Mercredi, 29 octobre 2025
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    Quand votre t-shirt vous mène en prison

    À l’heure où tout le monde publie tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux, où l’on voit défiler la violence sous toutes ses formes — qu’elle soit générée par l’intelligence artificielle ou issue d’une réalité morbide diffusée en direct (comme le meurtre de Charlie Kirk) —, une femme écope de plus de deux ans et demi de prison pour avoir porté un t-shirt sur lequel on pouvait lire : « Allah is lesbian ». C’est le monde à l’envers.

    Le 31 juillet 2025, la militante féministe Ibtissame Lachgar publie sur X une photo d’elle portant un t-shirt arborant l’inscription : « Allah is lesbian / Dieu est lesbienne ». L’image était accompagnée d’un texte qualifiant l’islam, « comme toute idéologie religieuse », de « fasciste, phallocrate et misogyne »(1). Si le commentaire est radical et déplaît sans doute aux fervents défenseurs d’idéologies religieuses, il n’en demeure pas moins lucide. Force est d’admettre que, depuis la nuit des temps, les religions servent à contrôler les masses, et plus particulièrement les femmes : leurs mœurs, leurs occupations, leurs esprits, leurs corps et même ce qu’elles portent… Très ironique, dans le cas d’Ibtissame, puisque c’est précisément ce qu’elle portait qui l’a menée en prison — dans un pays où la religion prescrit, selon une interprétation toute patriarcale des textes, ce que les femmes doivent porter.

    Sans surprise, la publication d’Ibtissame a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux, certains internautes réclamant son arrestation. Ironique, quand on pense à la myriade de gens qui se cachent derrière leur clavier pour prêcher la bonne conduite tout en étant les premiers à commettre des crimes. Il suffit de consulter l’enquête d’Urbania(2), qui a récemment révélé qu’une centaine d’hommes étaient prêts à « coucher » — au sens littéral du terme — avec une femme endormie. Avec la simple question : « Voulez-vous coucher avec une femme endormie ? », le journaliste Hugo Meunier et la réalisatrice Cloé Giroux ont réussi à recruter près d’une centaine d’hommes sur le site de rencontres québécois JALF, acronyme de « Jouer Avec Le Fantasme ». Bref, pour une centaine d’hommes inscrits sur cette plateforme montréalaise, ce qui est arrivé à Gisèle Pelicot constitue un fantasme à assouvir… Répugnant. Mais porter un t-shirt où l’on peut lire « Allah est lesbienne » peut, lui, vous valoir plus de deux ans de prison. C’est le monde à l’envers, un envers qui illustre à merveille l’inégalité des sexes, dans un univers où le corps des femmes est encore contrôlé par le patriarcat, pilier de la plupart des religions et des sociétés (les sociétés matriarcales existent, certes, mais elles sont rarissimes). Sans surprise, Ibtissame Lachgar a affirmé, dans une publication Facebook, avoir été victime de cyberharcèlement pendant plusieurs jours après la mise en ligne de sa photo, recevant « des milliers de menaces de viol, de mort, d’appels au lynchage et à la lapidation »(1).

    Tout ça pour avoir porté un t-shirt, rappelons-le. Ce chandail, « avec un slogan (détourné) féministe bien connu », pour reprendre ses mots, n’était pas porté à la légère. Psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée en criminologie et en victimologie, la quinquagénaire d’origine marocaine — fille d’un syndicaliste et défenseur des droits humains — milite depuis des années pour les libertés individuelles, notamment celles des femmes et des personnes LGBTQ+. Elle est porte-parole et cofondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (M.A.L.I.), un mouvement féministe universaliste qui œuvre sur plusieurs fronts depuis 2009 : liberté d’expression, interruption volontaire de grossesse, droits LGBTQ+, liberté sexuelle, laïcité de l’État, etc. On peut d’ailleurs lire sur la plateforme Medium un texte qu’elle y a publié en mai 2020, à l’occasion de la Journée internationale de l’hygiène menstruelle et de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes, intitulé My Body My Rules(3). Ironique, n’est-ce pas ?

