Dimanche, 20 avril 2025
• • •
    Publicité

    La grande année de Sainte Chloé

    À l’automne 2020, l’autrice Chloé Savoie-Bernard soutenait sa thèse de doctorat. Quelques mois plus tard, elle était nommée éditrice à la vénérable maison d’édition L’Hexagone. Cet automne, elle publie sa toute première traduction, Anatomie de ma honte, chez Mémoire d’encrier, ainsi qu’un nouveau recueil de poésie, Sainte Chloé de l’amour, en plus de débuter son postdoctorat. Fugues a fait le point avec elle.


    Que représente la dernière année pour toi?
    Elle peut sembler plus chargée de l’extérieur, mais ma vie a toujours été chargée. Durant mes études, je travaillais 25 heures par semaine. Ceci dit, je me questionne ces temps-ci sur la manière de me reposer. Ça m’apparait de plus en plus urgent de trouver des façons de ralentir. Quand mon physiothérapeute et mon ostéopathe me disent que les blessures physiques que j’ai aggravées par le sport ne peuvent pas être réparées parce que mon corps est trop épuisé, je me rends compte de ce qui se passe.

    En quoi le travail d’éditrice te convient?
    Je trouve ça nourrissant d’écrire et d’accompagner d’autres plumes dans leur écriture.
    Je vois ça comme un dialogue pour construire un livre, amener un texte au meilleur de
    lui-même et déterminer quand il est terminé. J’adore aider les autres à briller.

    Tu viens de publier Sainte Chloé de l’amour, un recueil de poésie dans lequel tu explores l’idée de devenir sainte. Quelle place occupent la religion et Dieu dans ta vie?
    Mes parents sont croyants, mais on allait à l’église une fois de temps en temps. Ce n’était vraiment pas central dans nos vies. Par contre, j’ai fait tous mes sacrements et j’aimais ça. J’ai toujours adoré prier. En première année, mon enseignante était une sœur qui nous faisait prier trois fois par jour, même dans une école de Saint-Michel où plusieurs élèves n’étaient pas de confession catholique, et j’étais fascinée par les prières. J’y retrouve un rapport à la littérature, aux mots, à la litanie et à la répétition. C’est de la poésie.

    Parles-tu à ton entourage de ta fascination pour la sainteté?
    C’est très drôle, parce que je me suis toujours sentie très spéciale avec cette histoire-là. Au début du livre, je raconte que très jeune, je voulais mourir et que Dieu vienne me prendre pour que je devienne Sainte Chloé. Je me suis toujours sentie très spéciale avec ça, mais depuis la sortie du livre, plusieurs autrices me disent qu’elles voulaient elles aussi devenir saintes ou qu’elles correspondaient avec Jésus. On est donc plusieurs personnes dans le milieu des lettres à avoir eu des fantasmes religieux. Ça répondait surement à notre besoin de nous sentir choisies et spéciales.

    Pourquoi Sainte Chloé réfléchit tant aux pardons qu’elle accorderait ou non?
    Je suis quelqu’un qui pardonne beaucoup et qui est souvent dans le compromis. Je suis
    toujours prête à me sacrifier ou à laisser passer des gens avant moi, et pas juste des gens que j’aime. Je suis prête à donner ma chemise parce que ça me fait sentir bien. Dans cette espèce de générosité-là, on compose une idée de soi-même. Il y a quelque chose de narcissique dans cette extrême générosité. J’avais envie de réfléchir à ça avec cette figure de la sainte. Je trouvais ça intéressant de voir ce qu’on ne pardonnait pas, malgré cette sainteté.

    Dans tes poèmes, tu exploites beaucoup les thèmes de la colère et de l’injustice. Pourquoi?
    Je ne suis pas quelqu’un de très colérique, mais je réalise que quand cette colère afflue, elle est très importante, parce que ce n’est pas dans mon tempérament de base. Au quotidien, c’est très dangereux en tant que femme noire d’être associée à la colère. Dans le monde professionnel, si j’affirme qu’une situation est inacceptable pour telle raison, je vais être rapidement classée dans la catégorie des chialeuses, des personnes en colère ou qui passent leur temps à quémander. Je trouve ça très insultant. C’est comme si ma colère n’était pas légitime, alors que si elle émanait d’une personne avec une autre enveloppe que la mienne, elle deviendrait automatiquement plus digeste. Pourtant, le stéréotype de la femme noire en colère ne me va pas du tout. Je suis quelqu’un de conciliant à l’extrême.

    Tu as traduit Anatomie de ma honte, un récit de Tessa McWatt qui réfléchit à l’identité
    féminine et aux corps façonnés par la violence de l’esclavage et la honte coloniale.
    Qu’est-ce qui t’a poussée à accepter ce mandat?

    L’équipe de la maison d’édition Mémoire d’encrier a lu livre en anglais et a pensé à moi, car les thématiques me rejoignent sur tellement d’aspects. Les questions du rapport au corps, des corps métissés et des douleurs intergénérationnelles me parlent immensément. Tessa McWatt utilise plusieurs exemples ancrés dans la littérature. Son livre est à la fois très savant et facile d’accès, tout en étant très personnel. Elle parle de son enfance et de son expérience de femme guyanaise à Montréal et à Londres. Je trouvais que son livre répondait à notre époque, aux enjeux de racialisation et au désir de mettre les gens dans des cases. C’est un privilège d’avoir traduit ça.


    INFOS | SAINTE CHLOÉ DE L’AMOUR de Chloé Savoir-Bernard, Éditions de l’Hexagone, 2021

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    LEAVE A REPLY

    Please enter your comment!
    Please enter your name here

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité