Vendredi, 11 octobre 2024
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    L’autrice queer Niviaq Korneliussen secoue — encore — le monde de la littérature

    En 2014, Niviaq Korneliussen a fait une entrée fracassante dans le monde littéraire avec Homo sapienne, un roman qui raconte les tourments et les rêves de cinq jeunes queers du Groenland. Saluée par le New York Times et traduite dans plusieurs langues, dont le français, l’autrice est sortie d’une longue léthargie pour écrire un nouveau roman coup de poing, La vallée des fleurs, dans lequel elle tente de comprendre pourquoi sa nation a le plus haut taux de suicide au monde.

    Dès les premières pages, on fait connaissance avec une jeune femme visiblement mal dans sa peau, qui appréhende son départ pour Copenhague, au Danemark, le pays colonisateur. « Plusieurs Groenlandais sont déchirés entre deux cultures, car on est une société mixte », explique l’écrivaine. « Mais mon personnage est moins troublé par la question de sa nationalité que par l’impression de ne jamais se sentir à la maison nulle part. »

    J’ai reçu des messages extrêmement troublants de gens qui me disaient que je ne devrais pas parler du suicide de cette façon…

    Son mal-être n’a rien à voir avec le fait d’être queer. « Homo sapienne se concentrait déjà sur la queerness au Groenland, mais je ne voulais pas en faire un problème dans mon nouveau livre, et ce, même si j’ai décidé que la plupart des personnages de mes histoires seraient queers, car on a besoin de ces voix. Dans La vallée des fleurs, j’ai préféré montrer des familles qui acceptent leurs enfants tels qu’ils sont. » Néanmoins, son personnage principal n’arrive pas à éviter le trou noir qui la guette. « Cette jeune femme vit avec une famille correcte, sans problème d’alcool et sans histoires d’agressions sexuelles. Les gens disent que les jeunes se suicident principalement pour ces raisons, mais ce n’est pas ce que j’ai observé. Tout le monde peut se rendre là. Je voulais donc créer [ce personnage d’une jeune femme] privilégiée, avec un accès à l’éducation et une gentille amoureuse, qui a quand même le sentiment d’être inadéquate, de ne pas faire les bons choix et de ne pas être à sa place. »

    En faisant ses premiers pas dans une université de la capitale danoise, elle se fait constamment parler de son accent, des mots qu’elle exprime, de sa manière d’étudier, de manger et d’être en général. Ces microagressions accentuent le malaise qui l’habitait avant son arrivée, mais Niviaq Korneliussen n’a pas voulu s’étendre sur le sujet trop longtemps. « Au début, j’ai écrit sur le racisme envers les Groenlandais et les relations entre les deux territoires, parce que j’imaginais que les lecteurs voulaient en entendre parler », souligne-t-elle. « Pourtant, je trouvais ça extrêmement inintéressant. Cette histoire a déjà été racontée mille fois auparavant. J’avais donc beaucoup de mal à ouvrir mon manuscrit pour continuer mon travail. J’ai passé des années sans écrire, avant de réaliser que je n’écrivais pas pour moi. »

    Expérience choc
    En parallèle, elle a voyagé à travers le Groenland avec la Traveling Writing School pour enseigner l’écriture aux jeunes moins privilégiés. Son objectif : leur servir de guide et les inviter à raconter leurs histoires à travers des textes et des baladodiffusions. Ses ateliers lui ont entre autres permis de rencontrer deux étudiants en détresse. « La même semaine, ils ont tenté de se suicider », se souvient-elle. « Comme ils n’avaient personne à contacter, ils m’ont appelée, moi. Je suis restée avec eux à l’hôpital. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point notre système négligeait les gens qui voulaient mourir. » L’écrivaine était pourtant au courant du taux de suicide stratosphérique du Groenland. « C’est un problème dont j’ai entendu parler toute ma vie, car plusieurs de mes anciens collègues de classe se sont enlevé la vie, mais je n’y avais jamais réfléchi en profondeur. À partir de ce moment, j’ai essayé de comprendre pourquoi c’était un problème plus présent chez nous qu’ailleurs. »

    Après des années de recherches, elle affirme qu’il y a mille réponses à cette question complexe, mais son analyse l’amène à voir la colonisation comme un élément déclencheur dévastateur. « À partir des années 1950 et 1960, les habitants des petits villages ont été forcés de déménager dans de grandes villes et dans de gros immeubles. Leurs vies ont changé de façon draconienne. Ils ont été introduits à l’alcool. Peu à peu, on a vu apparaitre des problèmes de boisson, de violence domestique et d’agressions sexuelles. Les jeunes des générations suivantes ont commencé à se suicider. » Elle en parle comme d’un traumatisme qui se perpétue de génération en génération. « On vit avec ce problème depuis bientôt 50 ans », dit-elle. « C’est un cercle vicieux dans lequel nous sommes pris, car le système n’en fait pas assez pour mettre en lumière le problème et pour aider les jeunes. Il n’y a pas de changements au niveau politique. Le gouvernement s’est excusé de plusieurs horreurs commises dans le passé, mais les Danois pensent encore qu’ils ont été de bons colonisateurs, parce qu’ils n’ont tué personne… »

    Plusieurs voix s’élèvent pour que la situation change, donc celle de Korneliussen, qui n’a pas hésité à prendre part à des manifestations pour faire comprendre au gouvernement du Groenland qu’il n’en faisait pas assez. Son activisme n’a pas été bien reçu par tout le monde. « J’ai reçu des messages extrêmement troublants de gens qui me disaient que je ne devrais pas parler du suicide de cette façon et que je serais moi-même la cause du suicide des jeunes ! J’ai ensuite eu peur de publier mon livre. J’ai dû me convaincre que c’était la chose à faire. »

    À sa sortie, les réactions ont cependant été unanimement positives. « Je crois que ça passe mieux à travers un livre, parce qu’on peut le percevoir de plusieurs façons et parce qu’il ne parle pas seulement des causes du suicide, mais d’amour, de queerness, de jeunesse et du sentiment d’être incompris. C’est plus facile pour les lecteurs d’apprivoiser une réalité rude qu’ils ne peuvent éviter. Après sa publication, plusieurs jeunes ont écrit des essais sur mon livre. On en parle plus. On y réfléchit ensemble. »

    INFOS | HOMO SAPIENNE / Niviaq Korneliussen, La Peuplade 2017

    LA VALLÉE DES FLEURS / Niviaq Korneliussen, La Peuplade 2022
    www.leslibraires.ca

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