La pandémie de COVID-19 pourrait bien avoir de sérieuses conséquences sur l’épidémie de VIH/sida : si la qualité de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le virus a été maintenue, le recours aux tests de dépistage et à la prophylaxie préexposition (PrEP) a été en très forte baisse pendant le premier confinement et n’était pas encore reparti à la hausse à la fin 2021.
Le 8 septembre 2021, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme dressait un amer constat : la pandémie de COVID-19 a eu, à l’échelle mondiale, « un impact dévastateur » sur la lutte contre le VIH/sida, avec notamment des baisses significatives du recours aux services de dépistage et de prévention pour les populations clés et vulnérables. En décembre dernier, lors de nos discussions avec les professionnel.le.s de la santé dans le cadre de notre dossier sur le 1er décembre (Journée mondiale de lutte contre le sida), on a compris que si les cliniques ont su maintenir la prise en charge et le traitement des patient.e.s déjà suivi.e.s, garantissant un effet préventif élevé et stable, les autres piliers de la prévention combinée ont été fortement ébranlés par les mesures sanitaires mises en place.
L’effet anxiogène de la pandémie de COVID-19
C’est un fait assuré, la crise de la COVID-19, avec ses confinements successifs, a mis à mal la santé mentale de nombreux Québécois.e.s et a entrainé des conséquences directes sur leur quotidien. Une déflagration qui a été ressentie encore plus fortement par les personnes vivant avec le VIH/sida et plus généralement par toutes celles souffrant de maladies chroniques, inquiètes de savoir comment se poursuivraient leur prise en charge et leurs traitements.
Plusieurs personnes craignaient de ne pas être prioritaires, de sentir une différence de prise en charge, certaines allant même jusqu’à se demander s’il était pertinent de continuer les traitements, comme elles avaient l’impression que le temps était figé, comme si tout s’était arrêté. Pour d’autres personnes, la crise sanitaire a eu l’effet d’un saut dans le passé, avec la réactivation de l’idée d’un virus qui isole, qui peut se transmettre sans le savoir, et la résurgence d’un vocabulaire anxiogène rappelant l’apparition du VIH/sida il y a 40 ans. « Sur le plan de l’angoisse du rejet, cela a un peu fait écho à ce qu’a signifié l’épidémie de VIH à ses débuts », nous disait d’ailleurs Réjean Thomas lors de notre discussion en novembre dernier. « Nous avons un petit peu vu les mêmes processus de désignation des responsables, des coupables se mettre en place. »
Faut-il en conclure que la crise sanitaire a eu un impact spécifique sur les personnes séropo-sitives? Pour certain.e.s, oui, en fonction de déterminants personnels subjectifs, mais pour une partie non négligeable pas tant que cela, car il est difficile de les différencier de la population générale pour ce qui est des conséquences psychiques majeures engendrées par l’épidémie. Comme me le disait Ken Montheith : « Les personnes porteuses du VIH/sida, souvent dans des situations de plus grande fragilité sociale et psychique, ont plus de probabilité d’être affectées, notamment en termes d’isolement, d’angoisse et d’anxiété, mais il est [évident] que la crise sanitaire a eu un impact sur tout le monde ».
Une baisse du dépistage et du recours à la PrEP
Les délivrances de PrEP ont fortement chuté pendant les deux premiers confinements. Cela dit, le recours à la PrEP et aux tests de dépistages a repris avec la réouverture des lieux publics, sans encore avoir atteint les niveaux d’avant la pandémie.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces phénomènes. Avec les mesures sanitaires, même au-delà du premier confinement, le niveau d’exposition a probablement baissé. La baisse du dépistage est quant à elle très certainement une conséquence directe de l’affluence accrue dans les laboratoires, en raison de l’augmentation des tests COVID-19. On peut effectivement penser que pendant la première période de confinement, le risque d’être exposé au virus a beaucoup diminué, car cela a fortement impacté les interactions sociales, avec notamment tous les lieux festifs fermés. Mais que le risque soit resté aussi bas sur une durée d’un an est peu probable. Les chiffres doivent bien sûr être étayés par d’autres sources de données, mais ils suggèrent que la couverture préventive a été réduite du fait de l’épidémie, de la même manière que le recours au dépistage, ce qui a probablement eu un impact sur le délai de diagnostic. Ainsi, pendant cette période, les nouvelles infections ont vraisemblablement été moins bien évitées et moins bien détectées.
Doit-on y voir le signe d’un relâchement et d’une baisse véritable de la protection ? Une chose est sûre, la crise sanitaire a entrainé des changements de comportements. Les personnes qui faisaient des rencontres dans la vraie vie n’ont logiquement pas pu en faire lorsque tout était fermé et cela a amené un regain des rencontres par le biais des applications. Ce sont des gens qui n’auraient pas forcément rencontré leurs nouveaux partenaires de cette façon. D’autres phénomènes en ont donc découlé, comme éventuellement la prise de substances pour faciliter les rencontres ou pour s’adapter à ce type de rencontres plus directes. C’est particulièrement vrai pour certain.e.s qui ont eu davantage de difficultés à s’adapter. À partir ce constat intéressant, on peut se demander : va-t-on retourner à un mode de rencontre un peu plus direct, dans la vraie vie ? C’est une question très importante. Car il semble qu’avec les rencontres en ligne, les phénomènes tels que le chemsex se sont accélérés. C’est en tout cas l’impression subjective de certains observateur.trice.s de la prévention. Bref, il faudra voir si une reprise des tests de dépistage et de la PrEP se confirme ou non. Il sera nécessaire de mettre les gens en garde parce qu’ils ont peut-être perdu ce réflexe de prévention. Une chose est certaine, le VIH est un peu passé à la trappe pendant toute cette période.