Deux livres fort différents qui reposent sur le principe de l’autobiographie.
Si on a lu les romans du Québécois Michael Delisle, on ne sera pas surpris du ton autobiographique de son plus récent titre. On retrouve d’ailleurs dans Le feu de mon père des remémorations et des personnages qui traversaient ses œuvres précédentes, notamment Fontainebleau, Dée et Tiroir no 24. L’auteur s’interroge même sur le concept d’écriture autobiographique : « L’exercice autobiographique soulève des questions éthiques que l’écrivain de fiction passe sa vie à éviter…» En effet, l’autobiographie est-il un exercice qui vise fondamentalement à magnifier l’auteur ou bien à se dénuder complètement et expier publiquement ses torts?
Tiroir no 24 se terminait sur la mort d’un père adoptif dans un hôpital. Dans Le feu de mon père le géniteur est toujours vivant en dépit d’un terrible accident qui aurait pu le laisser infirme. Ce père est pour le moins iconoclaste : fils de député, contrebandier, passeur de Chinois aux États-Unis et braqueur. Il est le parfait délinquant qui se dit même prêt à faire exécuter sa femme qui l’a quitté.
Le récit qui s’étale sur plus de trente ans est fragmenté et présenté sous la forme d’instantanés de souvenirs. Les phrases sont courtes; les liens entre les paragraphes semblent distendus, abrupts, et réussissent pourtant à maintenir une grande cohérence. Il suffit ainsi de peu de choses pour donner prise au récit : un événement, une réflexion, une scène récurrente. Le ton est poétique et l’auteur s’affranchit ainsi du réalisme.
La réalité s’avère effectivement intraitable et Michael Delisle présente une manière inédite de raconter : autoréflexive, jonglant avec différents niveaux de langage, des retours en arrière et des ellipses, pour évoquer une chronique à la fois foisonnante, concrète et dense. La vérité est tranchante, mais sans complaisance ni dérision. On sent que l’auteur aimerait sauver ses personnages, les aimer, ce qui n’était pas toujours apparent dans ses précédents livres.
Un livre singulier qui se lit avec grand plaisir.
Dans Tu n’as pas tellement changé, l’écrivain français Marc Lambron rend hommage à Philippe, son frère mort du sida en 1995, dans un récit qui refuse que d’autres aient le monopole de sa mémoire. L’auteur a en effet amorcé la rédaction de l’ouvrage afin de retirer le parcours de son frère disparu du discours public d’une dénommée Frigide Barjot, égérie des manifestations contre le mariage pour tous en France au printemps 2013, qui déclarait n’avoir eu qu’un seul amour : Philippe Lambron.
Le récit met en scène une opposition entre la blessure générée par la disparition de Philippe et la culpabilité d’un frère ainé, toujours vivant et qui cherche ainsi l’empreinte que son cadet a laissé en lui. Avec grande pudeur, l’auteur évoque la vie trop courte de Philippe, surtout dans le contexte de ses huit dernières années, luttant de plus en plus contre la maladie (qui n’est jamais nommée). Il tente de dénicher les ressemblances et les dissemblances avec ce frère avec lequel il n’avait que peu de contacts, jusqu’à la révélation de sa maladie, et approche le sujet avec délicatesse, comme s’il avait peur de lui faire mal ou de le trahir.
Philippe était un garçon confiant en lui, cultivé, élégant, aimant les voyages, les bars, les soirées dansantes, qui vivra les années 80 avec insouciance, cherchant les rencontres et les plaisirs éphémères. Puis viendra la maladie et son cortège de souffrances. Au fil des pages se faufilent ainsi la détresse, les appréhensions, la douleur et le chagrin.
Un livre sur le deuil, certes, mais avant tout une histoire d’amour entre deux frères que l’on referme le cœur serré.
Le feu du père / Michael Deliste. Montréal, Boréal, 2014, 123 p.
Tu n’as pas tellement changé / Marc Lambron. Paris, Bernard Grasset, 140 p.