    Le jugement est tombé le 3 septembre 2025 à Rabat : Ibtissame Lachgar devra purger 30 mois de prison ferme pour « blasphème ». Ce n’est plus My Body My Rules, mais plutôt The State Rules Your Body. Particulièrement quand on est une femme. Le slogan sur le t-shirt a notamment été jugé « offensant envers Dieu » par les autorités. Je ne veux pas péter la bulle de personne, mais Dieu ne suit pas les moindres faits et gestes de tout le monde ; ce sont plutôt les réseaux sociaux qui, désormais, font office de divinité. Sans compter que tout le monde s’y prend pour Dieu, sur les réseaux comme ailleurs… Et puis, il me semble avoir entendu dire que ce Dieu, à l’amour universel, ne juge pas. Ce sont ceux qui interprètent ses gestes et ses paroles qui jugent. Dans bien des religions, ces jugements sont rendus par des hommes — sur des femmes. Les autorités ont crié au blasphème, parlant d’un « texte comportant une offense à la religion islamique ». Un verdict choquant, et « une atteinte à la liberté d’expression », a déclaré à l’AFP Hakim Sikouk, président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH)(4). Et puis, qui peut affirmer avec certitude que Dieu est un homme ? Ceux qui ont interprété les textes religieux : les hommes. Pour créer son slogan, Ibtissame se serait inspirée d’une citation de la féministe française Anne-Marie Fauret, prononcée lors d’une manifestation des Gouines rouges en 1971 : « J’ai vu Dieu. Elle est noire, communiste et lesbienne. » Une phrase à la fois féministe et antiraciste, qui questionne — voire renverse — la représentation patriarcale de ce Dieu présenté sous les traits d’un vieil homme à la barbe blanche. Plus récemment, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, est apparu aux États-Unis un autre slogan sur des vêtements : « I Met God, She’s Black / J’ai rencontré Dieu, Elle est noire ».

    Son créateur, Dylan Chenfeld, un jeune Américain juif athée de 21 ans, surfait sur les revendications culturelles et identitaires du mouvement, en réaction aux meurtres d’Afro-Américains tels que Trayvon Martin (2012), Michael Brown, Eric Garner, Rekia Boyd et, plus récemment, George Floyd (2020). Dylan expliquait au HuffPost qu’il voulait défier les conventions : « Je pars du principe que Dieu est un homme blanc, et je fais le contraire : une femme noire »(5). Dylan, lui, ne sera pas emprisonné pour ce slogan. Au contraire, il est devenu viral sur les réseaux sociaux; les gens s’arrachent ces t-shirts. « Le message inscrit sur le t-shirt traduit en réalité un profond désir des gens de voir Dieu à leur image », explique la révérende Jacqueline J. Lewis, pasteure principale à la Middle Collegiate Church, qui a participé aux manifestations contre la mort d’Eric Garner aux mains de la police new-yorkaise(5).


    Dans les traditions abrahamiques, Dieu se présente à Moïse en disant : « Je suis celui qui suis. » Cette phrase du Livre de l’Exode (3:14) signifie que Dieu est l’Être absolu, éternel. Puisque ce Dieu est à la fois en chacun de nous et infiniment mystérieux, nous le rendons accessible en l’imaginant. Et la manière dont nous l’imaginons nous aide à nous imaginer nous-mêmes. Alors, quel est le problème à imaginer Dieu comme une femme lesbienne ?

    -20 Minutes avec AFP, 12 août 2025 : https://www.20minutes.fr

    -Urbania, Micromag 126, 13 septembre 2025 : https://urbania.ca/micromag/enquete-affaire-pelicot-micromag-126

    -Medium – MALI – Maroc : https://medium.com

    -Le Nouvel Obs avec AFP, 4 septembre 2025 : https://www.nouvelobs.com

    -Carol Kuruvilla, HuffPost, 3 janvier 2015 : https://www.huffpost.com

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