Samedi, 7 décembre 2024
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    ENTREVUE EXCLUSIVE AVEC LE PREMIER MINISTRE DU CANADA, JUSTIN TRUDEAU

    «Ce n’est plus du courage que d’aller dans un Gay Pride, c’est une conviction politique»

    par Yves Lafontaine et Denis-Daniel Boullé

    C’est la première fois qu’un Premier ministre du Canada accorde une entrevue à un magazine gai! Rencontre avec un Premier ministre qui voue une admiration aux communautés LGBT pour leur courage et qui croit fermement que le Canada doit être une vitrine internationale de la liberté et du respect des droits de la personne.

    Il arrive presqu’au pas de course dans le salon où nous l’attendons. La poignée de main est franche, son regard plonge dans le nôtre, il nous appelle par nos prénoms avant de nous accompagner une main sur l’épaule vers nos fauteuils. Sans veston, juste en chemise, Justin Trudeau se veut accessible et ne s’embarrasse pas d’un décorum intimidant. Difficile de ne pas succomber à son charme. Vingt minutes, c’est le temps qui nous avait été alloué. Ses deux attachés politiques, qui sont présents, nous feront signe à quelques reprises nous demandant de conclure. Nous grappillerons tout de même presque dix minutes supplémentaires, mais pas suffisemment pour aborder tous les sujets que nous aurions voulu aborder avec lui. Entre autres, des excuses officielles pour tous les LGBT qui ont été renvoyés de l’armée ou de la fonction publique fédérale et des compensations financières ainsi que des excuses officielles pour tous les LGBT accusés et condamnés en raison de leur homosexualité avant 1969. En revanche, aucune des questions posées ne sera éludée par Justin Trudeau.  

    Qu’est-ce qui fait courir Justin Trudeau pour les communautés LGBT ? 

    Je veux dédramatiser mes positions parce que pour moi je suis juste un exemple de ma génération. Je suis quelqu’un qui a été élevé dans une société où l’ouverture et l’acceptation étaient plus courantes. Il y a encore du travail à faire, mais il est important pour moi que des gens qui sont en position d’autorité et de responsabilité s’engagent et posent des gestes de tous les jours. Fondamentalement, c’est une question de défense des droits et personne ne peut être jugée négativement pour ce qu’elle est et comment elle est. Cette reconnaissance-là est un des points d’ancrage d’une société libre, ouverte et qui peut atteindre son plein potentiel. C’est tout simplement ça. Je ne choisis pas quels droits je vais défendre, car la défense des droits, c’est la défense des droits. Et je sais que les Canadiens en sont arrivés là, même si pour certains, ils ont été élevés et ont grandi avec des droits différents, ils sont en accord avec la défense des droits de la personne. Ce principe de base rend la société libre, ouverte. Un des seuls endroits au monde qui reconnaît que la diversité dans une société est une source de force et non pas une source de faiblesse ou de défis nécessairement.

    Le Premier ministre Justin Trudeau – Toronto Pride

      
    En tant que député, vous avez participé à plusieurs défilés de la Fierté LGBT. Comme premier ministre, vous avez participé à la gay pride de Toronto, vous serez de celle de Montréal; vous avez quatre ministres ouvertement LGBT dans votre gouvernement; vous avez un projet de loi pour les personnes transgenres, avez la volonté d’enlever la mention de sexe sur les documents d’identité pour ceux qui le souhaitent…
    Avez-vous conscience d’être pour la première fois au Canada, un premier ministre engagé vis-à-vis des communautés LGBT ?  

    Pour moi, c’est une réflexion de notre société, des Canadiens. Souvent les politiciens qui n’osent pas dire leur appui, c’est par peur des réactions politiques de leurs citoyens, de leurs électeurs. Nous sommes, au Canada, rendus à une société qui comprend qu’il faut être acceptant, que ce n’est plus un enjeu politique. Pour moi, ce n’est plus du courage que d’aller dans un défilé de la Fierté Gay, c’est une conviction politique. Il n’y a pas de grande opposition au Canada, sur ces questions. Quand nous avons hissé le drapeau arc-en-ciel sur la Colline Parlementaire, au début de juin, tous les partis, y compris le parti conservateur, étaient présents. Pas tous les députés conservateurs, mais il y en avait qui étaient-là, et pour moi c’est un symbole du reflet de notre pays qui est extraordinaire. 

    Est-ce que c’est encore envisageable pour un politicien canadien, en 2016, d’être dans le placard ? 

