Jeudi, 28 mars 2024
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    « Paradis de tristesse » d’Olivier Py

    Olivier Py, homme de théâtre et comédien, fait une entrée surprenante dans le monde du roman. Surprenante tant la fiction qu’il déroule est saisissante, vertigineuse, outrageante. Un lieu d’abjection, la backroom du Trap, club parisien, est le point de départ de la recherche de l’Absolu (l’auteur utilise abondamment la majuscule), de l’ouverture vers la Grâce, de la montée au Ciel. Rien de moins. 

    Le Trap est un lieu de rencontres, sulfureux, dégradant, miraculeux autant qu’il est désastreux. Il est celui de l’humiliation (on pisse et on chie sur vous), de la drogue, de la baise (qui relève d’une mathématique inexplorée), celui de l’enfermement pour les carnages sexuels, c’est une tombe close où le monde extérieur ne se fait pas entendre. Quelque chose entre le monastère et l’île abandonnée, pour un exil où l’on se perd dans la jouissance et sa demande incessante.

    Au Trap, le narrateur rencontre Pascual, un ange de la Mort, dont la cruauté parfaite le fascine autant que sa beauté démoniaque. Pascual gravera sur le dos du narrateur l’initiale de son nom, seule marque de son passage auprès de lui, signe de possession de la part de quelqu’un qui n’est attaché à rien, à personne, et qui n’a aucune famille. « Il n’est rien », écrit le narrateur. Pourtant sa présence possède la puissance du fétiche.

    Dans ce lieu de l’obscurité et de l’oubli, Alcandre, un poète déchu, un dandy autrefois glorieux dont les œuvres sont oubliées, mais que le narrateur voudrait faire reparaître après sa mort, s’engouffre tous les soirs pour se faire humilier. Il y a un éditeur perruqué et peu scrupuleux, Laiguiller, qui s’est emparé des droits d’Alcandre et empêche donc la réédition de son œuvre.

    Il y a aussi le beau Grégoire, qui ne peut vivre que dans les extrêmes, le cloître ou les chiottes, le Trap étant une halte coprophagique entre deux retraites sur la colline sacrée de Vézelay; il se pendra, ne pouvant choisir. On y voit Ellert, un jeune père qui se fera défigurer par Pascual par amour pour lui et qui, lui aussi, mourra. Sidéen, le furieux et angélique Pascual s’éteindra lui aussi.

    La Mort est un personnage dans les cérémonies secrètes que célèbrent les personnages, ces héros élus d’un lieu souterrain, ouvert comme un sanctuaire et fermé comme un tombeau. Les contraires peuvent donc y cohabiter : la soif de Dieu et celle du sexe, la demande d’amour comme celle de l’avilissement, la joie libératrice comme l’appel du Mal. La débauche revêt les ors d’une splendeur royale, le sadomasochisme se transforme en un salut qui n’expie rien, la violence n’est autre qu’une tendresse qui fait souffrir. À moins que ce soit le contraire… Le Paradis de tristesse est une saison en enfer.

    Le roman d’Olivier Py est la rencontre de deux pôles opposés et qui, pourtant, se confondent, se fusionnent. Les voyous sont des anges (ou le contraire); l’extrémisme est tout en nuances; l’amour est une géhenne. Mais pourtant, quelque chose survit de ce monde de l’engloutissement, de la néantisation, où prédateurs et victimes se ressemblent, où la damnation est pareille à la sainteté, et le bordel, une église.

    Cette chose, c’est l’écriture, la littérature, qui est recherche de la joie, de la pureté, de l’utopie, de l’illusion. « L’écriture est un moyen de préserver cette force pure qui dans l’amour promet de nous rassasier et dont nous voulons ignorer la désillusion tragique, écrit le narrateur. Pascual en me soumettant à une passion toujours déçue m’enfermait dans ce paradis de tristesse de la littérature où gît peut-être la clef de notre présence au monde. » L’écriture est un geste héroïque qui peut nier la mort, à laquelle nous nous frottons, comme le papillon avec la flamme.

    Paradis de tristesse est un livre baroque, à l’expression prophétique et sacrilège, troublante et exaspérante, virulente et séduisante, à la fièvre douloureuse et spirituelle. Il sera difficile d’adhérer totalement à ce roman, qui fait se rencontrer Baudelaire et la Bible, Sade et Rimbaud, Genet et Claudel, tant sa fulgurance se plie et se déplie dans le dégoût et la saleté, tant son ivresse s’inspire de la porcherie, tant sa force est inséparable de l’exagération et de la complaisance, tant son mysticisme trouve sa radicalité dans l’infect et le déliquescent, tant sa poésie cohabite avec l’ordure, tant son mystère s’appuie sur une négativité imparable.

    Sa composition se fonde sur l’antithèse et la symétrie, employant des images saisissantes pour décrire les turpitudes du corps et les tourments de l’âme considérés comme la voie du salut, la demande d’un rachat, l’imposition d’une pénitence. Le vice se distingue de la vertu parce qu’il est supérieur, dans un univers froid, fétichiste et farouche, où l’amour ne peut exister – et si l’amour existe, il est automatiquement, fièrement et violemment voué à la mort par sa caducité même dans un monde où l’apocalypse est permanente. Les clients du Trap sont les nouveaux damnés de la Terre. Et Olivier Py est leur maître dompteur.

    Paradis de tristesse / Olivier Py. Arles : Actes Sud, 2002. 256p.

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