Premier roman de Mathieu Latour qui nous fait pénétrer de plain-pied dans l’univers d’un homme qui semble, aux premiers abords, assez ordinaire. On serait en effet porté à ne voir dans le parcours d’Hugo Savard qu’un enchaînement d’événements plutôt conventionnels qui jalonnent l’existence de la plupart d’entre nous : sentiment d’être différent des autres, intimidation à l’école, premiers amours difficiles, exploration hésitante de sa sexualité et de son identité, petits et grands bonheurs entrelacés de malheurs plus ou moins importants.
Son destin a cependant ceci d’exceptionnel qu’il lui est donné, alors qu’il sent la fin proche, de reprendre contact avec les lieux et individus qui constituèrent les axes fondamentaux de son parcours.
Ce rite initiatique inversé est ingénieusement mis en scène par l’intermédiaire de Daphnée, sa fille adoptive, qui offre ainsi au lecteur un cheminement fragmenté et en deux lignes narratives.
En premier lieu, par l’entremise des notes éparses et désordonnées d’Hugo, Daphnée tente de créer un tout cohérent qui évolue au fil de ses recherches et qui amène le lecteur à découvrir progressivement la complexité propre à cet homme ordinaire.
Un second axe narratif se cristallise par l’entremise d’une tournée, toujours orchestrée par Daphnée, des lieux et acteurs clés propres à Hugo : des rencontres qui permettent quelquefois d’apporter un regard divergent de la réalité altérée ou sélective qu’il en a.
Cette structure s’avère astucieuse puisque la compréhension du personnage demeure ainsi quelque peu évanescente jusqu’aux toutes dernières pages du roman et ne se découvre donc que lentement, au fil des taches biographiques et des rencontres. Je pense notamment à une confrontation assez touchante, 50 ans plus tard, entre Hugo et Patrick, celui-là même qui le persécutait à l’école secondaire.
L’auteur fait montre de grands talents pour rendre les émotions propres aux multiples phases et sentiments parfois contradictoires qui jalonnent notre existence. Il faut dire qu’il n’est pas étranger à l’analyse du développement psychosocial des individus issus de la communauté gaie. En effet, on lui doit notamment un mémoire de maîtrise sur le militantisme au sein du groupe Queer Nation ainsi qu’un apport à de nombreuses recherches universitaires portant sur l’homosexualité et l’environnement de travail.
Bref, une lecture intrigante et passionnante à la fois malgré une prémisse qui aurait pu sembler banale, mais qui révèle, au contraire, des personnages attachants et complexes.
L’homme de travers / Mathieu Latour. Sainte-Adèle : Textes et contextes, 2015. 291p.