    Pas un politicien libéral (rires), ni un politicien NPD.  Cependant, il reste des communautés qui ont des difficultés avec l’acceptation. Je  pense à mon ami Navdeep Singh Bains, notre ministre de l’innovation. Quand il a pris position en faveur du mariage gai sous le gouvernement Paul Martin, il y a eu beaucoup de réactions négatives à l’intérieur de sa communauté sud-asiatique sikh. Peut-être qu’il y a des personnes politiques qui ne seraient pas à l’aise de dire qui elles sont si elles viennent d’un milieu traditionnel particulier, mais de moins en moins, j’ose espérer. Il y a beaucoup de gens qui sont en train de passer au-delà.  

    Vous avez été élevé dans une famille qui était ouverte à cette question-là ? 

    Oui, et j’y pensais justement. C’est drôle, mon père et ma mère avaient plusieurs amis gais et cela ne se posait pas comme un enjeu négatif ou positif, c’était juste comme ça. J’ai appris plus tard qu’au secondaire j’avais des amis gais. Il y a 30 ans, ils étaient encore dans le placard, et c’est seulement à l’université, quand je suis devenu jeune adulte, que j’ai commencé à avoir dans mon entourage des gens qui étaient ouvertement gais, et dans certains cas fiers de l’être parce qu’ils étaient comme ça. Nous avons été témoins de toutes les étapes qui ont suivi et quand je regarde comment j’élève les enfants, avec un entourage qui compte des amis gais qui ont aussi des enfants, ce n’est plus un enjeu. Et mes enfants, quand ils vont être rendus au secondaire, il n’y a  aucun doute qu’ils seront plus tolérants et acceptants.  

    Si un de vos enfants vous annonçait qu’il était LGBT, quel genre de conseils lui donneriez-vous ?

    J’aimerais penser que j’aurais différents conseils à lui donner qu’il y a quinze ans ou vingt ans. Mais le contexte de devoir dire «sois fier de qui tu es» est là… J’ose espérer que j’aurais moins besoin de l’aider à se bâtir une armure, une protection dans un monde moins tolérant à cause de son orientation. Je n’encouragerais pas la naïveté, non plus, surtout s’il doit se rendre dans certains pays. 

    EN BREF

    Un livre sur les réalités LGBT qui vous a marqué ?
    Quand j’étais enseignant, j’ai découvert un livre qui parlait d’un enfant avec deux mamans (Jean a deux mamans), un livre qui a été banni dans plusieurs écoles… et un autre sur deux papas pingouins (Tango a deux papas et pourquoi pas?). Je les lis régulièrement à mes enfants.

    Une personnalité LGBT que vous admirez, que vous considérez comme un modèle ?
    Mon ami Scott Brison, Président du conseil du trésor, qui dit tout le temps qu’une de ses plus grandes difficultés quand il a décidé de sortir du placard n’était pas d’annoncer qu’il était gai mais qu’il était conservateur. (Rires!) Mais il était dans le parti progressiste conservateur. J’ai énormément d’admiration pour mes amis gais.

    Votre première Gay Pride ?
    C’était à Montréal, avant de débuter ma carrière politique, mais je ne me souviens plus de l’année. J’y étais allé avec des amis.
    Le Premier ministre Justin Trudeau – Toronto Pride

    Vous avez annoncé vouloir mettre fin à l’interdiction aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes de donner du sang. L’annonce de la réduction de l’exclusion de cinq ans à un an pour les dons de sang, c’est juste une étape ? 

    Je vais vous dire que c’est un peu décevant que cela se passe comme ça. Nous, nous avions fait l’annonce que le questionnaire devait se baser sur des comportements et non sur l’orientation sexuelle. Je sais que c’est un enjeu qui est étudié dans bien des pays. Alors quand Santé Canada nous est revenue avec la réduction de cinq ans à un an, nous nous sommes dit. OK… c’est une étape, mais cela ne change pas grand-chose pour la vaste majorité des gens. C’est pour cela qu’on a insisté pour investir 3 millions de dollars dans la recherche pour que l’on puisse arriver d’ici peu à un engagement qui va vraiment être le reflet de nos valeurs pas juste en tant que gouvernement mais en tant que société. Ce sont des petits pas.  

    La criminalisation de la non-divulgation du VIH est une question qui stigmatise les Canadiens séropositifs, et ce, alors même que le VIH est devenu une maladie chronique… Est-ce qu’on peut espérer de nouvelles directives aux procureurs de la couronne ? 

    Nous sommes ouverts à l’étude de cette question. Cela fait partie des changements et nous devons prendre des décisions qui respectent les droits fondamentaux de chacun. Je pense que les gens auraient raison de considérer qu’actuellement ce n’est pas une bonne façon de respecter les droits de chacun.  

    Sous les conservateurs, la stratégie canadienne du VIH/Sida est restée bloquée pendant 10 ans. De mémoire, le budget annuel est de 42 millions et il y a beaucoup de leaders dans la communauté VIH qui demandent que le budget soit doublé.  
    Est-ce une option envisageable par le gouvernement ? 

