Avec son visage poupin et ses airs d’enfant de chœur docile et sage (comme une image), on lui donnerait… le bon Dieu sans confession, pour reprendre la formule consacrée ! Pourtant, c’est par sa plume outrancière, brutale, furibonde et rebelle qu’il rejoint — malgré son jeune âge — le panthéon des héros de notre histoire.
Nicholas Giguère est né en 1984, à Saint-Benjamin dans la Beauce. «Cette Beauce d’une insignifiance crasse», écrit-il dans Le Crachoir de Flaubert, alors qu’il est en résidence d’écrivain à l’Université Laval 1. Un commentaire incendiaire peu surprenant quand on sait les hontes et les humiliations qu’il a endurées à l’adolescence. Il relate cette intimidation et cette homophobie dont il a été victime au secondaire, de même que l’ambivalence de ses sentiments face à Daniel, l’un de ses tortionnaires : « Autant, confie-t-il, je lui aurais piétiné la face avec des caps d’acier pour tout ce qu’il me faisait vivre au quotidien autant je l’aurais sucé à fond sans rien demander en retour 2. »
Cette écriture choc, on la retrouve dans nombre de ses textes. Des mots qu’il nous crache en pleine face, qu’il vomit sur la page blanche ou l’écran cathodique ! Du genre : le sperme dans sa bouche est « un rince-bouche pour l’âme 3 » ; ou encore : « [je vais] dézipper ma fly / sortir ma graine / pas lavée depuis trois jours / peut-être quatre / je vais la slapper deux trois fois / question qu’elle soit dure / puis je vais la rentrer de force / dans ton cul mal torché / d’intello encore boutonneux 4. »
L’auteur admet lui-même que ce qui l’intéresse dans la création littéraire, c’est « l’impudeur la plus totale, l’intimité la plus crue […] les dangers du dévoilement, de l’aveu et de l’authenticité 5. » Docteur en études françaises de l’Université de Sherbrooke — où il enseigne comme chargé de cours et agit à titre d’animateur pédagogique au Centre de langues —, Nicholas Giguère poursuit une carrière effervescente tous azimuts. En plus de publier des articles dans de nombreuses revues dont Estuaire, Exit, Les Écrits, Le Sabord, XYZ et Lettres Québécoises, il est réviseur/correcteur d’épreuves pour des éditeurs, organise et participe à des colloques, donne des conférences, offre des sessions de formation sur la révision linguistique de textes, anime des soirées littéraires, participe à des lectures publiques, et s’implique comme administrateur aux Éditions du Mécène. Il a également joint l’équipe de la maison d’édition Hashtag, laquelle « veille à la publication d’œuvres littéraires qui explorent et racontent la pluralité — sexuelle, sociale, artistique — sous toutes ses formes 6. »
Une autre de ses contributions majeures est la thèse de doctorat qu’il a déposée en 2018, portant sur : Les périodiques gais au Québec (1971-2009) : vecteurs de reconnaissance et de légitimation d’une communauté. Il y démontre le rôle essentiel de ces publications dans la reconnaissance sociale progressive des homosexuels, soulignant qu’elles « sont étroitement lié[e]s à l’essor de la communauté gaie dans la province et à l’affirmation de l’identité gaie au sein de l’espace public 7. » Cette thèse lui vaudra, en 2014, d’être le « lauréat du mois de février du concours Étudiants-chercheurs étoiles du Fonds de recherche Société et culture du Québec 8. » Notons qu’il reviendra sur certains aspects de son étude dans un article intitulé « Bref historique des périodiques gais québécois », paru dans L’Archigai, no 22, en novembre 2012 9.
Cet éclectisme dans sa démarche fait écho à la grande diversité de « genres » que l’on retrouve dans ses écrits. Tantôt une pièce de théâtre, Attitude causale, montée en 2006 par la troupe Les Mille Feux de l’UdeS ; ou un recueil de courts poèmes, Marques déposées, élaborés sur le mode de la raillerie et de l’humour corrosif, à partir de marques de commerce déposées comme Jell-O ou Five Roses : « si je me réincarne un jour / ce sera en super C / beau bon pas cher » ; tantôt, dans Petites annonces, plus de cinq cents invitations dévoilant les désirs intimes et les fantasmes d’individus anonymes ; ou encore, avec Freak Out in a Moonage Daydream, « plus de trois cents pages de poèmes paranoïaques, fleur bleue, masochistes, vengeurs et hallucinés 10. » Dans Queues, Nicholas Giguère affirme sans ambages : « c’est tout ce que je suis / une éjaculation faciale / une poubelle à sperme / une face sur qui les gars viennent. » Bien sûr, on sait qu’il n’est pas que cela. D’ailleurs, après avoir été boursier du Conseil de recherches en sciences humaines et du Fonds québécois de recherche, il a été lauréat, en 2016, d’un prix au Gala de la vie littéraire. Et c’est loin d’être terminé pour ce trentenaire dynamique et doué. À suivre, donc…
NOTES |
- http://www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca/2018/04/ecrire-dit-il-pour-ce-que-ca-vaut.
- Nicholas Giguère, « L’apprentissage de la haine », 3 janvier 2018. Ibid.
- Nicholas Giguère, « Fuckfriends », 3 août 2016. Ibid.
- Nicholas Giguère, Quelqu’un, Hamac, 2018.
- www.lecrachoirdeflaubert.ulaval.ca.
- editionshasthag.com.
- www.usherbrooke.ca/grelq/theses-et-memoires/theses-de-doctorat/these-nicholas-giguere.
- https://www.usherbrooke.ca/dall/actualites/nouvelles/details/24560.
- Également : « De la revue Le Berdache (1979-82) au bulletin À propos (1986-87) : grandeurs et misères de la presse gaie militante au Québec », dans Papers of the Bibliographical Society of Canada 52/2.
- Dominic Tardif, « Nicholas Giguère en orbite avec David Bowie », Le Devoir, 16 octobre 2021.