Edmund White, écrivain américain fort connu, arrive à New York en 1962, s’installe définitivement en 1970 dans cette ville où, comme il l’écrit dans City Boy, on dormait jusqu’à midi. Période faste que sont ces deux décennies précédant l’explosion du sida: tout y semblait permis, la sexualité explosait pour ainsi dire à tous les coins de rue, et le monde pouvait changer tant par la contre-culture, la drogue que par l’engagement politique libéral (ce qui veut dire aux États-Unis : être à gauche).
Période stimulante et tumultueuse, sur laquelle revient principalement l’écrivain, non sans nostalgie. Avec Venise et San Francisco, New York demeure le lieu du développement littéraire d’Edmund White. Et City Boy se présente alors comme le cinquième volet d’une autobiographique qui a commencé avec Un jeune américain (réédité aux Éditions 10/18, 1992) et s’est poursuivie avec La tendresse sur la peau (rééditée aux Éditions 10/18, 1992), La symphonie des adieux (rééditée aux Éditions 10/18, 2003) et Mes vies: une autobiographie (Plon, 2006). Encore que presque tous les livres de ce biographe de Jean Genet et de Marcel Proust soient plus ou moins des autobiographies romancées.
Pendant presque vingt ans, White établira ses pénates dans cette ville mythique, et c’est là qu’il naîtra – sur le tard; à l’âge de 40 ans – comme écrivain. Il profite de City Boy, sous-titré «Chronique new-yorkaise» pour décrire tout particulièrement son travail d’écrivain et faire le portrait d’autres écrivains qu’il a connus et fréquentés, de Susan Sontag à Harold Brodkey, en passant par William Burroughs, Harry Mathews et Richard Sennett, et dont il nous fait souvent découvrir des côtés cachés qui le mettent plus en valeur, lui, que ses copains littéraires.
Son livre raconte donc sa formation d’écrivain dans un New York qu’il considère comme «un dépotoir avec de sérieuses aspirations artistiques». Il est vrai que tout était sale dans cette ville alors bon marché, qui était également plus dangereuse qu’aujourd’hui. Mais elle s’avérera idéale — mais difficile, très difficile — pour la réalisation de ces aspirations. Et Edmund White n’en a qu’une : être écrivain.
C’est durant ces deux décennies que sont nées et se sont développées toutes les avant-gardes américaines, que ce soit en danse (Mercy Cunningham), en arts visuels (Jaspers Johns en peinture, Robert Mapplethorpe en photo) ou en littérature. White a connu les principaux représentants, très souvent gais, sur lesquels soufflait l’esprit libertaire de l’époque. C’est dans cette ville d’intellectuels que le futur écrivain se libère sexuellement.
Même s’il y insiste moins que dans ses livres précédents, en particulier dans Mes vies, sa vie sexuelle prend encore place dans City Boy — et ceux qui ont lu ses œuvres antérieures n’apprendront rien de nouveau là-dessus. Mais White rappelle combien la vie homosexuelle était tout à la fois interdite et audacieuse (avec ses backrooms, les hangars du port), combien il était impossible d’afficher son homosexualité (la sodomie était illégale, par exemple), qui était alors vécue sous le mode de l’intime et du caché.
Il décrit excellemment la situation des homosexuels de l’époque et du rapide passage de la clandestinité à la lutte en plein jour pour leurs droits, avec l’émeute contre la fermeture par la police du club Stonewall. Moment charnière que ce passage de la honte à la fierté gaie et d’où ont surgi la reconnaissance et le sentiment d’appartenance des homosexuels. Époque heureuse, bénie pour les pulsions et les joies érotiques et sexuelles, que stoppera cruellement le sida au début des années 1980.
Edmund White se souvient de ces deux décennies avec nostalgie plutôt qu’avec mélancolie. À la fin, il donne l’impression de se plaindre de ne plus retrouver le New York, qui l’a vu naître comme écrivain, lorsqu’il y est revenu après un long séjour de 16 ans en France (il y écrira sa fameuse biographie sur Jean Genet). Il se plaint presque avec délectation de son assagissement, d’avoir arrêté de fumer et de boire, d’avoir grossi — lui qui avait été l’un des premiers gais à aller s’entraîner dans un gym dès son arrivée dans la Grosse Pomme.
Son livre demeure toutefois une délicieuse chronique de la vie sociale et artistique — et parfois bien secrète — de cette ville démente qu’est New York. Edmund White en est l’homme intense, passionné et lyrique; en quelque sorte son fils spirituel; voire l’emblème même de l’écrivain new-yorkais tel qu’on se l’imagine. Il va sans dire que City Boy, souvent émouvant et excitant, se lit comme un roman.
City Boy : Chronique new-yorkaise / Edmund White, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Delamare. Paris, Plon, 2009, 327p. (coll. Feux croisés)
Bon anniversaire Edmund.Bises de FRANÇOIS et JULIEN.