    Nous sommes toujours ouverts à investir plus au niveau de la recherche, même si l’on doit faire des choix équilibrés, mais je peux vous assurer qu’il n’y a pas de blocage idéologique ou de valeur de notre part. C’est juste une question d’investir de l’argent aux bonnes places et de la bonne façon. Moi, j’ai de très bonnes conversations avec le Dr. Julio Montaner à Vancouver qui a démontré des solutions très positives mais je sais qu’il y a encore beaucoup de travail à faire et j’ai été longtemps un allié de la communauté des personnes vivant avec le VIH.  

    Récemment, vous avez favorisé l’entrée de réfugiés LGBT syriens. Que comptez-vous faire pour mettre de la pression sur les pays qui criminalisent les LGBT ? 

    C’est toujours le grand enjeu, l’engagement économique positif où l’on essaie d’amener les gens à être plus prospères, plus respectueux. On s’attend à ce que les droits humains soient respectés dans tous les pays. Le Canada a toujours travaillé en ce sens et c’est ce que j’essaie de faire, de m’assurer que l’on souligne nos préoccupations concernant les droits humains, à chaque fois que l’on a un engagement avec un pays où il y a des problèmes concernant les droits des personnes LGBT. C’est ma philosophie. Pour moi, quand on en vient à la question des droits humains fondamentaux, sans faire preuve d’ingérence, on a le droit de se prononcer clairement et on se doit de le faire. Il y a une différence entre des coutumes et des cultures qui nous paraissent différentes et celles qui sont complètement discriminatoires à l’égard de leur population, que ce soient le traitement envers les femmes, les LGBT, et bien d’autres. Je cherche à être une voix plus engagée dans ce domaine. Le contexte est bon, puisque l’on voit en même temps à l’intérieur même de ces pays, des gens réclamer des changements. Si nous pouvons avoir une combinaison de voix externes et de pression interne, cela devient de plus en plus difficile pour les dirigeants de ces pays, ancrés dans des façons de faire archaïques et discriminatoires, de résister. Je pense que cela ne servirait rien et n’aiderait pas, dans ces pays, l’avancée des droits humains si nous cessions toute relation économique dans ces pays, au contraire. Cela voudrait dire, on ne fera affaire avec vous que lorsqu’il y aura des changements concernant le respect des droits de la personne, des LGBT, des femmes, etc. Et nous resterions ainsi les bras croisés en attendant sans pouvoir intervenir. Il faut que l’on soit des partenaires actifs de ces changements. 

    De quelle manière le Canada peut-il favoriser l’intégration d’immigrants qui proviennent de pays où souvent l’homosexualité est criminalisée ?

    Nous connaissons tous des grand-mamans qui sont au Canada depuis soixante-ans et qui parlent à peine le français ou l’anglais, mais leurs enfants et leurs petits-enfants sont intégrés à 100% sauf qu’ils sont trilingues au lieu d’être bilingues. Il faut être patient avec certaines générations ou certaines communautés. Pour moi, l’essentiel, c’est de travailler à l’intérieur de notre système scolaire public surtout pour s’assurer que les habitudes des pays d’origine soient mises en contraste avec la réalité de la société canadienne qui est ouverte, acceptante. C’est plus facile pour la génération des enfants de changer d’idée plutôt que de mettre la pression sur leurs familles. Pour moi, je regarde cela avec impatience, mais aussi une certaine compréhension. Il faut être patient pour ne pas perdre la seconde génération de ces communautés. Je veux m’assurer que les enfants ne soient pas obligés de choisir entre leur identité culturelle et les valeurs canadiennes d’ouverture et de respect. Nous devrions trouver une façon d’avoir une identité complexe, mais dans laquelle les valeurs fondamentales du Canada soient respectées. 

    Seriez vous-prêt à mettre en place un plan de lutte contre l’homophobie et la transphobie dans toute la fonction publique fédérale ? 

    Je suis toujours ouvert à accroître l’ouverture. J’ai passé ma campagne électorale à rassembler les gens. Chaque fois que je me retrouvais à un défilé de la fierté, on me demandait si c’était encore important qu’un politicien se déplace, et je répondais oui, et cette année, suite à la tuerie d’Orlando, c’est encore plus important d’être-là. On a encore beaucoup de travail à faire, pas juste ici, bien sûr, mais partout dans le monde. J’ai énormément d’admiration pour mes amis gais. Malgré la plus grande ouverture, certains sentent encore de la discrimination et donc relèvent toujours des défis. Ils ont développé un grand niveau de vigilance, et j’avoue que j’ai énormément d’admiration pour le courage et la force que cela demande.  

    Cette entrevue, réalisée par Yves Lafontaine et Denis-Daniel Boullé, a eu lieu à Ottawa, le 22 juin 2016.

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