Connaissez-vous Marc-Antoine Muret ? Peut-être n’est-il connu que de médiévistes ou d’un cercle restreint d’amateurs de biographies de personnages d’homosexuels qui firent jaser en leur temps mais qu’on a ostracisés ou oubliés depuis. On peut en découvrir un maintenant, Marc-Antoine Muret, grâce à une fiction, aussi flamboyante que le personnage unique qui y est représenté, de Gérard Oberlé, auteur français de romans, de biographies et de chroniques musicales.
Oberlé doit être un drôle de luron lui-même si on se fie au style débridé, rare et truculent de ses Mémoires de Marc-Antoine Muret. Immense érudit, grand connaisseur des lettres latines, grecques et classiques, il s’en donne à cœur joie ici pour multiplier mots anciens, bariolés, iridescents afin de raconter la vie tumultueuse de ce poète qui connut Ronsard et Joachim du Bellay, fut professeur et eu pour élève Montaigne. Libre penseur, Muret – et c’est là que sa vie romanesque se déploie et nous intéresse – était attiré par les garçons et les fêtes saturnales.
Narrateur, Marc-Antoine Muret annonce dès le début de ses mémoires, à la fois fidèles et inventées par Oberlé, qu’il a vécu deux vies : une faite de remords et de regrets, une autre de tentations et de délices, mais qui se mêlent inextricablement. Une en France, où il est né en 1526: il y enseigna dès l’âge de dix-huit ans et attira le grand public et même le roi de France, Henri II ; il écrivit des poèmes, une tragédie et des commentaires obscurs sur l’œuvre de Ronsard ; il fut emprisonné, persécuté et condamné par deux fois pour cause de sodomie et d’hérésie (il fut même déclaré mort, brûlé sur un bûcher) et dut s’exiler.
Son autre vie se déroule en Italie, où il est ordonné prêtre, devient même conseiller du pape, enseigne à Venise, Padoue et Rome ; il s’y livre à la débauche, risquant encore la condamnation pour avoir enfilé autant des fils de nobles familles vénitiennes que des délinquants voleurs et prostitués.
Il est donc à la veille de sa mort, en 1585, et raconte sa vie frénétique, une vie de bâtons de chaise, comme le dit si bien l’expression. Tout ça parce que, raconte-t-il, il s’est mis au service de la jeunesse, la formant aux dieux, mythes et lettres de l’Antiquité, mais également s’en repaissant. Doux délices, beaux corps, qu’Oberlé décrit avec force vocabulaire riche et caustique.
Les garçons sont fripons, sensuels, exubérants, parfaits, bien montés, aussi délectables que les victuailles et les cochonnailles qu’avale ce glouton de Muret. Nourritures terrestres et nourritures sexuelles s’équivalent, poésie et vin se confondent. Muret a l’audace de celui qui n’a rien à perdre, car c’est un hédoniste, plus païen que catholique. Il n’y a pas chez lui de barrières entre fornication et philosophie, entre débauche et érudition, entre les vices sexuels et les vertus théologiques. Muret fut folâtre, scandaleux, intempérant; il fut une sorte de fou sage, ou bien de sage fou.
Gérard Oberlé a probablement été ensorcelé par ce Marc-Antoine Muret cultivé et grivois, savant et licencieux, tant son roman est un carnaval d’expressions, de mots merveilleux et raffinés, latinisants et rabelaisiens. C’est un fameux écrivain espiègle, dirions-nous de lui, parce qu’il sait jouer du vulgaire et du docte sans jamais tomber dans la grossièreté ou l’ésotérisme. Il est inspiré et amusant. Son roman est un délice.
MÉMOIRES DE MARC-ANTOINE MURET / Gérard Oberlé. Paris: Grasset, 2009. 281p.