucher des personnes qui ne se déplaceraient jamais pour entendre une conférence sur l’homosexualité ou la transidentité, il faut être déjà sorti du placard, ne plus être gêné de se montrer.

    L’un des derniers romans publiés aborde clairement l’érotisme transgenre et c’est comme une victoire pour moi qu’il ait été publié. Le livre, on peut se cacher dans sa chambre pour le lire et peut-être avoir des réponses à ses questionnements. Je mets l’accent sur l’érotisme parce que c’est universel, [peu importe] notre genre, notre orientation sexuelle, tout le monde peut s’y reconnaître, même si on est hétérosexuel ! (Rires.) Et cela me permet aussi de glisser d’autres messages comme sur la santé,
    la sécurité, le travail du sexe, l’acceptation par la famille, etc. Et l’érotisme n’est qu’un moyen de capter l’attention. Mais aussi parce que les organismes de défense des droits ou qui font la promotion de la diversité vont parler de tout sauf de sexe. Sans compter que les mêmes organismes peuvent perdre les gens en avançant des concepts tentant de définir par exemple le transgenrisme, la transidentité, ce qu’est être queer, qui peuvent être différents en Afrique. Cependant, c’est bien à cause de notre sexualité que nous avons été discriminé.e.s, criminalisé.e.s et que nous le sommes encore. Pour moi, la sexualité reste un sujet central.

    Solange Musanganya, Éric Lauzon et Carlos Idibouo


    Tout a commencé à Montréal et à Toronto pour votre militantisme… De quoi vous
    souvenez-vous de vos premiers pas comme militant.e.s et de ce que cela représente encore pour vous ces années-là ?

    Solange Musanganya : Je me souviens — comme si c’était hier — de la première fois où trois personnes noires ont marché lors du défilé de la Fierté en 2005. L’événement avait lieu en même temps que Caribana (festival annuel célébrant la culture et les traditions des Caraïbes) à Toronto, et beaucoup étaient partis à Toronto et surtout ne voulaient pas s’associer à un défilé à Montréal. On s’est alors dit qu’il fallait que l’on marque l’histoire, et trois personnes noires se sont mises sous la banderole Arc-en-ciel d’Afrique. Une grande première. Et lors du dernier défilé en 2024, j’y étais, et il y avait tellement de Noir.e.s qui marchaient, intégré.e.s dans différents groupes qui défilaient ou sur les chars allégoriques, que je pouvais voir le chemin accompli par Arc-en-ciel d’Afrique et Massimadi. Je me suis dit alors en les regardant que je pourrais prendre ma retraite, j’étais tellement heureuse et fière.
     
    Carlos Idibouo : Pour moi, ce qui m’impressionne le plus quand je reviens à Montréal, c’est de voir les sourires s’afficher sur ceux et celles qui s’affichent aujourd’hui, qui s’acceptent et qui se reconnaissent dans une communauté. Ce n’est pas évident de s’accepter dans leur pays d’origine, mais à Montréal comme dans d’autres villes, il y a d’autres défis, les différences culturelles et toute la question de l’adaptation, alors c’est important que ces personnes puissent rencontrer des personnes comme elles, parler de ce qu’elles sont sans faux-fuyant, sans crainte et le plus beau des cadeaux, c’est quand cela se termine par des sourires, de véritables sourires, c’est encore la plus belle récompense pour nous. En arrivant hier, à l’aéroport, je repensais à tous ces sourires.
     
    Avez-vous de l’inquiétude face aux discours anti-LGBTQ qui se font entendre de plus en plus, pas seulement en Afrique, mais en Occident ?
    Solange Musanganya : Il y a un pessimisme qui se dessine. Depuis Stonewall, on a vu de très grandes avancées, de grands changements, comme une graine d’une révolution mondiale. Il y avait comme une progression. L’arrivée du VIH-sida a un peu freiné cet élan. Il y avait des opposants, des homophobes, des transphobes, et l’on sentait qu’on perdait des batailles. Cependant, depuis quelques années, il y a un retour de l’extrême droite, des fondamentalistes, avec en Afrique un discours sur les valeurs africaines, comme si l’homosexualité ou encore l’hétérosexualité étaient des valeurs. Je les appelle « woubiphobes » (woubi, est un terme ivoirien désignant l’homosexualité). C’est inquiétant de voir ces discours tenus aussi en Europe et en Amérique du Nord. Comme je dis toujours, on doit casser des œufs pour faire une omelette, mais là on casse des œufs et l’omelette ne prend absolument pas.
     
    Si le mot « retraite » revient souvent, elle est loin d’avoir sonné pour les deux activistes.
    Carlos Idibouo : Pas une retraite, peut-être une reconversion parce qu’au bout de 25 ans nous sommes un peu épuisé.e.s. Nous avons fait beaucoup de choses, mais dans des conditions difficiles. Nous avons été souvent confronté.e.s à des situations difficiles émotionnellement et nous sommes allé.e.s chercher au plus profond de nous-mêmes pour rebondir, impliquant des années de sacrifice, sacrifice de nos familles, parfois dans le silence, sacrifier aussi une partie de nos vies privées. Mais on est content parce qu’il y a une relève avec beaucoup de jeunes qui s’impliquent en Afrique. La situation nous rend triste, bien sûr, mais peut-être qu’à tout malheur quelque chose est bon. Bien sûr, comme le dit Solange, il y a le anti-woubi, mais je pense que la population évolue, change. Nombreux aujourd’hui se questionnent et on l’a vu lors de la dernière crise en Côte d’Ivoire, les gens se rendent compte que de parler d’homosexualité ne doit pas masquer d’autres enjeux sociaux. Ils finissent par s’en rendre compte. Et pourtant la Côte d’Ivoire était considérée comme une oasis en Afrique pour les LGBTQ, mais on peut aujourd’hui y mettre un point d’interrogation.

    Que ressentez-vous en recevant ce prix de la Fondation Émergence ?
    Solange Musanganya : Une très agréable surprise, d’autant plus qu’il est remis à nous deux. Carlos et moi avons le même âge et nous avons commencé en même temps. Carlos, c’est bien sûr un collaborateur, mais c’est bien plus, c’est un ami, c’est un frère, c’est un mari, alors que nous soyons tous deux récompensé.e.s ensemble pour un travail commun, c’est une grande joie.
     
    Carlos Idibouo : Pour moi, beaucoup plus qu’une simple surprise. Beaucoup d’émotions sont remontées. Cela me rappelait comment Solange et moi, nous nous étions rencontré.e.s. Je me suis souvenu de mes premières années d’implication comme militant en Côte d’Ivoire, alors que je ne savais pas du tout m’y retrouver dans ce monde de fous qu’était le militantisme. Et de me retrouver comme personne engagée aussi longtemps pour la promotion des droits LGBTQ, en Afrique, ici, et maintenant à travers le monde. Solange a déjà reçu des prix, mais moi je les ai toujours refusés, non pas par snobisme, mais par peur d’être corrompu dans le sens où ça peut gonfler la tête. Nous acceptons humblement ce prix, c’est une marque de reconnaissance importante, pas seulement pour nous, mais pour tous ceux qui ont été nos mentors, qui nous ont inspiré.e.s, et qui malheureusement ne sont plus là. L’annonce de ce prix est venue nous chercher au plus profond de nous. 

    LE PRIX ENGAEMENT REMIS LORS DU
    GALA ÉMERGENCE ÉTAIT PRÉSENTÉ PAR

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